NUIT BLANCHE, Paris, 5 octobre 2019

En dépit d’une thématique qui n’était pas pleinement pour me convaincre : une nuit blanche axée sur la mobilité, cette nuit blanche 2019 réservait quelques belles découvertes et j’éprouve toujours le même plaisir à arpenter les rues de Paris la nuit en quête de quelques œuvres, quoiqu’une tendance au spectaculaire et au festif s’affirme année après année. La mobilité, aux yeux du directeur artistique de cette nouvelle édition de la nuit blanche, Didier Fusillier (directeur de la Villette), m’a semblé un concept bien plus politique qu’artistique, soucieux non pas tant de s’inscrire dans une riche tradition artistique de la représentation du mouvement, du baroque au futurisme et à l’art cinétique, en passant par les séries photographiques de Muybridge, les mobiles de Calder et certaines œuvres de Duchamp…, que dans la perspective des jeux olympiques de 2024 ! (non que le sport ne soit digne d’intérêt et parfois d’admiration mais associer art contemporain et sport sous la même notion de loisirs me semble des plus réducteurs pour les deux « disciplines ») tandis que l’extension des propositions au-delà du périphérique, tout aussi politique, semblait vouloir intégrer à l’évènement ce Grand Paris soi-disant en genèse…
Le cœur politique de Paris, l’hôtel de Ville, m’a semblé dans cette perspective assez caricaturale, avec le bal blanc d’Alain Fleischer, directeur du Fresnoy pourtant grand spécialiste de l’image animée, projection d’images cinématographiques évoquant la danse par une technique d’assemblages à la Christian Marclay mais en beaucoup moins talentueux sur les murs de l’hôtel de ville et sur une foule de participants vêtus de capes blanches, se déhanchant sur une musique plutôt exaspérante. Un soi-disant hommage à Man Ray…
Fort heureusement, le parcours offrait des œuvres de meilleure tenue, en commençant par une parade surprenante, hétérogène et poétique, suite d’œuvres monumentales sur chars, sur roulettes ou gonflables ponctuées par les prestations imaginées par la philharmonie de Paris (cornemuses écossaises, bagad breton, batucada brésilienne…). La parade démarrait avec d’admirables pièces des plasticiens volants, compagnie de théâtre de rue : des êtres hybrides aux allures équestres, évoquant la mythologie populaire ou antique (Pégase ?), bourrés d’air et d’hélium et survolant la foule tout en flirtant avec les immeubles haussmanniens. Parmi les interventions remarquables : « la nuit blanche des animaux » d’Annette Messager, théâtre d’ombres quelque peu cauchemardesque où des êtres hybrides, poussant des cris d’animaux, s’agitaient ou dansaient derrière le voile blanc d’une tente ; « les Géants » de Léonard Martin, plus proches de l’imaginaire d’un Rabelais, d’un Cervantes et des romans de chevalerie tant appréciés aux débuts de la Renaissance que d’un Uccello même si ces figures seraient inspirées de la bataille de san Romano : des silhouettes de cavaliers de polycarbonate entre dessin et sculpture, d’où il émane une certaine fragilité loin des volumes fermes et géométriques du peintre florentin ; tandis que Pilar Albarracin reconduisait pour cette nuit blanche sa performance « en la pied del otro » présentée au musée Picasso pour l’anniversaire de Guernica.

Autre proposition incontournable à mes yeux de cette nuit blanche : le musée d’art et d’histoire judaïsme présentait trois œuvres de William Kentridge, « The Flood », 2016, extrait de la frise « Triumphs and Laments » présentée par l’artiste au bord du Tibre et évoquant, sous la forme d’un triomphe antique, l’histoire romaine, « Silhouettes » (2014-15), accessoires relevant également du projet romain de Kentridge et utilisés dans le cadre de ses processions inaugurales, «Shadow Procession » (1999), théâtre d’ombres animé typique de l’artiste qui dépeint l’exode de populations.https://journals.openedition.org/temoigner/799?lang=en
Guillaume Marmin, glory moon_église st Merry Keji Yamauchi, lumière de prière_église st Severin
L’église st Merry accueillait à nouveau -on se souvient de « children of the light » en 2017- une œuvre susceptible de révéler et sublimer sa remarquable architecture du XVIe siècle et renvoyant particulièrement à la gloire des frères Slodtz conservée dans le choeur, « glory moon », de Guillaume Marmin. Une œuvre hypnotique, lumineuse et sonore, constituée d’un disque lumineux placé dans le chœur et d’où partent 200 faisceaux de LED blancs qui inondent par à-coups la nef et ses spectateurs et sculptent de lumière la voûte et ses piliers. Une proposition fascinante quoique, par son épure géométrique, des plus minimalistes. Une proposition bien différente de celle de Keji Yamauchi, « lumière de prière », en l’église st Séverin, quoique ce-dernier comme Marmin travaille avec la lumière pour redessiner l’architecture gothique alentours. L’artiste japonaise investissait le déambulatoire et sa forêt -« palmeraie » faite de dix doubles travées de piliers originaux en forme de palmier-, de projections délicates, oniriques, s’inspirant de la nature et s’efforçant de refléter l’émotion religieuse.
La nuit blanche était par ailleurs l’occasion de découvrir des lieux rarement ou jamais révélés au regard, tels que la chapelle de la congrégation du Saint Esprit, achevée en 1778 par l’architecte Chalgrin dans un esprit baroque et malheureusement ornée de peintures au XIXe. Cet espace étonnant accueillait « la nuit sans lune » des artistes luxembourgeois Martine Feipel et Jean Bechameil, représentants du Luxembourg à la biennale de Venise de 2011. Une vaste cloche renversée sur le sol diffusait d’assourdissantes données sur les déchets de la société contemporaine, la déforestation…incitant à la réflexion.https://www.lequotidien.lu/…/moolight-solitude-une…/
Ou encore l’étonnant collège des irlandais, terrain de jeu d’Ursula Burke pour quelque temps. Un travail multiforme mais relativement épuré, mêlant broderie, porcelaine aux allures de marbre, peinture, dessin, s’inspirant de l’histoire de l’art (les fresques romaines de la Villa Livia, la Dame à la licorne) tout en évoquant les tensions latentes, les abus de pouvoir, dans l’Irlande du Nord actuelle.



