L’Inferno del Dante

Sandro Botticelli, la carte de l’Enfer, 1480-90

Nel mezzo del cammin di nostra vita

mi ritrovai par una selva oscura,

ché la diritta via era smarrita.

Dante, Inferno, canto I

Premier cantique de la Divine Comédie, l’Enfer, vaste entonnoir né de la chute de l’ange rebelle Lucifer et dont Botticelli, en 1480-90, a laissé une incroyable représentation, marque le début du parcours de Dante, alors guidé par Virgile, pour retrouver Béatrice et Dieu. Un parcours en trois temps, de l’Enfer au Paradis en passant par la montagne du Purgatoire, ponctué de rencontres, qui constitue tout à la fois une allégorie du passage de l’Homme de l’ignorance à la lumière intellectuelle et spirituelle et une descente progressive en soi.

Poème composé en une quinzaine d’années (1306-21), la Divine Comédie se caractérise par l’emploi alors inédit de la langue vulgaire –une langue qu’il parfait, d’une musicalité et d’une beauté envoûtantes, donnant naissance à l’italien moderne- et par une structure hautement symbolique : ses trois cantiques constitués de cent chants sont entièrement faits de tercets de trente-trois syllabes (le trois évoque la Trinité, le 33 le nombre d’années vécues par le Christ sur terre, le 100, la béatitude céleste).

Stradano, ripartizione dell’inferno descritta da Virgilio, 1587

Au tout début du XIVe siècle, les villes italiennes sont divisées entre Guelfes, proches du pape qui à Florence se diviseront entre guelfes noirs, prêts à accepter l’influence papale et guelfes blancs, soucieux de limiter les pouvoirs pontificaux au domaine spirituel-, et Gibelins, favorables au Saint-Empire romain. Dante, guelfe engagé de son vivant qui, en 1300, est à la tête de l’exécutif à Florence pour en être banni peu après, peuple son Enfer de ses adversaires, tels Filippo Argenti, Farinata, Guido Cavalcanti, Vanni Fucci –dont la plupart nous sont inconnus et auquel Dante donne, par-delà sa haine, un caractère intemporel- mais aussi de nombre de personnages mythologiques (tel Minos, placé aux portes de l’Enfer, le Minotaure, incarnation de la violence, par lequel Dante rappelle que l’homme sujet à la colère, péché capital, peut se montrer bestial, Ulysse, Achille, les Géants comme Antée, les Erinnyes qui gardent les remparts de la cité de Dité) et historiques (Alexandre, Denys, tyran de Sicile, Attila, Frédéric II…).

Au début du récit, Dante traverse, apeuré, une forêt et y rencontre trois animaux symboliques : une panthère, un lion et une louve, soit d’emblée une projection des trois principales divisions de l’enfer : « incontinence, malice et la folle bestialité », selon les mots de Virgile au chant XI. Quant à la « selva oscura », elle évoque la matière chaotique de Platon comme l’entrée du monde souterrain d’Hadès décrite par Virgile dans l’Enéide.

Blake, les cercles de l’enfer 1824 27

L’Enfer est constitué de neuf cercles de diamètre décroissant, correspondant aux sept péchés capitaux, où se répartissent les damnés, frappés d’une peine contraire ou analogue à leur faute (le contrapasso, relation logique entre le péché et sa punition), de plus plus en plus graves au fil de la descente, selon une classification inspirée de l’Ethique à Nicomaque d’Aristote. Il est composé de trois vastes zones.

Luca Signorelli, l’antiferno, 1499 1502

L’anté Enfer et les Limbes regroupent respectivement les âmes de ceux qui «furent sans infamie ni louange » -l’humanité trop passive et lâche pour agir, bien ou mal-et « sans baptême ». Parmi ces-derniers, qui n’ont pas connu Dieu et qui, sans avoir péché, ne peuvent pour autant être sauvés, on rencontre les philosophes, savants et poètes de l’antiquité gréco-romaine au fondement de l’humanisme chrétien du XIIIe siècle : Aristote –autorité majeure à l’époque médiévale-, Platon, Socrate, Héraclite, Homère, Horace, Ovide, Ptolémée, Avicenne, Averroès…, reflets de l’érudition du poète.

