Les années parisiennes de Christo

CENTRE POMPIDOU, Paris, Juillet-Octobre 2020

Christo_ Centre Pompidou, Paris_17 juillet 2020

Sans être une exposition rétrospective, « Christo et Jeanne-Claude, Paris ! », devenue posthume depuis la mort de l’artiste en mai 2020, offre un bel aperçu de l’art du couple, quoiqu’un peu redondant et trop partiel, en se focalisant sur leur période parisienne, de leur rencontre en 1958 à leur installation à New-York en 1964, et sur l’empaquetage du Pont Neuf en 1985.

Christo_ Centre Pompidou, Paris_17 juillet 2020

Une sélection qui permet toutefois de dépasser l’image restrictive de l’artiste empaqueteur qui a fui la Bulgarie communiste pour Prague, Vienne, Genève où il crée des portraits mondains pour vivre puis Paris, en présentant par exemple ses impressionnants Cratères, des peintures d’une forte matérialité influencées par les toiles terreuses, magmatiques d’un Jean Dubuffet et l’expressionnisme américain. Les toiles, réalisées à base de couches épaisses de peinture brun foncé, de sable, d’émail, de colle et de métal, présentent une texture dense, parcourue de sillons et de perforations et de reliefs qui évoquent la forme d’un cratère et attirent le regard à l’intérieur sinon au-delà de l’oeuvre. Elles témoignent déjà de l’intérêt de l’artiste pour la tridimensionnalité et ne sont pas sans rappeler la pratique d’un Lucio Fontana tout en basculant le paysage, lunaire et crevassé à la verticale.

Christo_ Centre Pompidou, Paris_17 juillet 2020

Le début du parcours permet par ailleurs de contempler de très belles surfaces d’empaquetage, morceaux de tissu ou de papier froissés, écrasés, pliés, discontinus et recouverts par l’artiste de laque marron foncé et de sable ou de poussière, présentant des altérations de la surface qui se retrouveront dans les premiers emballages de l’artiste. Dès ses premières réalisations parisiennes, Christo apprécie l’intégration de matériaux étrangers à l’art et la création de surfaces complexes, irrégulières, comme en relief.

Il ne s’agissait pas tant de créer un objet, mais plutôt la texture de l’objet lui-même.

Christo
Christo_ Centre Pompidou, Paris_17 juillet 2020

L’artiste en vient toutefois rapidement à la tridimensionnalité. Dès 1958-60, avec les Boîtes, les Etagères, il recouvre des boîtes cylindriques en métal (pots de peinture ou boîtes de conserve), des bouteilles, de tissu puis des pièces de mobilier, des barils, rigidifié par la laque et ficelés. Parmi les premières œuvres du couple dans l’espace public, on peut évoquer le mur de 89 barils qu’ils dressent rue Visconti, l’une des plus étroites rues de Paris, dans la nuit du 27 juin 1962 en réaction à l’édification du Mur de Berlin en 1961 (« Le Rideau de fer »).

 Je trouvais que les barils de pétrole ressemblaient déjà à des sculptures […]. Les taches d’huile, les couleurs délavées, la rouille, les bosses – Je les trouvais fascinants, très beaux, car ils faisaient “vrais”.

Christo

Apparaissent alors ses premiers objets empaquetés, d’abord avec du papier froissé et laqué, puis du tissu, et ficelés, l’artiste s’attachant avec soin au choix de textures variées, de jeux de matière, de couleurs. Ses premiers empaquetages conservent une part de mystère, l’objet empaqueté demeurant caché, puis, courant 1960, Christo découvre le polyéthylène, plastique transparent laissant deviner l’objet. S’il est parfois associé aux Nouveaux réalistes, au readymade voire aux minimalistes dans l’élaboration épurée de ses vitrines puis store fronts (devantures de magasin réalisées à partir de matériaux de récupération qui placent le spectateur dans une situation d’empêchement par l’occultation de l’intérieur de la vitrine par du papier ou du tissu), la démarche de Christo, quoique répétitive, systématique et obsessionnelle, n’en est pas moins tout à fait singulière.

Si l’on peut regretter le choix de la commissaire de ne présenter qu’un seul emballage monumental, celui du Pont Neuf qui fait l’impasse non seulement sur l’empaquetage de l’Arc de Triomphe prévu initialement en parallèle de l’exposition mais également sur les réalisations du couple en Australie (Wrapped Coast, Sydney, 1968-69), en Angleterre (The Gates, Central Park, 2005, London ; The London Mastaba, Hyde Park, 2016-2018), en Allemagne (Reichstag, 1995)…et ne rend aucunement compte des contraintes et choix propres à chaque projet, l’exposition dossier consacrée au Pont-Neuf retrace, au travers de dessins virtuoses, de plans, de photographies, de maquettes, de collages, d’études et documents d’archives, l’ensemble des étapes du processus de création jusqu’à la réalisation de l’œuvre monumentale et éphémère. De fait, dès 1961 le couple envisage d’empaqueter un bâtiment public et réalise peu après des études pour l’Arc de Triomphe, qui ne sera finalement empaqueté qu’en 2021.

A partir de 1975, Christo et Jeanne-Claude songent à l’empaquetage du Pont-Neuf avec une toile polyamide de couleur grès doré recouvrant les côtés et les voûtes des douze arches du pont, ses parapets, ses bordures, ses trottoirs, ses lampadaires et les parois verticales du terre-plein de la pointe de l’Île de la Cité. L’intervention souligne les qualités architecturales du pont et renouvelle l’appréhension de ses volumes. Œuvre éphémère seulement préservée par le principe des expositions-dossier, présentée en 1985 pour deux semaines, le projet a nécessité un dispositif technique et humain colossal financé par la vente des collages, dessins, maquettes… et dix années de négociations auprès des politiques et des riverains.  

Ces œuvres ne sont visibles qu’une fois dans une vie mais restent gravées dans les mémoires. Cet aspect est essentiel dans notre démarche et rappelle un principe résolument humain : rien ne dure éternellement et c’est là toute la beauté de la vie.

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