CINEMATHEQUE, Paris, Octobre 2019 – Janvier 2020
La cinémathèque propose une intéressante plongée cinématographique, littéraire, picturale et photographique dans le fascinant mythe du vampire. Eros et Thanatos.
Le mythe du vampire, s’il semble particulièrement puissant lorsque les civilisations vacillent et qu’une certaine morale se durcit, est l’héritier de superstitions ancestrales, qu’il s’agisse des stryges grecques, monstres à tête de femme et corps d’oiseau (lesquelles, d’après le dictionnaire de la mythologie grecque et romaine de Schmidt, suçaient le sang des nouveau-nés et des jeunes enfants) ou de la Lilith mésopotamienne. Il se répand à l’époque médiévale, alimenté par l’omniprésence de la mort et des trois fléaux qui s’abattent sur les populations (“Libera nos, Domine, a bello, a fame, a peste ”), pour se préciser singulièrement à l’âge des Lumières, au travers d’écrits scientifiques, et se cristalliser enfin sous la plume de l’irlandais Bram Stoker (1897). Ce-dernier donne naissance à un être complexe, marginal, sorte d’Antéchrist immortel à l’heure où Nietzsche bouscule profondément la foi judéo-chrétienne, redouté mais fascinant, sans âme ni reflet, aux pouvoirs fantastiques (métamorphose en animal, contrôle sur les éléments…). Un être à rebours du narcissisme, dévoré d’une soif insatiable et désespérée de l’Autre -précurseur de l’Amour Fou des surréalistes et de maintes déclinaisons sensuelles sinon érotiques et transgressives du mythe- ce que traduira à merveille Coppola dont le film « Dracula » est présent par des extraits, les impressionnants costumes d’Eiko Ishioka et des photographies du tournage. Stoker crée également le revers de Dracula, le personnage du chasseur de vampires, Van Helsing.
Au cours du XXe siècle, le mythe est volontiers instrumentalisé, politisé, progressiste ou réactionnaire, incarnant alors le danger qui menace la société (communisme, sida etc.), la transgression. S’il semble peu à peu banalisé, particulièrement depuis les années 70’, l’Autre irréductible, terrifiant, incarnation du Mal -quoique distinct du démon en ce qu’il a eu une existence humaine-, devenant un être auquel on peut s’identifier, en quête d’identité, voire héroïsé, il dépasse néanmoins toute lecture conjoncturelle en ce qu’il incarne ce que l’homme a de plus pulsionnel dans son rapport au sexe et à la mort.
En dépit d’une approche thématique (vampires historiques, vampires poétiques, vampires politiques, vampires érotiques, vampires pop) et plurielle, les déclinaisons cinématographiques du mythe priment, bien entendu, d’autant que le cinéma émerge en parallèle de la légende du vampire à la fin du XIXe, avec la publication du « Dracula » de Stoker. Dès 1922, Murnau propose une fascinante adaptation expressionniste du roman de Stoker, « Nosferatu », le vampire donnant à penser le cinéma même comme art de l’illusion et confrontation à la mort tout en demandant aux réalisateurs de se dépasser techniquement afin de représenter l’insaisissable. Ce qui explique peut-être l’attrait du mythe sur de grands réalisateurs (Dreyer, Browning, Polanski, Herzog, Coppola, Carpenter, Burton, Bigelow, Jarmusch…) et des acteurs emblématiques (Béla Lugosi dans les années 30 que Warhol magnifia avec sa sérigraphie « The Kiss » (Bela Lugosi) », en 1963, présentée dans l’exposition au regard d’une œuvre d’Urs Fischer inspirée du même motif, Theda Bara, Isabelle Adjani, Catherine Deneuve, David Bowie, Tom Cruise et Brad Pitt, Johnny Depp…).
Le parcours ménage toutefois une belle part à d’autres médias artistiques tels que des pièces majeures de la série des Caprices de Goya -dont « le sommeil de la raison engendre les monstres »- ou de l’Enfer de Dante de Doré, puissantes incarnations d’un imaginaire noir très présent. La toile « Dante et Virgile aux enfers », 1850, du pompier Bouguereau, évoque la dimension homo-érotique du mythe, en se focalisant sur le combat de deux âmes damnées du 8e cercle, l’hérétique Capocchio mordu par l’usurpateur Schicchi, combat de deux hommes nus, deux académies aux musculatures exacerbées et puissantes, aux postures outrées. La prégnance plastique du mythe aux XXe et XXIe siècles est rappelée par des collages d’ « Une semaine de bonté » d’Ernst, les chauves-souris anthropomorphes et cauchemardesques de Dzama, le voyage photographique de Joachim Koester en Transylvanie sur les traces du personnage de Stoker, Jonathan Harker, en 2003, la déclinaison vampirique d’une scène biblique récurrente dans l’histoire de l’art, la Judith et Holopherne de la photographe Cindy Sherman (« untitled #228 », 1990), la décapitation que subit le général assyrien étant l’une des méthodes les plus efficaces de destruction d’un vampire ou encore l’autoportrait en vampire de Tabouret réalisée pour l’exposition. J’aurais toutefois préféré, de loin, le « Vampire » de Munch -parfaite incarnation du mythe même si l’artiste n’est pas à l’origine de l’appellation-, et celui de Burne-Jones aux oeuvres de Basquiat ou St Phalle…