Imposant regroupement d’édifices et résidence des Gonzague de 1328 à 1707 comprenant le Palazzo del Capitano et la Magna Domus érigés par les Bonacolsi aux XIIIe et XIVe siècles, le Castello di San Giorgio –forteresse massive en briques, flanquée de tours d’angle-, la Domus Nova, la palazzina della Rustica et la chiesa di Santa Barbara, édifiés par les Gonzague aux XVe et XVIe siècles, les aménagements baroques ou néo-classiques des Habsbourg au XVIIIe (camera di Amore e Psiche…), le palais ducal de Mantoue recèle entre ses murs, outre la célèbre Camera Picta d’Andrea Mantegna (1465-1474), des traces de fresques de Pisanello sur les hauts faits des chevaliers de la table ronde, un très beau cycle peint par Giulio Romano – l’appartamento di Troia- ainsi qu’une remarquable collection d’antiques. Il abritait également le premier studiolo et la grotta d’Isabelle d’Este dont le cycle peint par Mantegna, Perugino, Costa sur le triomphe de la vertu sur les vices est désormais au Louvre. Au XVIIe siècle, les œuvres les plus précieuses des Gonzague furent vendues à Charles Ier ou saccagées par l’empereur en 1630.
Réalisée pour Ludovico Gonzaga, la camera Picta, sombre salle d’audience cubique, devient sous le pinceau d’Andre Mantegna une chambre à coucher d’apparat, les murs couverts de fresques étant ponctués d’arcades comme ouvertes sur l’extérieur. Le plafond gothique devient une voûte en forme de parapluie définie par des écoinçons et croisillons, ornée de caissons à l’antique, qui s’ouvre sur un ciel d’un bleu intense en trompe-l’œil, avec, sur le pourtour d’une balustrade, des amours, animaux et dames de cour en fort raccourci. Mantegna inaugure ici la quadratura avec une application stricte de la perspective da sotto in sù. L’ornementation rapproche l’architecture feinte et l’architecture réelle : les ornements en léger relief de la cheminée et les consoles-chapiteaux à la naissance de la voûte rappellent le décor de piliers peints aux murs et l’architecture en trompe l’oeil du plafond. Les chapiteaux peints en forme de corbeille donnent naissance à de larges nervures ornées d’entrelacs qui divisent le plafond en 8 losanges dont l’angle inférieur s’étire en écoinçon.
Sur deux des murs, l’artiste dépeint des rideaux en faux cuir tandis que sur les murs Nord et Ouest ces rideaux sont comme écartés et le mur semble s’ouvrir, impliquant le spectateur dans la scène qui se déroule au-delà d’une loggia fictive. Là, les scènes peintes –dont l’intensité colorée et précise accroit le jeu entre réel et illusion-, d’un grand réalisme pictural avec des personnages représentés grandeur nature, d’une vérité anatomique propre aux débuts de la Renaissance, et l’espace structuré par les lignes de perspective, commémorent le rôle de la famille Gonzague. Est ainsi dépeinte sur le mur Nord la cour des Gonzague avec Ludovico Gonzague assis, en parade solennelle, pivot de la scène, tourné vers un conseiller, flanqué de son épouse la marquise Barbara de Hohenzollern, accueillant des hôtes arrivant sur la droite par une volée de marches cantonnant habilement le manteau de cheminée. Le peintre individualise précisément chaque personnage, leurs traits, leurs mouvements, évitant toute représentation stéréotypée : Ludovico vient ainsi de recevoir un important message, peut-être l’annonce de la grave maladie du duc de Milan.
Sur le mur Ouest, Mantegna déploie un vaste et admirable paysage -ponctué par trois arcades- comme un point de vue fictif sur le marquisat, sur toute l’étendue de la paroi. Sur la gauche, un page tient un magnifique cheval sellé, un autre page et des chiens de chasse l’accompagnent. Au centre, cantonnant la porte, on note deux hommes dont l’un tient une lettre scellée, élément de continuité narrative avec la scène de la Cour. Sur la droite, on assiste à la rencontre entre le marquis et son fils, le cardinal Francesco, peut-être de retour de Rome après sa nomination au cardinalat, acte légitimant le pouvoir des Gonzague sur Mantoue. Le panneau représente également trois générations de la lignée masculine des Gonzague, symboles de continuité dynastique (le marquis, son fils Federico et son petit fils Francesco) ainsi que des symboles de continuité de la dignité ecclésiastique (le cardinal dépeint avec 2 garçons, Sigismond et Ludovic, futurs prélats). On relève par ailleurs l’érudition archéologique propre à l’artiste : grotesques inspirés de la Domus Aurea, évocation de la pyramide de Cestius et du Colisée dans le paysage peint, oculus au centre de la voûte qui peut renvoyer au Panthéon ou aux atriums antiques, médaillons des Césars insérés dans les caissons feints du plafond, scènes de la légende d’Orphée et Arion et des travaux d’Hercule peintes en grisaille sur les voûtains…
Autre chef-d’œuvre du palais, appelé à accueillir les collections ducales d’antiques et autre espace de légitimation du pouvoir ducal par identification aux modèles antiques : l’appartamento di Troia décoré par l’un des principaux élèves de Raphaël, Giulio Romano, en 1536-1539. La sala di Troia, salle d’audience de Federico II, est ornée de scènes liées à la guerre de Troie, la victoire des grecs sur les troyens devant faire écho à ceux de Federico II, successeur, après son mariage avec Margherita Paleologo en 1531, des Paléologues de Monferrato, descendants des empereurs byzantins ; la chute de Troie pouvant quant à elle renvoyer au sac de Rome (1527) et à celui de Mantoue (1530).
