Love and angst, de l’oeuvre gravé de Munch

BRITISH MUSEUM, London, Avril – Juillet 2019

Munch, Madonna, 1895 1902

Rares sont les artistes à avoir excellé tout autant dans leur œuvre peint et leur œuvre gravé, beaucoup comprenant l’importance de la gravure en terme de diffusion de leurs créations mais ayant recours à des tiers (Raimondi pour Raphaël). On songe aussitôt à Dürer, Rembrandt, Hogarth…et, à l’aube de la modernité, Munch. C’est à l’œuvre gravé de ce-dernier que le British Museum consacre actuellement une exposition modeste mais essentielle. S’y trouvent en effet réunies ses pièces les plus importantes : l’inquiétante et fascinante « Vampire II », 1895/1902, la sublime et sensuelle « Madonna » 1895/1902, « le Cri », réalisé en 1895 soit 2 ans après la toile, deux versions du « Baiser » 1895 et 1902, « Puberté » 1894, « Enfant malade » exposé à proximité d’une version peinte (1896 et 1907) et évoquant la perte de Sophie, la sœur de Munch atteinte de tuberculose, « Autoportrait avec un bras en squelette » 1895, peut-être la première lithographie de l’artiste, composée comme un memento mori moderne, « Désespoir » 1892, qui dépeint peut-être l’instant de solitude angoissée précédent le Cri, « Jalousie II » 1896, « la mort et la femme », 1894, « Mélancolie III », 1902, qui représente peut-être le poète norvégien et ami de Munch Jappe Nilssen contemplant sombrement la femme qu’il aime avec son mari à l’arrière-plan, des œuvres souvent réalisées dans les années qui suivirent les peintures, à partir de 1894.

Le propos de l’exposition insiste sur le non conformisme de Munch comme l’un des facteurs propices à l’émergence de chefs d’œuvre devenus le symbole universel de l’anxiété, de la mort -une angoisse existentielle qui a marqué l’artiste dès son enfance avec la mort de sa mère et de sa sœur-, de l’amour le plus tendre (« le Baiser », « Attraction ») au plus dévastateur (« Séparation », « the lonely ones », 1899, « Vampire II », « Jalousie »), la chevelure féminine se faisant tantôt caressante, tantôt menaçante, Munch évoque ainsi la femme dans « Vampire », dans ses écrits : « she had bowed her head over mine -her blood-red hair had entangled me-coiled itself around me like blood-rise snakes »…. Un non conformisme marqué par le rejet d’une éducation luthérienne des plus strictes, la fréquentation d’écrivains et artistes bohémiens rebelles (tels que Jaeger, emprisonné quelques jours pour blasphème et immoralité) et en marge d’une société hypocrite cachant ses peurs, notamment sexuelles, sous un voile d’ordre et de pudibonderie, l’influence du symbolisme (l’homme dans « Moonlight, night in st Cloud » est peut-être le poète symboliste danois Goldstein, colocataire de Munch à l’époque), du théâtre d’Ibsen et de la pensée de Nietzsche (rappelée par un très beau portrait de 1906), les voyages (Paris, Berlin), des relations passionnées et violentes et, sur le plan artistique, un langage en rupture avec l’art scandinave de son temps.

Celui-ci se caractérise par un expressionnisme virulent, le recours à des combinaisons de couleurs inhabituelles, des sujets controversés, l’incarnation de sentiments, d’émotions par des types, des allégories modernes (« Puberté », « Mélancolie », « Solitude », « Jalousie »…), aux dépens de la peinture de portrait -en dépit de quelques autoportraits magistraux-, l’expérimentation (lithographie, gravure sur bois, pointe sèche…), le recours à des techniques novatrices, l’artiste rehaussant souvent ses gravures de couleurs pour accentuer certaines émotions -le rouge incarnant souvent le désir-, délimitant parfois ses figures d’un trait blanc pour marquer leur solitude, divisant sa planche en plusieurs pièces pour les encrer individuellement puis les réunir à l’impression, usant de la texture du bois comme moyen d’expression supplémentaire etc.

Munch, head by head, 1905

L’exposition est par ailleurs l’occasion de découvrir quelques planches plus rarement exposées et de toute beauté telles que « Eva Mudocci » 1903, l’une des conquêtes de l’artiste, « Consolation » 1894, un impressionnant portrait de Hans Jaeger, 1896, « Lovers in the waves », 1896, « Moonlight, night in st Cloud », 1896 ou « Head to head », 1905, ainsi que quelques confrontations inattendues et particulièrement efficaces -telles que « sommeil » de Degas, 1883-85 et « nu allongé vu de dos » de Munch, 1896-témoignant de recherches plus ou moins similaires chez d’autres artistes contemporains de Munch (Degas, Lautrec, Gauguin, Max Klinger…) ainsi que de l’influence de maîtres voire « d’objets » anciens qu’il a pu étudier dans les musées (gravures de Burgkmair, Wechtlin ou Holbein le jeune dont les danses macabres ne sont pas sans écho dans « la mort et la femme » de 1894, impact de la gravure de Dürer homonyme sur « Mélancolie », momie péruvienne qui aurait pu inspirer la figure dépersonnalisée et quelque peu abstraite du Cri…laquelle ne crie pas précisément mais tente d’éteindre le cri déchirant la nature qui la submerge). A voir !

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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