
Musée Marmottan-Monet, PARIS, 14 septembre 2022 – 29 janvier 2023
Pour célébrer les 150 ans d’Impression, soleil levant, peint par Monet en 1872 au Havre et à l’origine de l’impressionnisme, le musée Marmottan-Monet, détenteur de l’œuvre, propose une exploration de la représentation du Soleil dans les arts. Certes, on aurait pu s’attendre à un hommage davantage centré sur le chef-d’œuvre du maître, sur l’impact et la postérité de sa toile, mais il n’en est pas moins intéressant. L’astre qui inonde de lumière le monde visible, lui donne son éclat, ses couleurs, et dont le disque incarne en outre une certaine pureté formelle est en effet une source d’inspiration durable pour les artistes et une source d’étude pour les scientifiques dont les travaux sont également évoqués l’exposition.

Le parcours, fondamentalement chronologique, s’ouvre avec la période antique qui fait du soleil un dieu créateur symbole de puissance, de beauté, de joie. Le dieu solaire de la mythologie égyptienne, Râ, est à l’origine de l’univers et voyage chaque jour à travers le ciel sur sa barque sacrée, chaque nuit dans les mondes souterrains, chaque lever du soleil étant considéré comme sa victoire sur les ténèbres. Une belle stèle de bois et stuc peints de l’antiquité tardive (VIIe-VIe siècles avant JC) témoigne de cette omniprésence du soleil dans la culture et la religion égyptiennes. Apparaissant à trois reprises, il veille sur le mort accompagné de deux divinités, Horus et Hathor qui l’ont adopté comme emblème.

L’art antique représente le soleil tout à la fois déifié et humanisé. Etudié par les philosophes et à l’origine de nombreux mythes, il incarne un pouvoir naturel, intemporel, de vie comme de mort. Le dieu grec Hélios (assimilable à Apollon, le dieu des arts, de la beauté et de la lumière et à Phébus, son pendant romain rapproché quant à lui de Sol, symbole de vie et de force créatrice) incarne ainsi le soleil et est souvent représenté avec une couronne rayonnante, parcourant le ciel sur son char, ses cycles réguliers faisant vivre et revivre éternellement la nature et l’homme. Une très belle pièce dérivée du cratère et attribuée au peintre dit de Copenhague 4223 le représente ainsi sur un quadrige céleste, auréolé d’un soleil.

Le christianisme modifie la place du soleil qui, de créateur devient créé, au quatrième jour selon la Genèse. Dans les représentations artistiques, il perd de même sa position centrale pour être placé plus bas dans la composition. Il n’en demeure pas moins personnifié, tout comme la lune, intégrant les récits mythologiques et bibliques sous la forme d’une boule de feu (mythe d’Icare), engendré par la main de Dieu (représentation de la Genèse) ou encore témoin de la Crucifixion et symbole de Résurrection (Passion). La belle Crucifixion du maître de Valence (1450-60, Thyssen, Madrid) où se mêlent influences du Nord et du Sud de l’Europe (place croissante de la peinture à l’huile qui permet d’obtenir des couleurs plus riches, plus nuancées, expressivité), souvenirs de panneaux de Van Eyck et d’une Crucifixion précoce d’Antonello da Messina-, en témoigne.

Dans le remarquable burin de Dürer, Sol Justitiae, vers 1499, l’artiste représente, d’après l’interprétation de Panofsky, « le Christ en tant que Dieu-Soleil et Juge suprême » dans une version quelque peu apocalyptique (Panofsky, Albrecht Dürer and Classical Antiquity in Meaning in the visual arts, 1955, cité dans le catalogue de l’exposition Dürer – œuvre gravé, du Petit Palais, 1996). Le Sol Invictus (soleil invaincu), divinité suprême au IIIe siècle romain devient ainsi le Sol Justitiae, un soleil de Justice –évoqué dans la Bible (« Pour vous qui craignez mon nom, le soleil de justice se lèvera portant la guérison dans ses rayons »)-, toute nouvelle religion pour s’imposer devant revêtir cet aspect solaire. Le Christ, le visage farouche et triste cerné d’un halo scintillant, porte les symboles médiévaux de la Justice (épée, balance, pieds croisés), assis sur un lion sans doute inspiré d’une sculpture du palais des Doges à Venise.

