Le dernier jubé parisien

EGLISE SAINT-ETIENNE DU MONT

Face au dernier jubé parisien, on ne peut s’empêcher d’avoir une pensée mélancolique pour les monuments détruits par le vandalisme –défini par Louis Réau comme « la destruction de monuments ayant un caractère artistique ou auxquels s’attachent des souvenirs historiques qui les ennoblissent, l’altération de leur ambiance, leur déplacement, leur restauration excessive » dû aux évolutions de la liturgie post-tridentine. (Louis Réau, histoire du vandalisme, Hachette, 1959). Combien de ces merveilleuses réalisations architecturales et sculpturales qui séparaient le chœur des clercs du public des fidèles ont-elles définitivement disparu ?

Fort heureusement, la superbe création attribuée à Philibert de l’Orme a été préservée dans sa complétude, contrairement au jubé de l’église st Germain l’Auxerrois dont les reliefs sculptés par Jean Goujon sont désormais conservés au Louvre. Probablement édifié entre 1541 et 1545, le jubé de st Etienne du Mont se révèle exemplaire de la Renaissance à la française : un décor renaissant sur une structure interne gothique, nervurée. Barrant l’accès au déambulatoire, le jubé se compose de deux escaliers s’enroulant autour des piliers et donnant accès à une galerie et la plateforme qu’ils encadrent, placée sur un grand arc surbaissé. D’une remarquable dynamique, il dramatise les sens de circulation et organise toute l’église par la balustrade et les vis qui s’enroulent sur les piliers en 2 révolutions complètes. L’une amène à la plate-forme du jubé, la seconde à la coursière. L’attribution à Philibert de l’Orme se fonde sur certaines ressemblances avec l’architecture du château d’Anet (garde-corps à entrelacs, fûts de colonnes ornés d’une végétation grimpante, panneaux à feuilles de laurier, style des vis et des balustrades ajourées…)

Le décor sculpté mêle moulures classiques de la balustrade, frise de rinceaux, corbeilles de feuilles d’acanthe, bas-reliefs de Renommées portant à l’origine des symboles de la Passion –remplacés à la Révolution par des symboles républicains (rameaux d’olivier, couronne de feuilles de chêne)- et ronde-bosse sur les entablements des portes à claire-voie qui ferment les bas-côtés du choeur. Le Christ en croix qui surmonte le jubé, œuvre d’Ulrich de Grienewald, provient de la chapelle de l’Ecole polytechnique (XIXe)

Le jubé n’est par ailleurs pas le seul élément remarquable, l’église st Etienne du Mont comprend de superbes vitraux des XVIe et XVIIe siècles caractérisés par leur grande qualité picturale, certains peints à l’émail. Une grande part d’entre eux étant par ailleurs tout juste restaurés, on peut les contempler de très près dans la galerie du cloître du charnier et évoquent l’Eucharistie ainsi que ses préfigurations dans l’Ancien Testament (le serpent d’airain, le massacre des premiers nés, l’arche de Noé…).

A noter également une très belle chaire à prêcher baroque en chêne de 1651 avec une cuve soutenue par une puissante sculpture de Samson et des sculptures d’un élève de Sarazin, Claude Lestocard, sur des dessins de la Hyre évoquant l’histoire de saint Etienne ponctuée par des représentations des évangélistes, de st Jérôme et st Augustin et des vertus cardinales et théologales ; une mise au tombeau du XVIe siècle ainsi que des toiles de Nicolas de Largillière (ex-voto à ste-Geneviève, 1696), Jean-François de Troy (ex-voto, 1726) ou encore Quantin Varin (st Charles Borromée).

Quant à l’architecture même de st Etienne du Mont, elle allie gothique flamboyant et style renaissant : on constate ainsi une évolution des arcs en ogive du chœur aux arcs plein cintre de la nef. Commencée en 1492, l’église fut consacrée en 1626. Son histoire est étroitement liée à celle de l’abbatiale sainte-Geneviève bâtie quant à elle sur le site d’une église remontant à Clovis et dédiée aux saints apôtres Pierre et Paul, remplacée au XVIIIe siècle par l’actuel Panthéon. L’église de l’abbaye étant devenue insuffisante pour la population du quartier, il fut décidé d’édifier une nouvelle église sous le patronage du premier des martyrs. Il s’agit d’une église « halle » caractérisée par une nef assez large, de hauts bas-côtés, un transept non saillant et que la forme du terrain a légèrement dévié vers la gauche. La façade, édifiée entre 1610 et 1622, détonne par ailleurs par son décor renaissant plaqué sur une structure médiévale : le portail évoque ainsi un temple grec à fronton triangulaire flanqué des colonnes baguées de Philibert de l’Orme. Il est surmonté d’un 2e fronton cintré reprenant un motif du Louvre et d’un 3e fronton aigu avec une fenêtre maniériste tandis que le sommet se termine en pinacle gothique.

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