
JEU DE PAUME, Paris, Juin-Septembre 2010
Première rétrospective française dédiée à l’artiste sud-africain, Cinq Thèmes propose un remarquable aperçu de la création tout à fait originale et essentielle de William Kentridge qui, loin de se limiter aux films d’animation faits de dessins au fusain et dépeignant la vie quotidienne pendant l’apartheid qui ont fait sa notoriété, pratique également la sculpture, le collage, la gravure, la performance et réalise des décors scéniques, s’appuyant sur les mécanismes de la perception, les illusions d’optique, les inversions de temporalité ou de tonalité, pour développer une mythologie très personnelle.
Les dessins de Kentridge, composants essentiels de ses films d’animation, fascinent par leur inlassable capacité de métamorphose, cette incroyable aptitude à faire d’un objet à l’écran un dessin et par le dessin un nouvel objet, comme autant de possibles. Réalisés au fusain, souvent rehaussés de pastels de couleurs simples, symboliques et contrastant avec les gris nuancés du fusain (bleu, rouge). Kentridge montre la création à l’oeuvre avec ses gommages, ses estompes, ses strates, ses reprises, l’artiste passant par la photographie de ses dessins pour ensuite les projeter et les animer manuellement tandis que la caméra enregistre la progression du mouvement dans l’image, chaque court métrage se fondant généralement sur vingt à quarante dessins. De fait, ces « dessins pour projection » comme il les nomme permettent à l’artiste de rendre compte de l’écoulement du temps, du souvenir des évènements, de la trace. Parmi les dessins les plus emblématiques de l’artiste, Soleil 24 heures (le Monde en marche) représente un globe porté par deux jambes métalliques qui s’élancent au-dessus des marais.
L’œuvre de Kentridge se caractérise par sa grande qualité graphique, son inventivité, sa narrativité, sa poésie et son engagement politique contre l’apartheid et le colonialisme. Un engagement qui, bien que souvent ancré dans son expérience sud-africaine, se nourrit de nombreuses sources européennes et traite de la guerre, des séquelles de certains régimes politiques, de la mémoire postcoloniale, de la complémentarité entre le Bien et le Mal, de manière beaucoup plus universelle, Kentridge proposant toujours de nombreux points de vue, de nouveaux regards sur les situations historiques ou contemporaines qu’il met en scène.
Je pratique un art politique, c’est-à-dire ambigu, contradictoire, inachevé, orienté vers des fins précises : un art d’un optimisme mesuré, qui refuse le nihilisme.
William Kentridge
Le parcours s’intéresse particulièrement aux dernières réalisations de l’artiste, certaines beaucoup plus intimes, évoquant la relation de l’artiste au monde en renonçant à ses personnages fictifs et en se mettant lui-même en scène dans son processus de création, solitaire (7 Fragments for Georges Méliès, Day for Night, Journey to the Moon, 2003). Le premier thème de l’exposition est de fait l’artiste dans son atelier, avec un hommage au premier réalisateur français qui, comme Kentridge, combine performance et dessin.

Du côté des films d’animation, plusieurs –diffusés dans l’auditorium- mettent en scène un capitaliste avide, Soho Eckstein et son alter ego sensible, Felix Teitlebaum dans la Johannesburg de l’apartheid, objet du second thème de l’exposition. L’artiste anime des dessins au fusain par la technique du stop-motion et le recours à l’improvisation, évoquant dans le même temps, en effaçant et retravaillant inlassablement ses dessins, l’exploitation minière, l’érosion des paysages.
https://www.awn.com/mag/issue3.7/3.7pages/3.7moinskentridgefrch.html
Plusieurs œuvres –constituant les 3e, 4e et 5e thèmes de l’exposition, témoignent de l’influence de la littérature, du théâtre, et de la musique sur Kentridge, qu’il s’agisse d’Alfred Jarry dont il reprend le personnage d’Ubu, image d’un despote lâche et corrompu, dans Ubu et le cortège, en 1975 puis dans une série d’eaux-fortes en 1996 (Ubu tells the truth), Shadow Procession en 1999, premier recours de Kentridge aux techniques de théâtre d’ombres et de figures en papier ; de Mozart (The Magic Flute, 2005,…) ou de Chostakovitch (le Nez, mise en scène de 2010). A partir de l’opéra de Mozart qu’il produit en 2005, Kentridge réfléchit sur le dualisme de la morale des Lumières, le colonialisme justifié comme un moyen de diffuser les Lumières en Afrique. Black Box/Chambre noire, 2005, évoque l’extermination des autochtones Hereros révoltés dans les colonies allemandes de Namibie, What will come (has already come), 2007, inspirée par l’invasion mussolinienne de l’Ethiopie en 1935, est une projection d’images déformées sur une surface plane qui se reconstituent dans un miroir cylindrique et traduit le caractère cyclique de l’histoire.
La projection vidéo Learning the Flute, 2003, à l’origine du projet, fait alterner des dessins au fusain noir sur papier blanc et des dessins à la craie blanche projetés sur un tableau noir en une remarquable méditation sur l’ombre et la lumière.
Le Nez, nouvelle de Gogol, est à l’origine de réflexions sur l’absurde telles que I am not me, the horse is not mine (2008) qui s’interroge sur la fin de l’avant-garde russe et dénonce les procès staliniens à travers un graphisme contrasté, alternance de figures découpées et de fragments d’archives, qui rappelle le constructivisme.





























