Paris-Athènes 1821/2021

MUSEE DU LOUVRE, Paris, Septembre 2021-Février 2022

Coupe attique Apollon faisant une libation, 480 av JC, Delphes_Paris-Athènes naissance de la Grece moderne_Louvre_2 octobre 2021

En observant la période chronologique étudiée, 1675-1919, j’avais quelques réserves sur l’exposition que consacre le Louvre à la « naissance de la Grèce moderne ». De fait, par-delà la dimension conjoncturelle et démagogique qui porte à évoquer Athènes l’année du bicentenaire du début de la guerre d’indépendance grecque (et de l’entrée de la Vénus de Milo dans les collections du musée) et alors que Paris s’apprête à accueillir les prochains Jeux Olympiques, l’exposition Paris-Athènes peine à adopter un fil directeur cohérent tant le nombre des thématiques abordées abonde : relations politiques franco-hellènes de Louis XIV à la Guerre d’indépendance, philhellénisme de la fin du XVIIIe au début du XXe -et part de la Grèce dans l’identité européenne- marqué par d’importantes fouilles archéologiques (expédition de Morée 1828-1833, fouilles de Délos 1873-1913, fouilles de Delphes 1892-1903) et la création de l’Ecole française d’Athènes en 1846, redécouverte de l’art byzantin et de la couleur à l’œuvre dans l’art grec classique et hellénistique, début de la modernité artistique grecque caractérisée par une prise de distance avec le néo-classicisme encore très prégnant au XIXe siècle…

Par ailleurs, on peut déplorer la prégnance des moulages, tirages en plâtre réalisés dans le cadre des Expositions Universelles du XIXe siècle, photographies documentaires, copies dessinées par les étudiants des beaux-arts aux dépens de nombre d’œuvres originales. Si l’on peut comprendre que la Vénus de Milo, exposée dans les collections permanentes, n’ait pas été déplacée, de même que l’Aurige de Delphes –œuvre majeure de Pythagoras des années 470 avant JC-, conservé au musée archéologique de Delphes, les quelques chefs-d’œuvre exposés se perdent parmi un trop grand nombre de pièces de qualité moyenne ou de reproductions.

L’Empire byzantin, dont relève la Grèce médiévale, tombe sous le joug ottoman à compter de la bataille de Manzikert, en 1071, le Parthénon est transformé en mosquée au XVe siècle. C’est une province conquise que décrit l’ambassadeur de Louis XIV, le marquis de Nointel, qui fait escale à Athènes en 1675 accompagné de dessinateurs chargés de faire des relevés des temples antiques. Le marquis, amateur d’épigraphie ancienne, en rapporte quelques reliefs funéraires ou votifs tels une scène d’Adieu (Philocharès et Timagora, 430-350 av JC), un relief représentant Aphrodite versant le liquide de libation dans une phiale que lui tend Arès, tandis qu’un homme se tient en adoration sur la gauche (375-350 av JC) ou encore une stèle funéraire représentant une femme et sa servante avec de jeunes enfants dans les bras.

La tradition chrétienne et la religion orthodoxe n’en restent pas moins vivaces sous la domination turque, ce dont témoignent l’admirable reliquaire de la vraie croix dit de Jaucourt (XIIe-XIVe) et le développement des icônes post-byzantines. Un ensemble de ces-dernières est réuni autour d’une remarquable icône d’un peintre anonyme (1175-1200, musée byzantin, Kastoria) dépeignant au recto la Vierge Hodigitria –soit la Vierge, debout, montrant le chemin selon l’étymologie du terme (du grec ancien odigeô : je guide), avec l’Enfant sur le bras gauche-, le visage profondément triste et au verso la première représentation connue de l’homme de douleur, en buste, l’expression singulièrement sereine, le peintre optant pour une profonde retenue à l’égard de toute évocation de la souffrance ou des blessures, ce à quoi renoncera l’art occidental ultérieur en explorant les possibilités dramatiques du sujet (Dürer, Crivelli, Memling…).

