GRAND PALAIS, Paris, Octobre 2018 – Février 2019
GALERIE LELONG, Paris, Septembre – Novembre 2018

Si l’on souhaiterait une programmation plus audacieuse et la découverte d’artistes plus rarement exposés à Paris, la rétrospective que consacre le Grand Palais à Joan Miro ménage quelques découvertes intéressantes. En dépit d’un style quelque peu ronronnant, elle témoigne d’une certaine expérimentation dans les matières, les formes, et d’un flirt toujours distant et ambigü avec les grands courants contemporains que furent pour lui le surréalisme ou l’abstraction. Ma sélection…

Miro, chien aboyant à la lune, 1926 
Miro, Peinture (« escargot, femme, fleur, étoile ») », 1934
Des premières années, j’ai retenu principalement, outre une étonnante nature morte marquée par le fauvisme et le cubisme par la virulence des couleurs et la fragmentation formelle à l’œuvre, -quoiqu’aux lignes plus sinueuses ou courbes que droites (« la rose », 1916)-, quelques toiles surprenantes par l’attention minutieuse au détail et un certain raffinement de pinceau inspirés semble-t-il de la miniature persane. Il en est ainsi de l’admirable « le potager à l’âne », de 1918 ou encore de « Mont-Roig, l’église et le village », de 1919. Quelques œuvres majeures sont présentes, telles que le « carnaval d’Arlequin », singulièrement précoce (1924-25) où sont déjà en place quelques éléments caractéristiques de son vocabulaire pictural tels que l’échelle (symboliquement la fuite ou l’élévation, que l’on retrouvera notamment dans le célèbre « chien aboyant à la lune » de 1926), la sphère (la terre), le triangle noir (la tour Eiffel), le chat…auxquels s’ajouteront dans nombre de toiles les signes de sexe féminin, d’oiseau…A noter aussi la présence de « Peinture (« escargot, femme, fleur, étoile ») », 1934, habituellement exposée face à Guernica au musée de la Reina Sofia et emblématique de Miro par sa grande précision formelle, son fond modulé, son titre soigneusement calligraphié sur la toile ; ou encore la série des Constellations réalisée à la gouache entre 1939 et 1941.

Miro, peinture-poème (Photo : ceci est la couleur de mes rêves »), 1925 
Miro, Silence, 1968
A travers la présence de quelques textes illustrés par l’artiste, l’exposition donne par ailleurs à voir cette proximité entre peinture et écriture présente dès ses premières œuvres (cf « peinture-poème » (Photo : ceci est la couleur de mes rêves »), 1925, le type de mise en abîme qu’appréciait fort un Magritte et qui peut expliquer son rattachement fréquent au surréalisme), et se retrouve tout au long de sa carrière. En témoigne l’impressionnant « Silence », de 1968, d’une série de trois peintures où l’artiste fait danser des lettres ici inscrites au pochoir. Un travail qui n’est pas sans évoquer les jeux typographiques de pleins et de vides de certains poètes et invite à la méditation. La série des « peintures de rêve », -et plus particulièrement les « X », soit l’inconnu-, entreprise en 1925 par l’artiste et caractérisée par le déploiement de configurations étranges, sinon inquiétantes, jeu de quelques taches informes, de coulures, sur un fond de toile à peine peint », souvent brossé au chiffon, a particulièrement retenu mon attention par sa singularité et sa quasi abstraction. Une nouvelle appréhension du vide. En témoigne magistralement « Peinture (la tache rouge) », conservée à la Reina Sofia, réalisée à l’huile et au pastel, en rupture avec ses petits tableaux emplis de figures et d’objets fantastiques et colorés bien que réalisés parallèlement, ou encore « femme », 1925. Une tendance que l’on retrouve dans l’austère « Peinture », 1927 (Centre Pompidou), mise en tension d’une tache informe blanche et d’un rectangle noir sur lesquels se dessine une croix fine et tremblante surmontée d’un bonnet catalan. « Peinture » témoigne d’une étonnante efficacité formelle et d’un usage plutôt inhabituel de la réserve. Affrontement des forces de vie et de mort ?
Les « intérieur hollandais », inspirés de peintures anciennes vues dans les musées au cours d’un séjour en Belgique et en Hollande en 1928, revisitées par Miro (Jan Steen, Henrick Martensz Sorgh…), ne sont pas sans intérêt de par la précision de la construction et de la distribution des couleurs sur la toile. Autre série plutôt surprenante pour l’artiste, ses toiles matiéristes des années 30, réalisées sur masonite sur des formats identiques. Comme en réponse au climat particulièrement troublé qui l’entoure avec l’éclatement de la guerre civile d’Espagne, les provocations croissantes d’Hitler et l’approche de la seconde guerre mondiale, Miro travaille des matières quelque peu atypiques (goudron, bitume, gravier, caséine, ripolin…), brutes, épaisses et irrégulières, dessinant des formes organiques et des signes tout aussi primitifs. De la même période relève également les inquiétantes « peintures sauvages » aux couleurs stridentes, aux formes singulièrement modelées et monstrueuses. L’artiste les réalise pourtant sur papier velours, au pastel, mais détourne ces matériaux de leur douceur habituelle.
Miro entreprend, dans les années 1960-70, deux triptyques d’une grande épure et néanmoins d’une grande intensité : *le bleu I, II, III (1961), comme un espace infini répandu sur la toile et ponctué de signes purs minimaux, d’une incroyable épure.« J’ai mis beaucoup de temps à les faire [déclare Miro au sujet des Bleu]. Pas à les peindre, mais à les méditer. Il m’a fallu un énorme effort, une très grande tension intérieure, pour arriver à un dépouillement voulu. L’étape préliminaire était d’ordre intellectuel…c’était comme avant la célébration d’un rite religieux, oui, comme une entrée dans les ordres. » « Par les quelques lignes tellement économes que j’y inscris, j’ai cherché à donner au geste une qualité si individuelle qu’il en devienne presque anonyme et qu’il accède ainsi à l’universel de l’acte » *« l’espoir du condamné à mort I, II, III », 1974, inspiré par la condamnation à mort, par le régime de Franco, d’un étudiant anarchiste catalan et où le peintre esquisse, sur de vastes fonds blancs maculés, une ligne noire évoquant le profil inachevé d’un visage.
L’exposition s’achève ainsi sur une tonalité plus sombre et plus monumentale -l’artiste délaissant peu à peu la peinture de chevalet-, qu’il s’agisse de ses toiles brûlées (« toile brûlée II », 1973), d’un étonnant renoncement à la couleur dont témoigne le vaste « femmes, oiseaux » de 1973 ou encore « [des] oiseaux de proie foncent sur nos ombres » de 1970 peinte sur une peau de vache et où des taches blanches violemment projetées s’opposent à des coulées de peinture noire et au centre de laquelle s’inscrit un signe rouge énigmatique.
A noter en préambule de cette exposition celle proposée par la galerie Lelong à l’automne, sélection d’œuvres sur papier des années 1930-1950.

























