Outre de remarquables Luca Giordano (marqué par le ténébrisme d’un Ribera), Lorenzo Credi –une œuvre de jeunesse, le tondo de l’Adoration de l’Enfant de 1480- Palma Vecchio ou encore Vincenzo Catena (Judith, vers 1520), le palazzo Querini-Stampali renferme la magistrale « présentation de Jésus au temple » de Giovanni Bellini, œuvre très proche de celle d’Andrea Mantegna conservée à Berlin, toutes deux peintes dans les années 1450-60.
Les deux artistes, unis par des liens familiaux –Mantegna épouse la demi-sœur de Giovanni, Nicolosia, en 1453- et artistiques, étaient tout à la fois amis et rivaux, malgré des débuts très différents, l’un comme fils de menuisier, le second issu d’une grande famille d’artistes vénitienne. Quoique chacun développe un style propre, Mantegna se singularisant par ses formes sculpturales, sa grande maîtrise de la perspective et maints détails architecturaux dans des paysages durs, analytiques, minéraux, Bellini privilégiant la couleur et la lumière pour définir des paysages harmonieux en dialogue avec le récit et les personnages et pour donner vie et douceur à ses corps faits de chair et de sang, traduire une chaleur émotionnelle, leur œuvre respective n’en révèle pas moins nombre de collaborations et d’influences réciproques. La première toile aurait été peinte par Mantegna pour célébrer son mariage, d’où l’insertion de son autoportrait et de celui de sa femme.
Au premier plan de la Présentation, le coude prenant appui sur un rebord de marbre, la Vierge tient l’Enfant emmailloté, d’inspiration donatellienne, tandis que le grand prêtre –dont l’expressivité brutale doit à Squarcione dans l’œuvre de Mantegna, ce qu’atténuera Bellini- tend les mains pour le prendre. Sur les côtés et au centre, on peut identifier, un peu en retrait, Nicolosia et Andrea Mantegna et Jacopo Bellini sous les traits de St Joseph.
Bellini reprend pour l’essentiel les personnages et la composition de Mantegna, remarquable en ce qu’il s’agit de la première représentation de demi-figures dans un espace unifié, comme une frise théâtrale. Toutefois, tandis que ce-dernier enferme la scène dans un cadre, détachant les figures dans l’éternité d’une vision absolue et tenant le spectateur à distance de la scène religieuse –bien que la pose raccourcie de l’Enfant et son placement sur le rebord de marbre le projette dans l’espace du fidèle-, Bellini l’ouvre, l’aère davantage par l’ajout de deux personnages (la prophétesse Anne et Jean), le remplacement de la fenêtre par un simple parapet, l’introduction d’un plan médian. Il réduit ainsi l’austérité au profit d’une certaine intimité. Si les figures latérales gardent une certaine rigidité, placées derrière la Vierge et st Siméon, la Vierge et St Siméon acquièrent une plus grande importance, les lignes qui dessinent leur cou et leur dos convergent et ne sont plus cachées par les côtés verticaux du cadre de marbre de Mantegna. Le jeu des blancs et rouges en alternance, une plus grande finesse de modelé, répondent par ailleurs aux couleurs solides et au trait acéré de Mantegna.
Il ne s’agit pas de la seule « répétition-transformation » bellinienne de Mantegna, si l’on songe aux deux oraisons au jardin des Oliviers de la National Gallery de Londres.
Le palazzo accueille par ailleurs dans ses espaces magistralement repensés par Carlo Scarpa un ensemble de pièces de Giovanni Anselmo, protagoniste de l’Arte povera, toute d’épure et de finesse. L’artiste met en dialogue visible et invisible, matériaux naturels ou industriels et champ magnétique, temps, mouvement, énergie…Ainsi la pierre sur laquelle est inscrit « visible » n’est qu’une part de l’œuvre intitulée « invisible ». L’artiste a retiré la partie comportant le préfixe, nous rappelant ainsi que l’invisible n’est que la part manquante du visible, le visible qu’on ne peut voir.
Voir aussi https://www.instantartistique.com/de-la-necessite-de-lart-41e-jour/