La nature surréelle d’O’Keeffe

Georgia O Keeffe, Abstraction white, 1927

CENTRE POMPIDOU, Paris, Septembre – Décembre 2021

Making your unknown known is the important thing – and keeping the unknown always beyond you- catching, crystallizing your simpler, clearer vision of life.

Georgia O’Keeffe

A l’image de la rétrospective Baselitz, celle que le Centre Pompidou consacre simultanément à l’artiste américaine Georgia O’Keeffe ne m’a guère convaincue. Quoique son approche, également entre figuration et abstraction, soit très éloignée de la brutalité grossière du peintre allemand, ses formes bien définies par des lignes souvent courbes se détachent souvent dans une gamme de couleurs irréelles, pour ne pas dire surréalistes, nous laissant quelque peu à distance.

Ce sont d’ailleurs les toiles les moins représentatives peut-être de l’artiste, les plus sombres ou abstraites (« Abstraction white », 1927, «  black abstraction », 1927, « bear lake, new Mexico », 1930, « black place III », 1944, « road to the ranch », 1964, «  storm cloud, lake George », 1923, « Winter road I », 1963) ainsi que ses aquarelles (« blue II », 1916 ; evening star n°VI, 1917) et fusains (« special n°9 », 1915, fusain évoquant la croissance et les mouvements de la nature par des formes abstraites), qui m’ont semblé les plus captivantes.

Alfred Stieglitz

Photographe avant-gardiste, Alfred Stieglitz était également galeriste et co-fondateur de la Galerie 291. Le parcours débute par l’évocation de cette galerie new-yorkaise à l’origine des premières expositions américaines de Rodin, Matisse, Picabia, Cézanne et Brancusi. Georgia O’Keeffe y découvre les mouvements novateurs de l’art moderne européen, Kandinsky dont la galerie traduit du « Spirituel dans l’art » et y rencontre son futur mari. O’Keeffe se reconnaît dans l’esthétique du peintre russe dont le symbolisme réunit sentiment romantique de la nature et « procède d’une nécessité intérieure de l’âme ». Elle en retient également la correspondance entre couleurs et sensations (le rouge « couleur d’une vie ardente », « le vert absolu, la couleur la plus calme qui soit »,« le jaune typiquement terrestre » etc).

Un rapprochement pertinent entre les aquarelles de nu tout à la fois lyriques et érotiques d’O’Keeffe où la couleur se libère toutefois de la ligne (« Nude series VIII, 1917) et les dessins d’une grande sensualité de Rodin (« femme nue sur le dos de face et les jambes repliées et écartées) témoigne de l’impact du sculpteur sur l’artiste américaine. On songe également à l’inspiration végétale de l’Art nouveau, au sentiment du sublime des paysagistes américains du XIXe siècle, à l’évolution vers l’abstrait et la synthèse formelle d’un Arthur Dove.

Des fusains ou encres de chine d’O’Keeffe voisinent avec les photographies épurées de Stieglitz telles que « snapshot, in the New York central Yards », 1903. De la photographie d’avant-garde, O’Keeffe retiendra le blow up (agrandissement) qu’elle appliquera aussi bien dans ses vues de gratte-ciels que dans ses toiles de fleurs dépeintes en gros plans, valorisant le pistil cerné de volutes colorées et non sans évoquer le sexe féminin, même si l’artiste s’en défend.

S’ensuit un accrochage assez ouvert et chronologique présentant le travail d’O’Keeffe et les différents motifs qui l’inspirent : plaines texanes dans les années 1910 (evening star n°VI, 1917), villes et paysages ruraux de l’Etat de New-York des années 1920-1930 (gratte-ciels new-yorkais de « the Shelton with sunspots », New-York, 1926, qui exaltent la modernité et la dynamique verticale urbaines tout en semblant dominés par les astres dans une vision panthéiste très personnelle, grange de Lake George, « storm cloud, Lake George », 1923), ossements d’animaux des déserts indiens pendant la guerre en résonance avec certaines toiles de Dali (« Pelvis with a distance », 1943 ; «  Ram’s head, white hollyhock-hills », 1935), paysages du Nouveau-Mexique où elle s’installe après la 2e guerre mondiale.

Georgia O’Keeffe, black abstraction, 1927

Au fil du parcours, on ressent une tension entre figuration et abstraction, une figuration quelque peu outrée, aux lignes minimales, aux aplats de couleurs irréelles, une tendance à l’abstraction « hard edge » (caractérisée par la brutalité des transitions entre les zones de couleurs) qui se ressent dans le travail formel à l’œuvre dans les peintures de fleurs et plus encore dans des toiles radicales comme « Black abstraction », 1927 où un délicat petit point blanc se love dans une ligne creuse sur un fond noir ou dans la très belle « Abstraction white » de la même année, toile au format portrait étroit à dominante de blanc et de noir évoquant les plis d’un drapé ou d’un végétal d’une remarquable sensualité que rehaussent quelques touches de bleu et de pourpre.

A la fin des années 1930, l’artiste découvre une chaîne de collines en pays navajo qu’elle nomme « The Black Place » et décline dans nombre de toiles de plus en plus abstraites, retenant particulièrement une crevasse irrégulière entre deux collines érodées comme une nouvelle origine du monde, l’artiste humanisant les formes naturelles. Ce minimalisme formel marque également les dernières toiles de l’artiste inspirées du patio de sa maison au Nouveau Mexique –faisant contraster la structure en terre, la porte noire du patio et l’infini du ciel dans un jeu de plein et de vide (« my last door », 1952-54)- ainsi que de vues aériennes, de routes traversant le désert, de rivières fuyant dans le paysage et dépeignant des lignes sur de grands aplats colorés (« road to the ranch », 1964, «  pink & green », 1960, «  winter road I »,1963).

Georgia O Keeffe, blue II, 1916, aquarelle

La nature est indéniablement le sujet premier, essentiel, de l’artiste qui y projette ses sensations et ses pensées. O’Keeffe s’efforce d’atteindre « l’inexpliqué de la nature, qui me fait sentir combien le monde dépasse de loin mon entendement – de comprendre peut-être en le traduisant par des formes. D’accéder au sentiment de l’infini sur une ligne d’horizon ou par-delà les collines avoisinantes ».

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