MAISON ROUGE, Paris, Octobre 2017-Janvier 2018

C’est dans une très belle scénographie que se déploie la collection Marin Karmitz à la maison Rouge, avec notamment un clin d’œil au couvent de san Marco au travers d’une suite de sept cellules majoritairement monographiques distribuées le long d’un sombre couloir. Une collection majoritairement en noir et blanc qui se caractérise par la prégnance de la photographie, et plus encore des installations photographiques, la sérialité rejoignant quelque peu l’image cinématographique, son déploiement dans le temps, son potentiel narratif, ce qui est cohérent de la part d’un réalisateur. On retrouve cette approche cinématographique et narrative dans les théâtres d’ombre de Kara Walker.

Kara Walker_bruning african village play set with big house and lynching 2006 
Fautrier
S’agissant des choix d’un collectionneur, se mêlent œuvres maîtresses de Christian Boltanski, Annette Messager, Dieter Appelt, Antoine d’Agata, Alberto Giacometti, Josef Koudelka, Duane Michals, Chris Marker, Jean Fautrier, Germaine Richier, Jean Dubuffet, W Eugene Smith, Kara Walker, Otto Dix… et des pièces plus surprenantes et méconnues. Un certain engagement politique transparaît également au travers de cette collection, engagement que concrétisa Karmitz en tant que membre de la gauche prolétarienne dans les années 68 : mémoire du nazisme et de la Shoah (les Karmitz sont de confession juive), mémoire de son propre exil (les Karmitz quittent la Roumanie pendant la 2e guerre mondiale), images du monde populaire (du mineur de Gotthard Schuh, première acquisition de Karmitz, aux images de Kibboutz ou de communautés juives ou tziganes de Moï Ver, Roman Vischniac, Koudelka).

Christian Boltanski, resistors 1994 
Dieter Appelt et Antoine d’Agata
Un ensemble certes hétérogène étant donné le nombre d’artistes en présence et la subjectivité à l’œuvre dans toute collection privée, mais où la qualité l’emporte. J’ai particulièrement retenu le remarquable enchaînement dans les premières salles de l’exposition entre les « Resistors » de Christian Boltanski, série de regards, frontale, de résistants allemands fusillés ; l’impressionnante série photographique « image de la vie et de la mort » de Dieter Appelt, qui se déploie comme un film négatif à la verticale, où l’artiste se met en scène dans un rituel de scarification ; la confrontation des puissantes séries de paysages photographiques « ciné tableau Ezra Pound », 1981 de Dieter Appelt, et « Auschwitz » d’Antoine d’Agata, qui se font écho par les effets de flou et de net, la juxtaposition de vues d’ensemble et de détail, le travail de la mémoire. La confrontation entre un étonnant « nu » de Giacometti, qui inscrit un corps de femme dans un buste d’homme, et la série « l’esprit quitte le corps » de Duane Michals, hommage à la photographie spirite.

Josef Koudelka, Tchécoslovaquie 1968 
Jean Dubuffet
Le parcours propose également de nombreuses salles monographiques : un très bel ensemble de photographies de Koudelka, consacrées à la Tchécoslovaquie, une sélection d’œuvres extrêmement denses de Dubuffet, faisant écho par sa profonde matérialité à la « tête d’otage » de Fautrier présenté un peu plus loin. Deux impressionnantes installations ponctuent la fin de l’exposition : « Animitas blanc » de Christian Boltanski, présentée en 2014 dans le hors les murs de la Fiac et en 2015 galerie Godmann dans une version plus impressionnante par son caractère olfactif (le sol était alors non pas jonché de papiers mais d’herbes séchées et de fleurs en décomposition) et symbolisant la brièveté de l’existence, les clochettes reflétant la voix des « âmes flottantes » ; « les spectres des couturières » d’Annette Messager, monumental mobile constitué de divers objets contendants évoquant autant des instruments de torture qu’un nécessaire de couture. Une œuvre extrêmement puissante visuellement et non sans ironie. A voir !

