Un Christ-Soleil que l’on retrouvera dans un tout autre esprit en fin de parcours, dans la fascinante Crucifixion de Franz von Stuck, 1906 (Poznan) qui choisit de représenter l’instant le plus dramatique de la Passion -lorsque le soleil s’obscurcit- pour accroître le pathétisme de la scène, plongée dans la pénombre irréelle d’une éclipse solaire.

La gravure du maniériste Hendrick Goltzius, en collaboration avec Cornelis Cornelisz van Haarlem, 1588, est tout aussi remarquable. Elle relève d’une série de quatre estampes représentant des mortels ayant défié les Dieux et dès lors punis pour leur hubris (Ixion, Tantale, Phaeton, Icare). Le traitement audacieux de l’artiste traduit magistralement les reflets d’ombre et de lumière sur la puissante musculature michelangelesque de Phaeton, fils du soleil, tandis que le violent raccourci de son corps est accentué par le format de la toile, un tondo.
Tandis que l’humanisme place l’homme au cœur du monde, un intérêt plus large pour les astres se développe à partir de la Renaissance, l’observation conduisant peu à peu les astronomes à reconsidérer la place de l’homme dans l’univers et à remettre en question le système ptoléméen –selon lequel les astres tournent autour de la Terre, immobile et au centre de l’univers- au profit de l’héliocentrisme de Copernic (De revolutionibus orbium coelestium, 1543), qui assure que la Terre tourne autour du Soleil en une année et, en même temps, sur elle-même en vingt quatre heures, tandis que la Lune tourne, elle, autour de la Terre et que les autres planètes tournent autour du soleil dans un temps correspondant à leur distance. Si l’impact de ces avancées scientifiques n’est pas immédiat, émerge toutefois dans l’art, au début du XVIIe siècle, un intérêt nouveau pour la matérialité des choses dont le naturalisme caravagesque, la sensibilité à la nature sont des conséquences.


De fait, le paysage devient un genre en soi, des artistes comme Rubens ou Claude Lorrain lui confèrent une place majeure tout en l’inscrivant dans des représentations météorologiques nouvelles. Le paysage à l’oiseleur de Rubens (Louvre, vers 1635-1640) dépeint ainsi l’atmosphère et la lumière d’un pâle lever de soleil, l’artiste traduisant à merveille les lointains perdus dans les brumes, les reflets sur l’eau, l’humidité de la terre… Dans son magistral embarquement de Sainte Paule à Ostie, Claude Lorrain représente quant à lui un port d’Ostie idéalisé baigné d’une lumière dorée de soleil couchant à l’arrière-plan tandis que les premiers plans sont représentés dans un contre-jour qui dramatise et anoblit la scène religieuse pourtant à peine perceptible (Epinal, vers 1670). Joachim von Sandrart dit de lui :
Il restait à la campagne depuis les premières lueurs du jour jusqu’à la nuit, afin d’observer l’aurore, le lever et le coucher du soleil et le crépuscule, et de pouvoir plus tard bien reproduire ses impressions.
Joachim von Sandrart, Etude sur Claude Gellée et sur son séjour à Rome, édité par Alphonse Benoît, 1880, consultable sur https://ia800905.us.archive.org/29/items/joachimdesandrar00beno/joachimdesandrar00beno.pdf Vu le 30/09/2023

