Kunstgalerie & wunderkammer, Kunsthistorisches Museum, Wien

Tullio Lombardo, jeune couple, 1505 10

Dès l’entrée au Kunshistorisches Museum de Vienne -né en tant que tel à la fin du XIXe siècle (1891) sous l’équerre de Gottfried Semper et Carl von Hasenauer-, on est saisi par le « Thésée et le centaure » du sculpteur néoclassique Antonio Canova (1805-1819) placé dans le très bel escalier qui mène à la galerie des peintures, commande de Napoléon 1er, puissante composition triangulaire présentant le héros le bras dressé, prêt à frapper le centaure déjà à genoux, symbole pour les Anciens de la victoire de la raison sur la nature, des Lapithes aidés de Thésée sur les Centaures. La galerie se révèle des plus impressionnantes, particulièrement pour les XVe-XVIe siècles, tout en témoignant de ses origines : le collectionnisme habsbourgeois.

Giovanni Bellini, jeune femme à sa toilette, 1515

On retrouve ainsi le goût prononcé des Habsbourg, également sensible au musée du Prado de Madrid, pour la peinture renaissante vénitienne avec d’admirables salles consacrées à Titien (« le Christ et la femme adultère », 1512-1515, d’une incroyable qualité de touche et chaleur de coloris, « Bravo », 1515-20, qui présente un puissant contraste, d’une admirable tension dramatique, entre le personnage de ¾ couronné de laurier, qui se retourne, de 3/4 et l’homme de main de dos armé d’un poignard, « Danaé », après 1554, le marchand d’art « Jacopo Strada », 1567-68, brossé dans une posture dynamique et tout à fait inédite pour l’artiste, une superbe « Lucrèce », de 1515 et la beauté sensuelle de « Violante » accentuée par le traitement nuancé des drapés, 1510-15, typique des « belle donne » renaissantes), Lorenzo Lotto (dont le fascinant « jeune homme devant un rideau blanc », 1508, l’un des premiers portraits psychologiques renaissants par son côté énigmatique, l’artiste -qui mêle par ailleurs coloris vénitien et froideur du dessin allemand-, accentuant en outre les défauts de son modèle tels que son long nez et sa verrue ; Leonino Brembate, 1524-25 ; le triple portrait d’un orfèvre de 1525… ), Bordone (« jeune femme à sa toilette », 1550, dans la tradition des portraits féminins idéalisés vénitiens mais déjà maniérée et virile), Palma Vecchio (« portrait de jeune femme en bleu à l’éventail », 1512-14, elle aussi typique des « belle donne » renaissantes), Pordenone (« portrait d’un musicien », 1515-20), Giorgione (« le garçon à la flèche », 1505, « Laura », 1506, « Les trois philosophes », 1508-1509), Giovanni Bellini (et sa sublime « jeune femme à sa toilette », 1515, pensive, réalisée d’après un antique, harmonie délicate de formes rondes et rectangulaires, de couleurs chaudes et plus froides, qui se contemple dans un miroir, symbole de vanité) ou son beau-frère Mantegna (« st Sébastien », 1457-59, réalisé probablement suite à la peste qui ravagea Padoue en 1456-57, qui porte pleinement la leçon de l’antique de par la nudité sculpturale du saint placé devant une arche en ruines ornée d’arabesques typiquement renaissantes et de grisailles) ainsi que la célèbre « pala san Cassiano », 1475-76, fragmentaire, réalisée par Antonello da Messina pour l’église vénitienne homonyme, prototype de la « sacra conversazione » et premier usage de la peinture à l’huile à Venise.

Pieter Bruegel, chasseurs dans la neige, 1565

On remarque une belle présence des Primitifs flamands et de la Renaissance nordique avec une impressionnante suite de toiles de Peter Bruegel l’Ancien, particulièrement apprécié de l’archiduc Ernest d’Autriche, dont quelques purs chefs d’œuvres tels que « les chasseurs dans la neige » de 1565, premier paysage hivernal de la peinture européenne, janvier dans une série de toiles sur les mois, « la tour de Babel » de 1563, saisissante par le détail porté à son architecture -synthèse d’éléments antiques et romans-, la portée symbolique, l’avertissement biblique du sujet, le travail perspectif, quelques œuvres de Dürer (dont un très beau portrait de vénitienne, 1505, réalisé à l’époque du voyage de l’artiste à Venise), Cranach (« Judith et Holopherne », 1530, symbole alors de la résistance protestante contre Charles Quint ; « Adam et Eve », 1510-20…), Grien (« les trois âges de la vie et la mort », 1509-10), Holbein (dont un admirable « portrait d’un jeune marchand », 1541, typique de la monumentalité des portraits de l’artiste de par la posture, l’expression, les objets emblématiques de sa fonction), Van Orley (« portrait de jeune homme », 1515-20), Joos van Cleve (une fascinante « Lucretia », 1520-1525, qui se suicide après avoir été violée par Sextus Tarquin) et du côté des Primitifs, Van Eyck (« portrait du cardinal Albergati », vers 1435), Rogier van der Weyden (triptyque de la crucifixion, vers 1440, qui rompt avec les polyptyques antérieurs par l’unité nouvelle donnée à la scène, particulièrement par le paysage), Memling, Gérard de Saint-Jean (« lamentation », 1484). Et, d’une plus grande rareté, la présence de peintres à l’origine des débuts de la peinture de paysage : Albrecht Altdorfer (« la mise au tombeau », « la résurrection « ) et surtout Joachim Patinier (« baptême du Christ », 1515) dont très peu de toiles sont conservées.

