Kiefer en majesté

CENTRE POMPIDOU, Paris, Décembre 2015-Avril 2016

Kiefer, Centre Pompidou, Paris_6 février 2016

Derniers jours et nouvelles visites de l’exposition Anselm Kiefer au centre Pompidou. Toujours aussi magistrale ! Une rétrospective qui permet de voir un bon nombre de toiles, d’aquarelles, de « vitrines » et d’installations. L’atmosphère est sombre ; la « peinture », lourde, souvent chargée de plomb, de cendre, de sable, de terre ou encore de paille ; la matérialité des oeuvres, profonde, agressive comme une chair violentée ; les dimensions sont toujours monumentales même si l’artiste refuse ce qualificatif.

Les toiles de Kiefer sont imprégnées de culture germanique (la forêt de Teutobourg lieu de la bataille entre Arminius et le gouverneur romain Varus défait, l’épée de Siegfried tirée de la chanson des Nibelungen etc.), de mysticisme, de philosophie et de religion (notamment le judaïsme suite à plusieurs voyages de l’artiste en Israël). Les références abondent : des hommages à des écrivains et poètes comme Celan, Genet, Rimbaud, Céline, des philosophes comme Heidegger, des artistes tels Van Gogh, Raphaël, les romantiques, des allusions à l’architecture du IIIe Reich et au nazisme car l’artiste refuse l’amnésie ambiante dans l’Allemagne de l’après-guerre et entend affronter ce terrible passé…

La destruction, la ruine, sont omniprésentes dans les toiles mais contrebalancées par une dynamique féroce de création : ainsi dans « Peindre », l’artiste place une palette sur un champ brûlé, marqué par l’Histoire comme pour affirmer la capacité de l’art à sublimer l’horreur ; dans « Seraphim », Kiefer travaille le double sens de ce motif juif, à la fois serpent et ange dont les ailes noires accompagnent l’échelle de Jacob. J’ai particulièrement apprécié, une nouvelle fois, le champ brûlé de tournesols surplombant le corps étendu de l’artiste -posture de yoga du cadavre-, les oeuvres directement marquées par la guerre, laissant place aux tanks, à la terre brûlée, la palette suspendue à une corde, « Lilith » -rare représentation d’une ville- dans la peinture de Kiefer, la série de toiles marquée par l’architecture « néoclassique » nazie en ruine souvent intitulées « au peintre inconnu », etc.

Je terminerai en citant Daniel Arasse cherchant à caractériser le style de Kiefer :

A contre-courant, Kiefer choisit une écriture classique qu’il pratique de façon à la fois ostentatoire et paradoxale.

Une écriture classique par l’importance accordée à l’iconographie, au verbal et en ce que son oeuvre maintient l’idée même de la grandeur de l’art. Un classicisme toutefois paradoxal par l’insistance donnée à la matérialité, l’insertion d’objets, d’éléments du réel, aux dépens de la « dimension fictionnelle » de l’oeuvre mais en se démarquant également de la pratique de la récupération.

Loin d’être choisis au hasard […] ces objets ou matériaux participent à l’iconographie de l’oeuvre […]. Dans leur matérialité, ces objets résistent à leur transformation en signes […] et leur opacité contribue à ce qu[…]’ils manifestent l’inaccessibilité, l’éloignement du sens. […] Kiefer s’approprie donc des pratiques contemporaines pour les détourner aux fins qui étaient celles du « grand art » classique » mais mis en oeuvre de sorte à être « indissociable de sa propre ruine.
Quelque chose de brut….

Arasse, Daniel. Anselm Kiefer. Ed. du Regard, 2007

A voir aussi, les livres d’artiste et installations liées à la Bibliothèque nationale.

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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