Tandis que les études (Kepler, Galilée) et instruments de mesure progressent sensiblement, Louis XIV, pourtant passionné d’astronomie et fondateur de l’Observatoire de Paris en 1667, s’identifie au Soleil (ce que rappellent quelques médailles dans l’exposition), fait orner ses appartements versaillais d’un triomphe du Char d’Apollon (Charles de la Fosse, 1674) et entend occuper comme l’astre dans le ciel la première place au sein de la société, n’hésitant pas pour ce faire à s’inspirer de l’antiquité apollonienne. De fait, le soleil, symbole de gloire, de puissance, de permanence, fait du souverain l’héritier d’une force mystique. Louis XIV s’inscrit là dans la tradition d’Alexandre le Grand, de nombre d’empereurs romains ou encore de Maximilien 1r et Charles-Quint avant lui. « Ce qu’est le Soleil dans le ciel, l’empereur l’est sur la Terre » peut-on d’ailleurs lire sur l’arc de triomphe de Maximilien 1er gravé par Dürer.

La mythologie nourrit également une intéressante suite de toiles de Carlo Saraceni (Capodimonte, Naples) consacrée au mythe d’Icare qui tente de s’échapper du labyrinthe du Minotaure avec des ailes de cire et de plumes qui conduiront à sa perte lorsqu’il s’approchera à l’excès du soleil. Ce n’est pourtant pas la chute qui intéresse l’artiste italien mais bien le paysage et l’aspect du soleil.

Les liens entre sciences et art se distendent à partir de la fin du XVIIIe siècle. Certes, les études scientifiques du soleil se complexifient et les lois optiques de la couleur se théorisent –de la publication d’Opticks, 1704, où Newton décompose le spectre solaire, établit un système chromatique sous forme de cercle et considère que la couleur dérive de la lumière, aux travaux du chimiste Michel Eugène Chevreul (De la loi du contraste simultané des couleurs, 1839) qui expose que chacune des trois couleurs primaires possède sa complémentaire, faite de la combinaison des deux autres, qui produit avec elle le contraste le plus fort ; et que deux couleurs juxtaposées sont perçues différemment car elles interfèrent l’une sur l’autre et modifient notre perception en passant par le traité des couleurs de Goethe, 1810 ou encore les expériences de Turner qui fait de la lumière solaire le sujet premier de ses toiles. Dans sa belle terrasse à Mortlake (National gallery of art, Washington, 1827), réalisée près de huit ans après un premier séjour à Venise dont l’atmosphère et la lumière bouleversent en profondeur sa perception de la nature, la lumière aveuglante du soleil couchant fige le fleuve en une surface miroitante et onirique et semble dissoudre la pierre du muret qui borde la Tamise.


Mais dans le même temps, un soleil mystique apparaît, expression d’une relation de l’Homme à l’infini, d’une émotion religieuse typique du romantisme et du sublime. De fait, dans l’Europe protestante du Nord, le sentiment religieux s’exprime principalement à travers une nature ouverte sur l’infini et le mystère de l’univers. Deux toiles intéressantes de Caspar David Friedrich, peintre emblématique du romantisme allemand, sont présentées. Quoiqu’il ait connaissance des découvertes astronomiques, Friedrich confère parfois au soleil une place dominante et une valeur symbolique et mystique comme dans Croix dans les bois (Stuttgart, 1822), où ses rayons redondent la croix qu’ils surplombent et la lumière transcende la finitude des choses. Dans Matin de Pâques (Thyssen, Madrid, 1828-35), qui représente les trois Marie cheminant vers le tombeau du Christ que signale un soleil lumineux, le paysage tout entier exprime un message religieux. Le lever du jour chassant doucement la pénombre, l’hiver reculant à l’approche du printemps font référence à l’espoir en la Résurrection.

