La Brera : Scuole ferrarese e lombarde

Bernardino Luini, ninfe al bagno, 1514_Brera, Milano_22 décembre 2021

De l’école de Ferrare, par-delà un petit Cristo crocifisso de Cosme Tura (1479) d’une grande expressivité en dépit de son caractère fragmentaire, je retiendrai principalement les deux panneaux du polyptyque Griffoni réalisé pour une chapelle de san Petronio de Bologne conservés à la Brera, œuvres de Francesco del Cossa (1480-73). Les deux saints dépeints, Jean-Baptiste et Pierre, ont la solidité de sculptures polychromes, le fragment de sol qui les isole tenant le rôle d’un socle, tandis que derrière eux se déploie un paysage fantastique, rocheux, ponctué de ruines.

D’Ercole de Roberti, autre main du polyptyque Griffoni, est exposée la pala Portuense réalisée pour l’église santa Maria in Porto Fuori à Ravenne (1479-81). Sous une architecture somptueuse, la Vierge à l’Enfant trône, flanquée de Sainte Anne et Elisabeth, sur un podium octogonal dont la base est ornée de scènes en grisaille imitant le bronze (massacre des Innocents, adoration des Mages, présentation de Jésus au Temple). Les saints Augustin et Pietro degli Onesti sont dépeints de part et d’autre du trône. Première œuvre documentée de Roberti, elle témoigne, malgré l’influence de Tura, Cossa, Bellini et da Messina, d’un style propre aux formes solides et mesurées, d’une monumentalité classique.

Du côté de l’école lombarde, outre quelques panneaux d’un grand raffinement du peintre gothicisant Bonifacio Bembo (San Giuliano et san Giacomo Maggiore, vers 1450), une Vierge à l’Enfant avec les saints Joseph et Siméon d’Andrea Solario (1495), dont l’art témoigne de différentes influences (référence vincesque, couleurs vénitiennes, précision flamande) et une Vierge à l’Enfant avec les saints Jacques et Philippe et la famille Busti de Bernardo Zenale, également marqué par Vinci d’après la physionomie de la Vierge et le rendu du paysage (1515-18), un ensemble de fresques déposées de Bernardino Luini et de Vincenzo Foppa retient l’attention.

Vincenzo Foppa, madonna col bambino e i santi Giovanni Battista ed evengelista, 1485_ Brera, Milano_22 décembre 2021

Vincenzo Foppa a réalisé la fresque de la Vierge à l’Enfant avec les saints Jean-Baptiste et Jean Evangéliste (1485) pour la sacristie de Santa Maria di Brera. Si seul un fragment du décor a été conservé, on note l’influence d’Alberti (sant’Andrea de Mantoue), de Bramante et des arcs de triomphes romains dans la voûte en berceau ornée de marbres colorés, les pilastres et les médaillons ponctués de profils sculptés à l’antique qui structurent la scène, l’artiste accentuant l’illusionnisme de la perspective par un traitement « da sotto in sù ».

Bernardino Luini, il corpo di santa Caterina trasportato dagli angeli 1514_ Brera, Milano_22 décembre 2021

S’il est difficile de retrouver le sens du cycle de fresques réalisé par Bernardino Luini pour différentes pièces de la villa Pelucca (1520-23), c’est qu’elles n’ont été que partiellement et arbitrairement déposées. Leur qualité n’en est pas moins manifeste dans des scènes représentant par exemple les nymphes au bain ou le transport du corps de sainte Catherine par des anges. Il émane de ses formes simples et équilibrées, ses rythmes doux, ses couleurs raffinées, une réelle poésie. L’aspect de la chapelle de san Giuseppe de Santa Maria della Pace à Milan pour laquelle a été réalisé le cycle des histoires de la Vierge et de saint Joseph de Luini (1520-21), marqué par Bramantino et Zenale, a en revanche été reconstitué à la Brera.

Giulio Cesare Procaccini, sposalizio mistico di santa Caterina, 1616 20_ Brera, Milano_22 décembre 2021

Du XVIIe siècle, je retiendrai le mariage mystique de sainte Catherine de Procaccini (1616-1620), étonnant par le choix d’une composition très resserrée sur les personnages saints, dans l’esprit de l’ »horror vacui » maniériste. Une synthèse réussie entre la grâce d’un Correggio et d’un Parmigianino et certaines compositions d’Andrea del Sarto qui n’est pas sans annoncer la grandeur baroque.

Plus intime et austère que la première version du sujet conservée à la National Gallery de Londres, la Cène à Emmaus de Caravaggio (1606) se situe dans une taverne, avec pour témoin un aubergiste et une vieille femme debout derrière la table où le Christ est dépeint de face avec deux de ses disciples surpris, tournés vers lui. Après la Crucifixion, le Christ apparaît en effet à deux de ses disciples, sur le chemin d’Emmaüs, et se fait reconnaître d’eux. Le Christ lève la main droite au-dessus du pain rompu sur la table pour bénir le repas. La riche nature morte de la première version laisse place à du pain, une assiette en fer blanc et une cruche. Les attitudes et gestes ne sont plus emphatiques mais retenus, les éléments picturaux sont simplifiés, la peinture, dépouillée, intériorisée. Les corps, les gestes et expressions des protagonistes sont particulièrement mis en exergue par la lumière dure qui les inonde, tandis que l’intérieur de la taverne demeure plongé dans l’obscurité.

Si la composition centrale s’inspire des toiles sur le même thème de Titien (Louvre), Moretto da Brescia (Brescia) ou Véronèse (Louvre), le chiaroscuro, l’usage de la lumière et le réalisme du traitement sont propres à Caravaggio.

Peintre lombard du XIXe siècle, d’origine vénitienne et dans la mouvance romantique, Francesco Hayez est bien représenté dans les collections de la Brera et la qualité de son Baiser (1859) est incontestable. Créé pendant le Risorgimento, le Baiser, par-delà l’audace de la représentation du sujet, témoigne de la vitalité de la jeune nation naissante et de l’amour de la patrie rappelée par les couleurs symboliques des vêtements. Réalisée entre 1840-42 et d’une remarquable qualité picturale, la Mélancolie d’Hayez adopte les traits d’une superbe femme et s’inscrit dans la tradition des sibylles et Cléopâtres de la peinture émilienne du XVIIe siècle. Le traitement de la robe évoque toutefois les effets de matière des maîtres vénitiens tandis qu’un superbe bouquet renvoie aux natures mortes flamandes et, par la présence de fleurs fanées, à la vanité de l’existence.

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