PINACOTHEQUE, Paris, Février-Août 2010
Certes, en grand amatrice du Munch des années 1890, précisément des années du Cri, de Vampire, de Madone, de l’Enfant malade, de Solitude, dans leurs versions les plus radicales, les plus expressionnistes et résonnant d’un questionnement existentiel à même de transcender leur créateur et leur temps, je ne peux que réprouver l’approche retenue par la pinacothèque de Paris pour exposer le travail de l’artiste norvégien le plus célèbre, l’Anti-Cri : une approche excluant sciemment l’œuvre la plus essentielle de l’artiste, considérant que sa notoriété occulte l’œuvre de son auteur.
Certes, l’oeuvre emblématique n’était pas considérée par Munch lui-même comme sa création la plus importante. L’Enfant malade, 1885, où l’artiste s’efforce de retrouver l’impression ressentie devant sa sœur Sophie et qu’il retravaille pendant une grande partie de sa vie comme un certain nombre de toiles, est aussi sinon plus décisive dans sa maturation stylistique et exprime déjà des thèmes essentiels dans son œuvre : la maladie, la mort, l’angoisse, la tristesse. En outre, Munch rejetait l’idée du chef-d’œuvre unique et a de nombreuses fois repris certaines toiles (de fait, il y a quatre Cri, deux toiles et deux pastels, même si aucun n’est présent dans l’exposition), certains thèmes sur différents supports.
Munch, Tonsberg fjord, 1888 Munch, tête de fillette, 1885
L’exposition entend insister sur le caractère radicalement novateur et expérimental de Munch, rejetant peu à peu les courants artistiques qu’il connaît : impressionnisme -les premières toiles de Munch, sans grand intérêt, révèle sa connaissance des recherches des peintres impressionnistes-, symbolisme, naturalisme, et plus proche de la littérature et de la poésie que de l’art de son temps. Il remet également en question les conventions picturales, grattant les couches de peinture, laissant ses toiles sous la pluie ou la neige, y transférant des photographies ou films, mêlant différents supports, points de vue et techniques.
Munch, les solitaires, 1899 Munch, jalousie, 1896
Tandis que nombre d’artistes s’intéressent alors au rapport à la nature, Munch explore prioritairement, de son trait caractérisé par un expressionnisme très personnel, viscéral et puissant, les sentiments humains et les expériences les plus fondamentales de l’existence : maladie, mort, jalousie, solitude, amour passionnel, difficulté relationnelle, reflétant certains drames personnels de Munch (mort de sa mère et de sa sœur de la tuberculose, liaison violente avec Tulla Larsen plusieurs fois dépeinte en femme vampire ou à travers le thème des Solitaires, un homme et une femme, de dos, sur une plage, face à la mer et dont les regards ne se croisent pas…).
Munch, Madone, 1896 Munch, harpie, 1894
L’exposition consacre une part remarquable aux gravures sur bois et lithographies de Munch –part essentielle de son œuvre-, parfois rehaussées de couleur, striées, rayées avec rage. Munch s’y distingue par un style tout en courbe, en ondulations rythmées et des thèmes sombres qui ne sont pas sans rappeler le Goya des Caprices : la harpie, 1894, la Madone, 1896, symbole de la femme fatale à la chevelure flamboyante quoique d’une grande sensualité. A la fin du siècle et plus encore après son séjour en clinique psychiatrique en 1908-1909, source d’un certain apaisement, les contours s’adoucissent (Nuit d’hiver, 1923), les formes semblent plus stylisées, les couleurs plus pleines comme dans le tronc jaune, 1912, où se ressent l’influence des fauves.
Munch, le tronc jaune, 1912 Munch, nuit d’hiver, 1923
Une sélection intéressante, malgré l’axe retenu, d’autant que nombre d’œuvres sont issues de collections privées. Sans être totalement à rebours de l’auteur du Cri, elle permet de présenter d’autres facettes, d’autres médiums, principalement la gravure et l’influence de la photographie et du cinéma sur son œuvre.