
MUSEE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS, 25 mars – 24 octobre 2010
Copies, reprises, appropriations, imitations …tel est l’objet de Seconde main, une réflexion sur les questions d’attributions et d’authenticité, de jugement et de valeurs. Une proposition quelque peu dérangeante au sein d’une institution muséale dont on attend une confrontation au vrai, à l’original, particulièrement dans un monde où la reproduction démultipliée des œuvres, reproduction photographique, numérique, rend d’autant plus précieuse la contemplation réelle des œuvres. Quel peut donc être le sens d’une copie de Warhol, Mondrian, Pollock par un autre artiste ?


Malheureusement, l’insertion de copies, reprises, auprès des œuvres originales des collections du musée n’a guère d’intérêt esthétique, -nombre de ces copies s’avérant de facture grossière, sans vie- : elle est principalement conceptuelle. Certains artistes, tels que General Idea ou Mathieu Mercier avec la peinture de Mondrian, revisitent des œuvres majeures de l’histoire de l’art. General Idea dans Infe Cted Mondrian N°6, 1994 ajoute à la composition d’origine du vert, que le peintre néerlandais proscrivait, tandis que Mercier dans Still Untitled , 2000, le copie fidèlement, mais avec des matériaux de récupération. D’autres artistes explorent le principe de reproduction, voire de continuité d’une œuvre : Ernest T. complète ainsi le catalogue raisonné du Douanier Rousseau, inventant le Voleur de femme, 2002, dans le style naïf à la nature luxuriante du Douanier. D’autres enfin, tel Gavin Turk dans Turk with Palette Knife and Bucket 2009, se mettent en scène dans le rôle d’un Pollock en s’inspirant du documentaire de Nasmuth.


Les modes et motifs de reprises abondent, la copie peut-être une pratique ponctuelle ou récurrente, subtile (comme André Raffray reprenant les bandes que Buren plaça en 1977 sous des tableaux du musée d’art moderne) ou évidente sinon grossière (Glenn Brown) ; elle s’efforce de perturber la linéarité de l’histoire de l’art sinon du marché en remettant en question la signature et l’authenticité comme sources de valeur. Si les auteurs de ces copies renoncent à toute originalité plastique, celle-ci demeure dans l’intention, le process, et ce que la copie met en exergue, qu’il s’agisse de la Croix noire de Nicolas Chardon, révision de la célèbre toile suprématiste de Malévitch sur un tissu tendu, du détournement du cercle noir de Mosset par Pernet, Babin et Leingre ou encore de Not Picasso de Mike Bidlo.


Ce-dernier, chef de file des appropriationnistes initiés par Elaine Sturtevant et soucieux de diffuser plus largement les œuvres de grands artistes, répète le travail d’artistes qui ont déjà pratiqué la réinterprétation de peintres majeurs (comme Picasso avec Velazquez) tout en les mettant à distance, prenant soin de signer « NOT Picasso (Girl with cock, 1938), 1987 ». Bidlo s’intéresse également à des artistes pratiquant la série ou la copie (comme Warhol copiant des boîtes de savon Brillo à l’échelle 1, à l’aide de plaques de contreplaqué et de sérigraphie), la production de ready-made (Manzoni). Autre représentante éminente du mouvement appropriationniste, Sherrie Levine transpose, en s’inspirant de reproductions de catalogues, des chefs d’œuvres de l’art moderne en aquarelles (After Fernand Léger, After Walker Evans), sondant notre rapport affectif et intellectuel à ceux-ci. A ses yeux, « Nous pouvons seulement imiter un geste qui est toujours antérieur, jamais original. » Quant à Sturtevant, qui précède de quinze ans les appropriationnistes, elle considère le fac-similé comme un procédé artistique et reprenant les flags de Jasper Johns, qualifie ses répliques d’original et se soucie de leur qualité plastique.
Implicitement, ces reprises nous rappellent que la copie, au fondement de l’apprentissage artistique depuis des siècles, demeure une constante de la création. Tout artiste travaille avec, contre ou d’après l’histoire de l’art. Certes, les avants-gardes modernes, en insistant sur la singularité de l’artiste et sa rupture avec le passé, se sont détachées de cette tradition mais Duchamp, Warhol, en introduisant des process industriels dans le monde de l’art, en séparant authenticité et originalité, perturbent les notions d’unicité et d’authenticité et les artistes de Seconde main, en copiant les œuvres d’autres artistes, mettent en question cette promotion de l’originalité, de l’unicité, tout en rappelant que la valeur d’une œuvre n’est pas seulement en elle-même mais aussi dans sa postérité.