Les impressionnistes, puis les post-impressionnistes s’inspirent de la théorisation des couleurs pour proposer une nouvelle approche picturale fondée sur les changements de la lumière du jour au gré des heures et des saisons et la sensation visuelle, une touche rapide, la juxtaposition des couleurs complémentaires, l’étagement des plans se fondant par le traitement de la lumière (Monet, Sisley, Pissarro, Degas, Boudin…) ; puis sur la division systématique du ton, la décomposition du spectre chromatique (Seurat, Signac…). C’est bien entendu le cœur du parcours qui présente le superbe Impression, soleil levant de Monet, 1872, auprès d’un très beau paysage d’Eugène Boudin, le Havre, coucher de soleil sur la mer.
J’avais envoyé une chose faite au Havre, de ma fenêtre, du soleil dans la buée et au premier plan quelques mâts de navires pointant… On me demande le titre pour le catalogue, ça ne pouvait vraiment pas passer pour une vue du Havre ; je répondis : “Mettez Impression.
Monet, 1897

Peint depuis une chambre d’hôtel au cours de l’hiver 1872, Impression, soleil levant, d’abord intitulée vue du Havre par Monet, représente l’avant-port du Havre –où a grandi l’artiste-, au petit matin, dans une brume née des fumées des usines et des bateaux à vapeur, alors qu’un soleil d’un orange d’une grande pureté se détache et se reflète dans l’eau. Si le sujet est moderne, ce qui sera caractéristique de ceux qu’on nommera par la suite les impressionnistes –l’activité industrielle d’un port-, c’est principalement à traduire des sensations fugaces -la lumière, les mouvements de l’eau et ses reflets, la brume qui entoure le soleil-, des perceptions au lieu d’une réalité extérieure objective, que s’attache Monet par la juxtaposition des couleurs et des touches rapides de bleu et d’orange qui donne à la toile son aspect inachevé et légèrement flou. Le soleil levant, point nodal de la composition, se distingue par ses teintes chaudes et sa netteté qui tranchent avec l’atmosphère froide et brumeuse du port.
Deux ans plus tard, exposée dans l’ancien atelier de Nadar, la toile fait scandale par son aspect esquissé loin des règles de la peinture académique et on attribue au journaliste Louis Leroy la réaction moqueuse qui vaudra son nom à l’oeuvre puis au mouvement, « Impression, j’en étais sûr. Je me disais, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans. […]» (Le Charivari, 25 avril 1874). C’est toutefois la critique plus élogieuse de Jules Castagnary qui qualifie véritablement d’impressionniste la toile et les peintres de la même sensibilité stylistique : « Si l’on tient à les caractériser d’un mot qui les explique, il faudra forger le terme nouveau d’impressionnistes. Ils sont impressionnistes en ce sens qu’ils rendent non le paysage, mais la sensation produite par le paysage. Le mot même est passé dans leur langue : ce n’est pas paysage, c’est impression que s’appelle au catalogue le Soleil levant de M. Monet. Par ce côté, ils sortent de la réalité et entrent en plein idéalisme. » (le Siècle, 29 avril 1874). Ce n’est toutefois qu’au milieu du XXe siècle, sous la plume de l’historien de l’art John Rewald, que sera perçu le caractère fondateur du tableau.

Quant à la très belle toile de Boudin (Postdam, 1885) qui dialogue admirablement avec le chef-d’œuvre de Monet et s’efforce tout comme lui de saisir la perception de l’instant, elle se concentre sur la lumière d’un soleil couchant traitée en fins dégradés et qui dissout les contours des formes comme l’avait magistralement perçu William Turner avant lui. Boudin s’inspire de la peinture néerlandaise du XVIIe siècle de Ruisdael ou Hobbema en optant pour une composition où le ciel représente les deux-tiers de la toile, ménageant ainsi une grande place au ciel qu’il utilise comme source de lumière inondant tout le paysage et donnant à ce-dernier sa profondeur.

