La sphère de Skoda, entre science et art

Vladimir Skoda, deux points, 1995-2018_Skoda_galerie Gastaud_11 decembre 2021

GALERIE GASTAUD, Paris, Décembre 2021-Janvier 2022

Sphères, spirales, cubes, polyèdres, pendules, miroirs vibrants, polis ou réfléchissants, tel est le vocabulaire géométrique, céleste et épuré de l’artiste d’origine tchèque Vladimir Skoda, les éléments par lesquels il expose les résultats de ses recherches cosmiques, entre science et art. S’il a été donné au public parisien de contempler çà et là quelques oeuvres de Skoda (Art Paris 2016, Drawing now et FIAC 2018, FIAC 2019…), la dizaine de pièces, sculptures, gravures et dessins, actuellement présentée par la galerie Gastaud, Paris, permet, par sa diversité et sa cohérence interne, une meilleure appréhension d’un œuvre entre science et art, peu à peu centré sur le motif de la sphère. 

Vladimir Skoda_Art Paris 2016

J’ai toujours été intrigué par les métiers de la forge. Sculpter la terre, c’est ajouter de la matière, mais modeler le métal, c’est la transformer. Quand j’ai commencé à travailler le métal, j’étais obsédé par la forme. Et en même temps j’aime la matière, c’est de l’or brut. J’étais fasciné par l’astronomie et les scientifiques comme Kepler, ou Léon Foucault. Alors j’ai choisi la sphère. J’avais donc évacué la question de la forme, en me consacrant à celle-ci, depuis 1988. Aujourd’hui je ne peux pas m’en débarrasser, elle est beaucoup trop ancrée.

Vladimir Skoda

Formé au travail du métal dans l’ancienne Tchécoslovaquie, beau-fils d’un peintre (Josef Vacke), neveu d’un forgeron, Skoda étudie le dessin et la peinture puis s’installe en France en 1968 et se tourne vers la sculpture, rejoignant particulièrement l’atelier de César aux Beaux-arts de Paris, s’intéressant aux avant-gardes (Arte Povera, art minimal, Antiforme, Process art…), à la relation entre la masse et la matière. Dès 1975, il pratique la forge, fasciné par le changement d’apparence du métal avec la chaleur – « En sortant de la forge, tout objet incandescent, toute matière en fusion, est comme un soleil, non pas le disque visible, mais la sphère qu’on ne voit pas »-, source de questionnement sur la matière, l’énergie.

Dès que je me suis intéressé à l’art, j’ai porté mon attention principalement sur l’exactitude et la précision d’observation de la nature et du cosmos. Je décrivais d’abord le volume du modèle avec le trait, ensuite par le fil de fer. Jusqu’au moment où je me suis rendu compte, d’abord inconsciemment et ensuite consciemment, que le trait est une fiction. Ce qui existe réellement c’est la masse, la matière. La tête est avant tout une sphère.

Vladimir Skoda

Passionné par la géométrie, l’astronomie, la cosmologie, les mathématiques, la physique, l’optique, et marqué par Boullée, Rodin (« Rodin m’a beaucoup influencé. Je comprends les choses en les touchant »), Morellet ou encore la gravure sur bois anonyme de l’Universum, le motif de la sphère apparait bientôt dans son travail, « forme la plus parfaite qui existe », forme de prédilection de l’artiste depuis lors et moyen de sonder la nature et le cosmos, de positionner l’œuvre dans l’univers, d’interroger notre relation à l’espace, au mouvement, à la relativité du temps, le rapport entre intériorité et extériorité. Les sphères de Skoda sont souvent disposées dans l’espace comme des constellations, plus ou moins parfaites, polies ou rugueuses, dotées d’une surface réfléchissante ou mate, tout à la fois denses et légères, l’artiste sondant leur forme et les évolutions et altérations de leur forme dans l’espace, se confrontant à la puissance et à la résistance de la matière.

