L’expressionnisme romantique de Dine

CENTRE POMPIDOU, Paris, Février-Avril 2018

Jim Dine_centre Pompidou_23 février 2018

Le musée du centre Pompidou rend hommage à l’artiste américain Jim Dine suite à une importante donation. « Paris reconnaissance », clin d’oeil de Dine à une ville où il séjourna fréquemment, s’ouvre sur une salle aux murs ponctués de textes bilingues, à la graphie étudiée et variée, au milieu desquels trône une « Vénus de Milo » non sans grâce malgré la rudesse de la découpe du bois. Un poème chargé de métaphores et d’érotisme, de vitalité et de souvenirs, car l’œuvre de Dine, -malgré ses motifs récurrents relevant souvent de la culture populaire et justifiant parfois son rapprochement avec le Pop art (cœur, Vénus, Pinocchio, outils…) alors même que l’art de Dine est marqué par l’expressionnisme abstrait d’un de Kooning et échappe à toute catégorisation-, porte une forte dimension autobiographique.

Quelques « concrete paintings » sont présentées, pièces aux couleurs vives et intenses réalisées à même le sol, d’une grande densité de matière par l’emploi de résines et de sable, voire de crépi, travaillés au rouleau puis à la meuleuse, grattés, effacés, modelés, et sur lequel l’artiste esquisse le contour d’une forme, son habituel cœur dans « glade of colour », 2011. Plus loin, une salle très réussie voit se déployer un vaste ensemble de peintures qui renvoie à l’histoire de la discipline et notamment au polyptyque. Des pièces beaucoup plus sombres, emplies de références picturales (art du Fayoum, peinture pompéienne, art égyptien…) et populaires (Mickey, Pinocchio –double et métaphore de la création pour Dine-…). « The bride and groom », 1996, se distingue tout particulièrement, panneau construit comme un triptyque avec un large éventail technique, de la forme rouge, très dense et granuleuse, d’un cœur, au centre, au traitement beaucoup plus fluide et léger bien qu’inquiétant des oiseaux, réalisés à partir de photographies d’oiseaux empaillés. L’ensemble, d’une grande puissante par sa diversité et sa maîtrise techniques, le violent contraste des coloris sombres des panneaux latéraux et du centre d’un rouge sanglant et l’antagonisme des éléments représentés, renvoie tout à la fois à la peinture religieuse (un centre divin, métaphysique) et à nos pulsions les plus primaires. Il témoigne parfaitement de « l’expressionnisme romantique » de Dine.

Nombre de pièces de Dine ne relèvent toutefois ni de la sculpture, ni de la peinture, mais d’un entre-deux, dans l’esprit des « combines paintings » d’un Rauschenberg. L’artiste insère en effet des objets, outils, vêtements, donnant à ses toiles une dimension tridimensionnelle inédite. « Nancy and I at Ithaca », cœur de paille réalisé en 1964-69, investit l’espace d’une autre salle et témoigne pour l’artiste de cet effacement des frontières entre les disciplines. Elle participait d’un ensemble de huit sculptures monumentales pour partie détruites. Malgré l’impression de fragilité, de précarité, qui émane d’emblée de cette pièce, on apprend que l’artiste l’a en réalité créée à l’origine avec du fer galvanisé, enduit d’une pâte de linoléum puis recouvert d’une peinture argentée et de poudre dorée. Ce n’est qu’en 1969 que, retirant une grande part de la texture première, Dine colla de la paille et conféra une dimension bucolique à « Straw heart ». Il ne lui est effectivement pas inhabituel de reprendre des œuvres et de modifier ainsi leur signification et leur portée. Il s’agit de l’une des premières apparitions du motif du cœur dans son œuvre, qui renvoie par ailleurs à sa première femme tout comme à la mythologie antique. Une petite rétrospective de belle qualité !

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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