André Raffray reprend ainsi des œuvres de Picasso (Esquisse pour les Demoiselles d’Avignon, 1998) ou de Duchamp (Broyeuse de chocolat N ° 2, Mariée, 2000), Pierre Leguillon, le triangle bleu de Blinky Palermo que le peintre allemand encourageait à reproduire à l’infini, Philip Taaffe cite l’œuvre de Bridget Riley dans Yellow Painting , 1984. .. Dans Vitry (Sonia Delaunay), 2009 Karina Bisch emprunte les formes du modernisme tout en en soulignant les contradictions. Certains artistes s’inspirent de l’art minimal : Raphaël Zarka, dans Reprise N ° 3 (Tony Smith , Freeride as a studiolo) rejoue en bois une sculpture de Tony Smith en métal de 1961 tandis que Simon Nicaise s’inspire d’un autre minimaliste, Donald Judd, dans Sans titre, Stack piece, 2010, en ajoutant toutefois à la pièce originale un module. Eric Doeringer reprend pour sa part des œuvres emblématiques des années 1980 pour témoigner de la diffusion du Pop Art et de l’abstraction.
Si la confrontation des copies, reprises, appropriations, aux originaux renouvelle le regard sur les oeuvres et souligne leurs différences, matérielles et spirituelles, ce parallèle est à l’avantage des originaux. Les copies se distinguent par ailleurs de démarches plus légitimes -les répliques réalisées par l’artiste lui-même, les caricatures et détournements- ; tout comme de démarches illégales, le faux -tel le Modigliani peint par le hongrois Elmyr de Hory-, conforme lui à l’œuvre initiale à laquelle il entend se substituer.
Les copies n’ont de sens que dans l’écart creusé entre l’original et sa réécriture. Pour ce faire, certains artistes jouent avec les dimensions – le costume de feutre de Joseph Beuys rétréci par Maurizio Cattelan- ; d’autres reprennent une technique telle que le dripping, avec un discours toutefois très différent, comme Braco Dimitrijevic (One of the Most Recent Paintings, 1972 3, appropriation contestataire d’un style jugé dominant) ou Art & Language (Portrait of V.I. Lenin with Cap, in the Style of Jackson Pollock III, 1980, réunion improbable d’une thématique soviétique et de l’incarnation de l’abstraction moderne).


D’autres copies déconstruisent leur modèle : Fayçal Baghriche reprend Le Saut dans le vide d’Yves Klein en effaçant le personnage principal, soulignant dans le même temps que la photographie d’origine était un trucage, de même que Sophie Matisse efface de Crack !, de Lichtenstein, appropriation des formes de la bande dessinée, le personnage principal, réduisant ainsi l’oeuvre à une nature morte, Richard Baquié, entre sacrilège et respect, reconstruit l’Etant donné de Duchamp, 1991, œuvre que le spectateur n’est censé voir que depuis deux trous percés dans une porte. Certaines copies révèlent ainsi l’œuvre originale et, en révélant leur construction, en suppriment le sens. D’autres donnent naissance à une nouvelle œuvre : Lavier, dans Four darks in Red, 2004, filme par exemple une toile de Rothko de 1958, confrontant désormais le spectateur à une image cinématographique, mouvante et dématérialisée. D’autres enfin remplacent un original perdu, comme le Picabia d’Ernest T connu seulement par une photographie.
Une exposition assez fouillée et non sans intérêt mais qui n’en est pas pour autant convaincante lorsqu’on attend de l’art davantage qu’une posture, qu’un concept.




























