L’acqua alta de Gina Pane

GALERIE KAMEL MENNOUR, Paris, Décembre 2018 – Janvier 2019

Pane Gina_galerie Mennour_5 janvier 2019

Premier week-end de l’année, premier après-midi dans les galeries…

« Terre protégée », tel est l’intitulé de l’exposition que consacre la galerie Kamel Mennour à Gina Pane. Si son travail de performance est évoqué par un ensemble de documents, photographies, textes, dessins, et la présence d’un hommage au carré noir de Malévitch -« Stripe Rake », 1969- qui était censé être activé, ou plus exactement ratissé, par les spectateurs à sa création, afin de lier le mort et le vivant, le sable du désert et l’humus fertile, c’est l’installation « Acqua alta/Pali/Venezia, conçue en 1968-70, qui a retenu toute mon attention. Elle témoigne en effet de manière très précoce d’une sensibilité écologique manifeste et se révèle incroyablement d’actualité, Venise apparaissant, à l’heure où les effets du réchauffement climatique sont de plus en plus perceptibles et inquiétants, comme l’un des sites les plus menacés du patrimoine mondial.

Pane déploie douze poutres de duralinox évoquant des « palis » soit des pilotis vénitiens, plantés dans un mince bassin empli d’eau croupi, penchés comme sous le poids de la menace qui pèse sur Venise. Tout autour de cet ensemble sculptural, des lettrages se déploient au sol (« acqua alta », évocation des marées hautes qui envahissent fréquemment la cité des Doges), aux murs (« pali ») et au plafond (« Venezia »), comme si la ville s’efforçait encore de garder la tête hors de l’eau avant la noyade…Un travail très épuré, voire minimal, mais d’une redoutable efficacité et quelque peu perturbant dès lors que plus de 40 ans après sa réalisation, la situation ne fait que se dégrader et ce à un rythme accéléré.

Les dessins préparatoires d’ « Acqua alta/Pali/Venezia » sont exposés à quelques pas et témoignent de la vitalité créative de Pane. L’exposition se focalise de fait sur des œuvres du début de la carrière de l’artiste, et notamment la fin des années soixante, soit avant ses actions les plus notoires. Nombre de ses travaux de l’époque visent à sensibiliser le public aux questions écologiques et se situent entre Land art, performance et minimalisme. « Le but de mes recherches est de construire en me préoccupant de toutes les données de l’environnement ».

Elle intervient ainsi dans la nature, produisant des gestes simples et précaires, des actions tantôt protectrices, tantôt dangereuses, mais toujours chargées d’une certaine poésie. En 1969, elle tente ainsi d’enfouir un rayon de soleil dans la terre à l’aide de miroirs puis elle jette des dessins dans un torrent en espérant qu’ils arriveront jusqu’à la mer. En 1970, elle escalade la paroi d’une carrière de sable, menaçante tout à la fois par sa verticalité et par le risque d’éboulements présent ; puis elle prolonge un chemin sur le sol à l’aide de planches de bois comme pour donner lieu à de nouvelles possibilités de communication.

L’espace du Pont de Lodi est par ailleurs consacré à un ensemble de pièces de Zineb Sedira évoquant avec humour -comme forme de résistance face à l’horreur- la « décennie noire » que connut l’Algérie dans les années 1980-1990 et qui opposa l’armée aux islamistes tout en causant la mort de très nombreux civils, parmi lesquels maints journalistes. Une mémoire qui là aussi résonne singulièrement après les attentats de 2015.

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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