Leonardo da Vinci 1519 / 2019

MUSEE DU LOUVRE, Paris, Octobre 2019 – Février 2020

Tu feras les figures de sorte qu’en voyant une figure on sache ce qu’il y a dans son âme, sinon ton art ne méritera aucun compliment.

Leonardo da Vinci, traité de la peinture, 1492
Vinci, études de la tête de Leda, 1505-06_Louvre, 22 novembre 2019

Tandis que la Joconde fait couler beaucoup d’encre et tend à étouffer le Louvre (https://www.nytimes.com/…/mona-lisa-louvre-overcrowding…), l’exposition que consacre le musée à Leonardo da Vinci à l’occasion du cinq centenaire de sa mort est enfin l’occasion de contempler de tout près une part remarquable de son œuvre. La première salle nous rappelle son initiation auprès du sculpteur Andrea del Verrocchio, à Florence, dont l’admirable incrédulité de st Thomas (1467-1483), réalisée pour l’une des niches de l’Orsanmichele, est entourée d’études de drapés de Vinci. L’artiste en retient le côté sculptural de la forme -volumes exprimés par le travail des ombres et lumières- et plus encore le rendu du mouvement qui s’imposera de plus en plus, tout en se détachant de son maître en privilégiant -à l’heure où les artistes se positionnent sur le paragone (https://ehne.fr/…/paragone-debat-entre-la-peinture-et…; https://www.persee.fr/doc/piot_1148-6023_1991_num_72_1_1624)- la peinture sur la sculpture.

Verrocchio, l’incrédulité de st Thomas, 1467-83

Les premières toiles du maître, l’Annonciation (1470) et sa participation au Baptême du Christ de Verrocchio (1468-78), toutes deux aux Offices, ne sont présentes que par le biais de réflectographies infrarouges qui témoignent déjà d’un aspect essentiel au processus de création de Vinci, aspect qui explique le faible nombre de toiles réalisées : la primauté de la recherche sur la réalisation. Chaque mouvement, chaque geste, chaque trait, chaque couleur, chaque jeu d’ombre et lumière, sont précisément et inlassablement étudiés, l’artiste semblant vouloir aller toujours plus loin dans la compréhension de la chute d’un drapé sur un corps, les effets optiques associés à la perspective qui aboutiront au sfumato -effacement des limites permettant de douces transitions lumineuses-, le jeu des muscles et des organes sous la peau…, ce que rappellent nombre de dessins exposés, qu’il s’agisse d’études préparatoires pour des peintures ou d’étayer ses écrits, ses observations, ses inventions ou expérimentations, son désir de compréhension de la nature et de ses lois dont témoigne admirablement le célèbre « homme de Vitruve » inscrit dans un carré et dans un cercle afin d’exprimer le canon du corps humain.

Vinci, étude pour l’apôtre Jacques le majeur de la Cène et étude architecturale, 1494-96

Autre conséquence, plus surprenante sans doute, de ce processus de création : la place de l’inachevé dans l’œuvre du maître (cf le st Jérôme pénitent du Vatican), laquelle résonne singulièrement avec celle de son contemporain et rival Michel- Ange. Conséquence surprenante dès lors que si le sculpteur décèle une puissance de vie et de vérité particulière dans l’inachevé voulu de ses esclaves, l’artiste exprimant dans ses sculptures une forme de lutte symbolique avec la matière, un conflit entre la forme et l’informe, un équilibre instable, participant de leur beauté ; l’inachevé vincesque procèderait plutôt d’une perpétuelle insatisfaction, d’une quête impossible de perfection et d’absolu. (https://www.cairn.info/revue-topique-2008-3-page-173.htm). Cette quête perpétuelle transparaît à merveille dans la réflectographie de l’adoration des mages -l’œuvre originale n’ayant malheureusement pas fait le voyage-, les dessins sous-jacents ainsi que les études antérieures témoignant des pensées et évolutions assaillant l’artiste pendant la réalisation d’une toile. A noter que les recherches continuelles du maître ont eu d’autres aspects néfastes lorsqu’elles l’incitaient à tester de nouvelles techniques qui n’ont guère survécu au passage du temps si l’on songe à ses fresques dont la plus emblématique, celle réalisée pour Ludovic le More dans le réfectoire de santa Maria delle Grazie à Milan, la Cène, est présente par une copie de son disciple Marco d’Oggiono et de magnifiques dessins préparatoires tels que l’étude pour l’apôtre Jacques le majeur.

Si l’on aurait souhaité davantage d’analyses comparatives dans l’exposition (Giorgione, Raphaël etc.), l’acmé de cette rivalité entre Michel-Ange et Vinci est présente, par-delà les disciplines de prédilection des deux maîtres, par le souvenir (dessins et copies) de la commande (1503-04) des batailles d’Anghiari et de Cascina pour la salle du Conseil du Palazzo Vecchio de Florence. Tandis que Michel-Ange opte pour la représentation d’hommes nus aux musculatures étudiées, les florentins se baignant dans l’Arno alors que retentit l’alerte du combat, Vinci dépeint une scène de bataille remarquable de vie, de mouvement, de violence.

Vinci, madone Lansdowne, 1501 10

L’influence sur l’artiste de l’antique n’est guère évoquée que par une copie et de merveilleuses études pour la Léda, tandis que celle de la Renaissance nordique, dont il retient probablement la force d’expression, l’efficacité des cadrages serrés et de l’huile, est rapidement convoquée par un admirable portrait d’homme de Memling et le condottiere d’Antonello da Messina -artiste dont Vinci a pu admirer le travail chez Sforza, à Milan, ce dont témoigne son « Musicien » de Milan. Le parcours propose de fait de remarquables portraits du maître, parfois confrontés à ceux de ses disciples (Boltraffio, d’Oggiono…), même si l’on note l’absence de quelques chefs d’œuvres tels que « la dame à l’hermine » de Cracovie, « le portrait de Ginevra de Benci » de Washington, ou encore « la Joconde », malheureusement maintenue dans la salle des Etats derrière des mètres de barrières et d’écrans de téléphones portables. On peut toutefois admirer « la belle ferronnière » du Louvre, admirable de vitalité et d’intelligence ainsi que, l’époustouflante « scapigliata » de Parme ou, dans le registre religieux, la merveilleuse « Madone Lansdowne » (collection privée). Une exposition bien construite et réunissant un nombre conséquent de toiles du maître, même si l’on aurait pu attendre une analyse plus poussée de l’art vincesque de dix années de genèse…

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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