Un autre admirable soleil couchant, cette fois du maître du réalisme, Gustave Courbet (1875), est exposé. De fait, l’artiste a travaillé avec Monet et Boudin sur les côtes normandes en 1865, étudié la dilution des couleurs et recherche comme eux la perception lumineuse. Dans cette toile tout à fait atypique, il se libère techniquement de la tradition académique en usant de petites touches légères et rapides de couleurs souvent pures pour traduire la transparence et la fluidité de l’eau et d’épais empâtements au couteau pour traiter les montagnes. Sa vue du lac Léman au soleil couchant frise singulièrement l’abstraction et se distingue par sa tonalité chaude, sa lumière sereine. Le lac s’étend par-delà un rivage dépouillé traité dans des variations de gris-beige et ponctué de rochers renforçant la séparation entre terre et eau. A l’arrière-plan se dressent des montagnes brun-noir que surplombe un ciel vaporeux et lumineux et derrière lequel disparaît, tout en se reflétant dans l’eau, le demi-cercle orange vif du soleil, point focal de la composition.


Dans les années 1880-1914, tandis que l’astronomie puis l’astrophysique s’intéressent à la composition physique du soleil qui devient sujet d’étude à part entière, les artistes s’emparent également de l’astre dans un cadrage plus serré. Le soleil tend à envahir l’ensemble du champ pictural. C’est assurément le cas de la singulière toile d’Edvard Munch, le soleil, 1910-1913, qui participe d’une série d’études pour la décoration du hall de l’Université d’Oslo. Le peintre exprime admirablement la puissance éblouissante du soleil, symbole d’une énergie vitale débordante, en étirant ses rayons jusqu’aux limites du cadre, transfigurant alors le fjord d’Oslo. La toile quasi contemporaine du peintre suisse Albert Trachsel, Soleil, 1909, traduit également l’éblouissement en conférant les deux tiers de la composition au soleil dont les rayons irradient la crête d’une montagne, dissolvant ses formes dans un flamboiement de jaunes, de rouges et de bleus.

En revanche, en dépit d’une certaine proximité dans la représentation du soleil qui inonde de ses rayons le paysage –la gloire incarnant la présence divine-, la toile du peintre Nabis Maurice Denis (1904), vise à traduire une expérience mystique du soleil à travers un sujet classique de la peinture religieuse magistralement traité par Giotto, Saint François d’Assise recevant les stigmates.


A noter par ailleurs la belle découverte du travail de la danoise Anna Ancher, auteur d’un merveilleux coucher de soleil bleu exposé à proximité. Elle participait, tout comme Laurits Tuxen dont on peut également contempler une étude de 1909 représentant un coucher de soleil à Hojen, des peintres de Skagen –la ville la plus au nord du Jutland-, colonie d’artistes pratiquant, dans le dernier tiers du XIXe siècle, la peinture en plein air et imprégnant leur toile d’une belle luminosité nordique.

Quant au soleil levant terriblement expressionniste d’Otto Dix (1913, Dresde), si elle révèle l’impact d’un Van Gogh, exposé l’année précédente à Dresde, sur le jeune artiste qui lui emprunte notamment sa touche épaisse et tourmentée, il n’a rien d’un astre chaleureux mais relève plutôt du « Soleil noir de la mélancolie » d’un Nerval, un astre saturnien. Dix dépeint une aurore glaçante, le soleil se levant, en une explosion de rayons jaunes et noirs, sur un paysage enneigé peuplé de corbeaux, comme un mauvais présage de la guerre imminente.

Le chaos de la guerre se double par ailleurs de l’impact des travaux d’Albert Einstein sur la relativité (1915) lesquels réduisent le soleil, dans un univers en expansion, à une simple une étoile parmi d’autres. Cette dilatation de l’espace est sensible dans les œuvres les plus récentes du parcours –laquelle m’a semblé toutefois plus faible-, tout en se doublant, si l’on songe aux soleils de Miro ou de Calder, d’une aspiration poétique qui vise davantage à symboliser qu’à dépeindre.

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé, / Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie : /Ma seule Etoile est morte, – et mon luth constellé /Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé, / Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie, / La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé, / Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.
Suis-je Amour ou Phébus ?… Lusignan ou Biron ? / Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ; / J’ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène…
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron : / Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée / Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
Gérard de Nerval, El Desdichado, du recueil les Chimères, 1854