Raffaello, Dante con Omero e Virgilio, stanza della Signatura, 1508 24

Per me si va ne la città dolente,

per me si va ne l’etterno dolore,

per me si va tra la perduta gente.

Giustizia mosse il mio alto fattore ;

fecemi la divina podestate,

la somma sapïenza e ’l primo amore.

Dinanzi a me non fuor cose create

se non etterne, e io etterno duro.

Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate.»

Dante, L’Inferno, inizio del canto tre

https://divinecomedy.digital/

Le haut Enfer (les cinq premiers cercles) réunit les incontinents (les luxurieux emportés par l’ouragan infernal tels que Cléopâtre, Didon, Hélène, Tristan et surtout Paolo Malatesta et Francesca da Rimini, amants adultères tués par l’époux de Francesca mais que Dante réunit dans l’éternité infernale), les gourmands couchés dans la boue sous une pluie glaciale, sous les hurlements de Cerbère, démon à trois gueules, les avares et les prodigues qui roulent des rochers en s’injuriant, les coléreux immergés dans les eaux du Styx…).

Le bas Enfer situé dans la cité de Dité, défendue par les anges rebelles (les cercles six à neuf), rassemble enfin les hérétiques, perturbateurs de l’harmonie générale, couchés dans des tombes brûlantes, les violents (envers leurs prochains, envers eux-mêmes ou envers Dieu) plongés dans un fleuve de sang bouillant, changés en arbres (les suicidés), déchirés par des chiens ou des harpies ou encore exposés à une pluie de feu, les fraudeurs symbolisés par Geryon (les séducteurs tels Jason, courant fouettés par des diables, les adulateurs plongés dans un fleuve d’excréments, les simoniaques placés la tête en bas dans des trous, les pieds brûlés par des flammes, les devins, marchant à reculons, la tête à l’envers, les trafiquants trempés dans la poix brûlante et aux prises avec des démons, les hypocrites vêtus de plomb, les voleurs métamorphosés en serpents, les schismatiques transpercés par l’épée d’un diable –parmi lesquels Mahomet que l’éditeur néerlandais Blossom Books a honteusement décidé de supprimer de sa récente traduction de l’Enfer, soi-disant pour ne pas heurter-, les faussaires couverts de gale et de lèpre, fous déchirant leurs compagnons, dévorés par la soif ou par une fièvre…), les traîtres pris dans la glace du Cocyte, tels Ugolino della Gherardesca, les trois traîtres suprêmes à l’égard de l’Eglise et de l’Empire – pouvoir religieux et  unité politique-, étant dévoré pour l’éternité par Lucifer qui gît au cœur de l’Enfer, au centre de la terre, lieu le plus éloigné de Dieu, pris dans la glace (Judas, Brutus, Cassius).

Un Lucifer aussi laid qu’il était beau avant sa chute et dont les trois visages, rouge, jaune et noir, parodient la Trinité, le mal n’étant pour Dante que privation du Bien, désespoir, néant dans lequel sombre l’homme refusant volontairement la perfection en lui et l’Enfer, l’abîme engendré par le premier ange rebelle.  

Gustave Doré, Lucifer

Si Dante s’inspire de ses grands prédécesseurs, notamment Virgile qui dans l’Enéide, narre la visite du monde souterrain par Enée pour rencontrer l’ombre de son père Anchise et dont on retrouve divers personnages tels Achéron, Charon…., l’Enfer dantesque est décrit avec un réalisme et un souci du détail inédits, d’où son influence sur nombre d’artistes au fil des siècles, représentations au cœur de l’exposition proposée par Jean Clair à Rome, Inferno, pour les sept cent ans de la mort du poète.  

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