Au centre de la voûte, l’artiste dépeint, sur de volumineux nuages, l’Olympe divisée en deux camps, Federico II se présentant, à l’image de Zeus, comme le secours du territoire mantouan en difficulté, tandis que la bataille fait rage, des guerriers et chevaux tombant terrassés par les héros victorieux. Giulio Romano viole les règles de la perspective en situant bien la scène de la voûte au-dessus du niveau des yeux du spectateur mais en lui présentant une vue du terrain sur lequel se déroule l’action. Sur les murs, on distingue différentes scènes tirées de l’Iliade et individualisées par des cadres fictifs : l’Enlèvement d’Hélène, le Songe d’Hécube, le Jugement de Pâris, Thétis remettant les armes à Achille, la construction du cheval de Troie, Vulcain forgeant les armes d’Achille, le Laocoon et ses fils étouffés par des serpents, la mort d’Ajax… Giulio Romano bannit toute rupture entre murs et plafond par une remarquable unité de style, de coloris et de sujets, la transition, héroïque, entre les personnages terrestres (Pâris, Hélène..) et les Dieux et des arbres effaçant les angles de la pièce. Les scènes de bataille, les représentations épiques abondent, caractérisées par la fougue des drapés, des chevaux, nombre de détails archéologiques et de motifs antiques et impliquant souvent Achille ou Diomède. Le sol était à l’origine orné de trophées militaires et de faux marbres évoquant les vertus militaires de Federico Gonzaga.
Lorenzo Leonbruno, ala della grotta, 1522-23, sala dei Fiumi Sala dello Zodiaco
Autres décors impressionnants du palais ducal : la sala dei Fiumi, baroque et flanquée de deux grottes, représente au plafond Phaeton demandant le chariot du Soleil à Apollon tandis que des allégories des Fleuves traversant l’ancien duché des Gonzague sont dépeintes dans des panneaux imaginaires, œuvre d’Anselmi et Crevola, un décor de rinceaux et de pergolas unissant murs et plafond ; le Corridoio dei Mori, au superbe décor de grotesques et de faux marbres ; la fastueuse galleria degli Specchi, quadreria du palais, ornée au XVIIe siècle par des élèves de Guido Reni du Char du Jour, du conseil des Dieux et du Char de la nuit sur la voûte, d’Apollon et les Muses et d’allégories sur les lunettes ; l’imposante sala di Manto, à laquelle on accède par le superbe escalier d’Enée et dont le décor, œuvre de Lorenzo Costa le jeune particulièrement fragilisée, est consacré aux origines de Mantoue d’après Virgile ; la sala dello Zodiaco, également ornée par Lorenzo Costa le jeune (1579-80) du Char de Diane tiré par des chiens parmi les constellations, dans un mouvement centrifuge sur fond bleu, en fort raccourci, évocation probable de l’horoscope ducal.
Plusieurs salles présentent par ailleurs la magnifique tenture des Actes des Apôtres réalisée d’après les cartons de Raphaël à Bruxelles vers 1550 pour la chapelle Sixtine. Une série analogue fut en effet acquise par le cardinal Ercole Gonzaga pour le Duomo di Mantova. Ou encore les toiles de Rubens (les Gonzague adorant la sainte Trinité -endommagée pendant le sac de 1630-, la multiplication des pains) au coloris très vénitien.
Camerino dei Cesari Sala dei Cavalli
De même que le décor de la sala dei Cavalli a disparu, celui du fameux Camerino dei Cesari qui comprenait onze empereurs romains peints par Titien entre 1536 et 1540 –détruits lors de l’incendie de l’Alcazar de Madrid au XVIIIe siècle- n’est plus que l’ombre de lui-même, les empereurs actuels étant l’œuvre des élèves de Giulio Romano, ainsi que les scènes de la voûte, très partiellement préservées.