MUSEE GUIMET, Paris, Mars – Juin 2022

Il y a un moment où les fines lignes se rassemblent et s’étendent. Et soudain, on n’arrive plus à tracer les lignes des yeux. Lorsque chaque fil n’est plus visible, il semble que la vérité qui s’y trouve devient enfin visible.
Chiharu Shiota


En continuité avec sa dernière exposition à la galerie Templon de Bruxelles en 2021, l’artiste japonaise Chiharu Shiota investit la rotonde du musée Guimet et parsème quelques oeuvres ça et là dans les salles des collections japonaises du musée -des œuvres en appelant à la mémoire telles ces petites robes blanches piégées dans des trames de fils sombres, libérées de leur fonction première et évoquant irrésistiblement le corps absent, « l’existence dans l’absence », la mémoire des choses, thème de prédilection de Shiota- . Un fil d’Ariane nous guide au fil du parcours, un fil rouge, symbole généralement pour l’artiste de l’intimité, de l’âme, tandis que le fil noir incarne plutôt l’extérieur.
De fait, l’artiste a dû brutalement interrompre ses déplacements en 2020, confinée à Berlin, ce qui lui a inspiré une réflexion sur l’espace domestique, l’immobilité, le silence, l’enfermement, l’incertitude de la destinée.


Living inside, installation monumentale déployée dans la vaste rotonde du musée, est constituée d’une vaste toile de fils rouges tout à la fois entremêlés et évoquant une pluie quelque peu violente où semblent emprisonnées des pièces de mobilier et accessoires miniatures de maisons de poupées : lits, chaises, pianos, buffets, clefs, théière…ainsi que des petites sphères crochetées incarnant le cocon ou l’espace intime. Chaque objet est ainsi pris dans une trame oppressante, paradoxalement rassurante et étouffante, d’autant que ce sentiment ambivalent est accentué par le contraste entre la monumentalité de l’architecture de fils et la petitesse et la fragilité de ces objets du quotidien qui nous rattachent à la vie, à l’enfance, se chargent de mémoire tout en symbolisant notre finitude.
L’œuvre évoque avec sobriété et une certaine délicatesse -quoiqu’il ne s’agisse pas de sa réalisation la plus forte et fascinante- l’expérience du confinement, de ce repli sur un quotidien devenu minuscule. Elle se révèle paradoxale, soulignant tout à la fois l’angoisse liée à la pandémie et la force de l’imaginaire, celle des enfants s’inventant des histoires avec leurs maisons de poupées.
Si le fil, matière première de l’artiste, tout à la fois organique et intellectuelle, est la possible métaphore des relations humaines, la puissance des liens et des sentiments qui les relient, Shiota nous suggère de penser tout autant les liens qui nous enserrent que les écrans qui nous séparent, ce qui défait les sociétés tandis que la toile, les réseaux promettent un rapprochement vain et virtuel. Par ailleurs, le choix de ce médium singulier par lequel Shiota dessine littéralement dans l’espace, dès lors qu’il ne crée pas de frontière entre le spectateur et l’œuvre comme le fait un châssis de toile, désoriente et trouble la perception tout en investissant l’espace.