Bartholomaus Spranger, Glaucus et Scylla, 1580 82

Autre rareté, le musée viennois se distingue par la place consacrée sur ses cimaises à l’Ecole de Prague, soit le courant maniériste né à la cour de Rodolphe II –dont la collection a été réunie, au XVIIe siècle, à celles de Vienne et d’Innsbrück-, avec des artistes tels que Hans von Aachen (« un couple avec un miroir », 1595-1600, des plus suggestifs…), Bartholomaüs Spranger (un admirable « autoportrait », 1580-1585, « Venus et Adonis », 1595-97, « Hermaphrodite et la nymphe Salmacis » et « Glaucus et Scylla », 1580-1582, histoires d’amours malheureux à l’origine de toiles d’une grande sensualité par le dévoilement de la nudité au travers des drapés, les courbes exagérées…,), Goltzius, Arcimboldo…, goût annoncé par des artistes italiens de l’école de Parme et de la Florence maniériste tels que Correggio (les deux pendants « Jupiter et Io » et « l’enlèvement de Ganymède », 1530, annonçant déjà par leur mouvement, leurs raccourcis audacieux, l’illusionnisme baroque), Parmigianino (dont le surprenant autoportrait au miroir qui sème volontairement le trouble entre l’image et son reflet et interroge la capacité à l’illusion sinon à la tromperie de la peinture) -artistes dont Spranger fut l’élève à Parme- ou Bronzino (« ste famille avec ste Anne et le petit st Jean Baptiste », 1540).

Le XVIIe siècle, quoiqu’un peu plus faible, est représenté par de remarquables portraits et autoportraits de Rembrandt (particulièrement celui de 1652), une belle série de Ménines de Vélasquez, un Vermeer de toute beauté (« l’art de la peinture », 1666), un très beau « portrait d’homme » du caravagesque Nicolas Régnier (1620), des Rubens de belle qualité dont la sanglante « tête de Méduse », 1617-18, une « lamentation » de 1614-15…ou encore le fascinant suicide de Cléopâtre de Cagnacci (après 1659), qui associe avec brio le classicisme de la posture de l’héroïne et le réalisme expressif des servantes qui l’entourent. Le musée étant le fruit du collectionnisme impérial -dont une part est toutefois conservé dans d’autres espaces (instruments de musique, armes, trésor…), il comprend comme il se doit à l’époque classique un ensemble d’antiques (sculptures, sarcophages à bas-reliefs, vases…gréco-romains) mais se démarque bien davantage par ses salles héritières de la Kunstkammer impériale, réunion de plus de 2000 objets précieux dans près d’une vingtaine de salles.

Benvenuto Cellini, salière

La Kunstkammer, ou wunderkammer, tel que le studiolo italien ou le cabinet de curiosités était, pour le collectionneur, un espace expérimental, un lieu d’étude, de connaissance plus que de prestige, réunissant toutes sortes d’objets précieux et visant, dans l’utopie d’encyclopédisme humaniste, à restituer la richesse du monde, représenter toutes les créations de la nature comme de l’art (artificalia et naturalia) et de la science. Là, parmi nombre de vases dans les matériaux les plus luxueux (lapis lazuli, or, argent, céramique…), petits bronzes, ivoires, émaux, instruments scientifiques, on peut contempler quelques chefs-d’œuvre dont la merveilleuse salière de Benvenuto Cellini, commande de François 1er, seule création en or (et émail, bois, ivoire, 1540-1543) de l’orfèvre florentin, allégorie du Cosmos représentant Neptune et Tellus soit la mer et la terre accompagnés des heures du jour et des vents sur la base, le merveilleux « jeune couple » de Tullio Lombardo, 1505-10 ou la surprenante vanité en bois peint de Michel Erhart, 1470-80.

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