CENTRE POMPIDOU, Paris, Février – Avril 2019

Le programme « Mutations / créations » du centre Pompidou pose un regard singulier sur la création, l’ancrant dans l’évolution technologique et scientifique contemporaine. Après « coder le monde » en 2018, consacrée à l’impact du numérique sur les arts, https://www.facebook.com/instantartistique/posts/703041986696218, « la fabrique du vivant » se penche sur les interactions entre biotechnologie et arts. Le parcours se décline en quatre temps : un design usant de bio-matériaux durables et écologiques (champignons, algues, bactéries, viande décellularisée, cire d’abeille… ) tout en s’inspirant formellement du vivant (biomimétisme) ; une architecture modélisant le vivant et sa croissance évolutive à l’aide de processus de conception numériques ; la recherche de nouvelles matérialités ; la programmation du vivant. Ma sélection…

Studio Libertiny_the honeycomb vase, 2017 
Isaac Monté_the meat project, 2015 
Carole Collet, mycelium textiles
Du côté du design, la plupart des propositions usent de bio-matériaux témoignant d’une volonté de réemploi ou d’alternative aux matériaux polluants. On peut ainsi noter l’admirable « mycelium chair », 2012-18, et les récipients raffinés du studio Klarenbeek & Dros ou les objets fonctionnels du studio Officina corpuscoli réalisés à partir du même matériau ; le délicat « honeycomb vase », 2017, du studio Libertiny, créé par des abeilles à partir d’une structure légère proposée par l’artiste, et qui met en exergue un processus naturel lent et respectueux de l’environnement à rebours de la rapidité technologique ; les créations textiles souples et biodégradables à base de mycélium de champignons, déchets de café, fibres naturelles de Carole Collet ; la délicate vaisselle à base d’algue de Samuel Tomatis. Les étonnants luminaires d’Isaac Monté, qui tentent de sensibiliser à la surconsommation de viande, sont réalisés à partir de viande décellularisée en laboratoire et dont le traitement donne lieu à un matériau blanc et moulable (« The meat project », 2015). Leur font écho la série d’objets réalisée à base de mycélium et de fibres végétales, réemploi des déchets d’une industrie textile locale, par Jonas Edvard, « MYX », 2013-2019 : lustre, tabouret… ; ou encore les lampes de Julia Lohmann (« ruminant blooms », 2004-2019), réalisées à partir d’estomacs de mammifères, entre attraction et répulsion. Le studio Formafantasma propose quant à lui une alternative au plastique au travers de vases en polymères végétaux ou animaux (« Botanica » 2011-18). D’autres artistes s’inspirent de phénomènes naturels tels que la bioluminescence ou la thermophorèse.
L’architecte et designer Daan Rossegaarde propose ainsi une installation vidéo (« glowing nature », 2017-2018) réalisée à partir d’algues bioluminescentes présentées comme une source alternative de lumière. La bioluminescence est également à l’œuvre dans la « half life lamp » (2010) du designer Joris Laarman, alimentée par des cellules enrichies en luciférine, issue d’un enzyme présent chez la luciole. Tim van Cromvoirt déploie quant à lui une installation faite de poudre métallique, de résine et de pigments thermochromiques évoquant la thermophérèse, migration de particules fonction de la température de l’environnement et pouvant donner lieu à des modulations de coloris. Enfin, quelque peu atypique, la vidéo de Perry Hall anime quant à elle un matériau traditionnel : la peinture (« turbulence drawing system », 2014), à l’aide d’ondes sonores et de fluides magnétiques, évoquant tant l’histoire de la peinture –notamment l’action painting- qu’un micro-organisme.

Tim van Cromvoirt_Thermophores, 2019 
The living David Benjamin_living bricks, 2019
Relevant davantage de l’architecture, « bioreceptive concrete wall », 2017-19, constitué de panneaux de béton et de liège ensemencés d’algues, de mousses, de lichens, s’efforce de proposer des réponses aux enjeux climatiques actuels. Le matériau obtenu est suffisamment poreux pour permettre une rétention d’eau et une végétalisation autonome du bâtiment (Marcos Cruz). Ou encore « Living bricks », 2019, de David Benjamin, arche élaborée à partir de briques de déchets agricoles et de mycélium qui ouvre le parcours. « Somehow, they never stop doing what they always did », 2019, très belle installation de Julian Charrière évoquant des archétypes architecturaux, est constituée de briques de plâtre et de fructose et lactose humidifies par l’eau de grands fleuves. L’artiste donne ainsi à voir le processus de dégradation, l’action de l’organique et du temps sur la matière. Sa proposition voisine avec les sculptures en métaux se dégradant dans un bain électrolytique de Berrada, actuellement exposé galerie Mennour, et le « regenerative reliquary d’Amy Karle, 2016, sculpture en forme de squelette de main plongée dans un bioréacteur.
Du côté de la « programmation du vivant », on peut relever les remarquables textiles biologiques développés par la designer Natsai Audrey Chieza afin de proposer des matériaux alternatifs à l’industrie de la mode (« Project coelicolor : scale, 2017-2018 ») et dont les teintes, produites à l’aide de bactéries, varient en fonction des conditions d’incubation. Cette proposition dialogue singulièrement avec les « Aguahoja Artifacts », 2015-2018 conçus numériquement à partir de composants moléculaires par un groupe de recherche du MIT en reproduisant des phénomènes naturels, ainsi que les pièces de cristaux de Tokujin Yoshioka. Une exposition qui donne à penser à défaut d’émouvoir et mérite le détour, tandis qu’on peut esquiver l’exposition consacrée à l’artiste brésilienne Erika Verzutti.