Vladimir Skoda, Galileo – Galilei

Il y a dans mon travail une dimension cosmogonique… Le carré m’apparaît comme la figure de l’artefact, alors que le mouvement même de la matière, de l’énergie et de la gravité tend à infléchir l’univers vers le sphérique. Je crois presque intuitivement que la courbe, le sphérique et l’elliptique sont le propre de l’univers, à la différence du géométrique humain. 

Vladimir Skoda

Il intègre peu à peu dans ses sculptures en acier d’autres matériaux métalliques tels que du cuivre dont il polit ou grave la surface et joue sur les divers aspects du métal, rugueux ou martelé, entaillé ou creusé, rouillé ou poli, divers procédés (interactivité, magnétisme, polarité, installations lumineuses…). Ses surfaces évoluent par ailleurs du noir absorbant à une surface lisse puis réfléchissante, nous proposant une image déformée de l’espace extérieur qui n’est certes pas sans évoquer les miroirs réfléchissants d’Anish Kapoor, sa façon d’activer l’espace tout en l’inversant et le plaçant dans notre champ de vision, dans « Sky mirror », disque d’acier inoxydable poli.

Vladimir Skoda, dans la lignée de Brancusi, parvient à confondre vérité universelle et esthétique formelle dans la facture sculpturale de formes sphériques, concaves et convexes, concentriques et courbées. Et si dans l’espace nulle gravité, nulle résistance ne vient s’opposer au mouvement, si, à l’origine du monde, le lieu et le temps ne font qu’un, c’est dans cette harmonie froide achevée que toute l’oeuvre forge sa formidable trempe. 

Frédéric Bouglé, Pluie sidérale. Le Creux de l’Enfer, 2005

L’artiste introduit par la suite le mouvement oscillatoire et régulier, s’inspirant du pendule de Foucault, dont le reflet mouvant s’inscrit dans un miroir concave poli et réfléchissant (« l’hommage à Foucault », 1994-95, « Badria », 1996, « Kora », 1995-1996), exprimant la dynamique de l’univers. Dans cette dernière pièce, le mouvement du pendule modifie les formes du reflet jusqu’à ce que le miroir, entièrement rempli par la couleur noire, suggère un trou noir dans l’espace. Dans « Galileo – Galilei », présentée dans l’exposition, la dynamique du pendule associée à l’emploi du miroir concave poli produit une déflagration qui dématérialise l’objet réfléchi dans le mouvement qui le rapproche du miroir.

Miroir du temps vibrant 1999 2001, Skoda_galerie Gastaud_11 decembre 2021

Les reflets fugaces de la lumière et de l’espace environnant supplantent peu à peu la densité tangible de la matière. Le mouvement vibrant (« Miroir du temps (vibrant) 1999-2001) et tournant du miroir donne une image déformée, parfois inversée, du réel et une vision de l’infini et du mouvement omniprésent dans l’univers, tout en incluant le spectateur dans ses œuvres et en l’incitant à se déplacer autour d’elles.

Vladimir Skoda

Dans « Trou noir trou blanc / Distorsion vision », 1992-2001, pièce présente à la galerie Gastaud réalisée à partir d’un miroir ovale coudé placé contre un mur, des éléments de l’espace environnant se reflètent, de manière floue, dans l’œuvre, ainsi que des formes circulaires ou elliptiques. Le regard s’y perd et une béance semble s’ouvrir dans l’oeuvre. La vision, la perception de l’espace, est altérée, déformée par la courbe, à l’image du réel perçu par nos sens mais que seule la raison peut interpréter.

Forgeron de l’informe, de cette materia prima qu’est le métal chauffé à cœur : ouvrée par la lumière noire d’une énergie originelle, point dans l’expansion de la matière, absorbant ou réfractant la lumière. Il est dans la nature même de son œuvre qu’il se soit non seulement passionné pour la densité de la masse qui condense en elle l’énergie et l’espace mais qu’il ait aussi infléchi son propos vers les possibilités qu’offraient ses volumes en tant que surfaces de réfraction. Il y a dans son œuvre une vision cosmogonique de la matière. 

Philippe Cyroulnik, distorsion-vision. Montbéliard : Centre régional d’art contemporain, Montbéliard, 2002
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