Le silence de Tatah

GALERIE POGGI, Paris, Mai – Juin 2019

Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris, Mai – Septembre 2019

Tatah Djamel_musée des arts et métiers, Paris_25 mai 2019

Ma peinture est silencieuse. Imposer le silence face au bruit du monde, c’est en quelque sorte adopter une position politique. Cela incite à prendre du recul et à observer attentivement notre rapport aux autres et à la société.

Djamel Tatah est à l’honneur à la galerie Poggi et dans le chœur de l’ancienne église saint-Martin-des-Champs au musée des arts et métiers. L’artiste franco-algérien, chef d’atelier à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris depuis 2008, investit les murs de la galerie d’une récente série de toiles toujours caractérisées par l’incroyable délicatesse de teintes déposées en vastes aplats, -des « espaces autour »-, frisant l’abstraction et sur lesquels se détachent des figures à hauteur de vue, parfois tronquées, plongées dans une singulière, silencieuse et troublante solitude -car il est difficile de véritablement parler de portraits dans son travail-. Certaines s’inspirent néanmoins du réel (un sans-abri photographié par l’artiste à New-York, un gisant d’une photographie de la guerre en Irak) ou de l’histoire de l’art (le détail d’une fresque de Piero della Francesca, un fragment de sculpture de Palmyre détruite par Daech), que l’artiste se plaît à désincarner, à déposséder de ce qui le déterminait. Au cœur de l’espace d’exposition, un impressionnant triptyque retient toute l’attention.

La présence sur certaines toiles, sur certains panneaux, de plusieurs personnages, ne change rien à l’impression d’isolement qui ressort de chacun d’entre eux. Même lorsque des regards semblent s’échanger, comme dans le panneau central du triptyque, ils peinent à être ensemble et persistent à incarner la solitude -une solitude profondément sociale, comme l’a relevé Yves Michaud- plutôt qu’une tentative de relation, l’artiste les maintenant à distance malgré quelques traits familiers. Une certaine tristesse émane de ces visages pâles, impassibles sinon inexpressifs, ce que la sourde monochromie qui les entoure, sans aucun détail les ancrant au monde, à un lieu ou un temps définis dans l’histoire du monde, ne fait qu’intensifier.

Aux arts et métiers, la peinture fait place à la xylographie. Trois figures fragmentaires, imprimées recto/verso et inspirées de précédentes toiles de Tatah, semblent flotter dans l’espace et dans le temps ou l’atemporel. Couvertes de vêtements noirs, elles se détachent aux angles de vastes suspensions de tissus transparents, traversés par la lumière qui émane des vitraux de l’édifice. Difficiles de déterminer s’il s’agit de chute ou d’envol. Quelque part, dans le travail toujours sobre et épuré de Tatah, il s’agit d’une forme d’être au monde, ou, selon les termes de l’artiste, « d’enregistrer [par la peinture] une forme de disparition de l’être », « une mélancolie relationnelle face à l’inquiétude d’un monde oppressant [que Tatah] tente de questionner sereinement dans le silence de la peinture ». (Emilie Goudal)

https://www.arts-et-metiers.net/musee/une-oeuvre-monumentale-de-djamel-tatah-defie-la-loi-de-la-chute-des-corps

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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