Œuvre des plus exceptionnelles de ce regroupement, la dormition de la Vierge du Greco, 1566 (église de la Dormition de l’île de Syros) est l’une des premières réalisations crétoises de l’artiste et renouvelle l’iconographie traditionnelle byzantine par une grande liberté technique et l’assimilation de la Renaissance italienne qui permet d’assouplir l’austérité de ce type de représentations. On notera également les œuvres d’Angelos Akotantos (Christ en trône ou Pantocrator, bénissant les fidèles, 1425-50, Ste Anne, la Vierge et le Christ, vers 1450), qui témoignent de la permanence de l’influence byzantine dans la Crète sous occupation vénitienne ; celle de Michael Damaskinos réalisée pour le monastère crétois de Vrontisi, qui allie lui aussi références byzantines et influences renaissantes et maniéristes (l’adoration des mages, 1583) ; celles enfin de Stylianos Stavrakis (poisson monstrueux recrachant Jonas) et Nikolaos Kantounis (résurrection du Christ), XVIIIe, d’une incroyable expressivité et qui révèlent un éloignement des modèles byzantins au profit d’influences occidentales et plus spécifiquement d’une gravure du flamand Sadeler, 2e XVIe, s’agissant de Stavrakis, de l’art baroque et rococo s’agissant de Kantounis.

L’évocation de la guerre d’indépendance -initiée par l’appel de l’archevêque de Patras le 25 mars 1821 à se soulever contre les Ottomans-, puis du règne d’Othon et Amalia –moqué par Daumier dans une série de lithographie d’une remarquable verve- se révèle très en retrait sur un plan artistique, à l’exception de quelques toiles dont La Grèce sur les ruines de Missolonghi de Delacroix, 1826, hommage de l’artiste au poète anglais Lord Byron, mort à Missolonghi en 1824 (mais les Massacres de Chios, du même artiste, oeuvre emblématique de la réaction turque contre la Grèce, sont à admirer dans les collections permanentes du musée). La Grèce, personnifiée par une femme dont le corps reprend le canon antique mais vêtu de façon moderne, pleure la défaite de son peuple. On notera également le très beau plâtre de la jeune grecque au tombeau de Markos Botzaris de David d’Angers, 1827, jeune fille au corps adolescent singulièrement fidèle, s’éloignant de l’idéalisation néo-classique, à demi-couchée sur une dalle funéraire sur laquelle est inscrit le nom du héros. Elle incarne la guerre d’indépendance et la nouvelle nation (le marbre est conservé au musée historique national d’Athènes). Botzaris fut l’un des chefs de l’insurrection grecque contre les turcs, mort héroïquement et le sculpteur, philhellène, envoya à ses frais une statue commémorative pour son tombeau à Missolonghi.

L’année de la proclamation de l’indépendance de la Grèce, 1822, est également celle de la découverte de la Vénus de Milo. Si la célèbre statue n’a pas quitté le département des antiquités grecques du musée, l’exposition présente toutefois le très bel Hermès de Milo sculpté par Antiphanes de Paros et considéré comme une copie d’époque hellénistique (1er siècle av JC-1er siècle ap. JC) ainsi qu’un casque en bronze du IIIe siècle av JC, trouvés sur le même site.

Le parcours évoque ensuite l’émergence de l’archéologie et d’une approche plus scientifique de la fouille au milieu du XIXe siècle, marqué par la création de l’Ecole française d’Athènes en 1846. La seconde moitié du siècle voit l’essor de fouilles majeures, à Santorin en 1870, Délos (à partir de 1873), Olympie à partir de 1875 (d’où provient l’admirable Tête d’Heracles, fragment de métope du temple de Zeus, du Louvre), Delphes (à partir de 1892). La plupart des chefs-d’œuvres ne sont guère évoqués que par des moulages : l’Aurige de Delphes, superbe bronze de Pythagoras de Rhegion, découvert en 1896 –également rappelé par la superbe robe de taffetas de soie qu’il inspire à Mariano Fortuny, 1910-15-, l’Agias, copie d’un bronze de Lysippe et l’Antinous de Delphes –œuvre de l’époque d’Hadrien d’une grande beauté trouvée en 1894 et probablement destinée à l’entrée du sanctuaire, le sphinx des naxiens, le superbe Apollon de Délos….

Toutefois, quelques originaux ont fait le déplacement dont la merveilleuse coupe attique représentant Apollon, identifié par sa lyre à sept cordes et sa couronne de laurier, faisant des libations (vers 480 av JC), découverte lors d’une fouille du sanctuaire dans les années 1950-60 et à destination probablement funéraire. Un chef-d’œuvre de la peinture antique par la grande finesse du dessin et le soin apporté à la composition. On notera également quelques statuettes de bronze de grande qualité (groupe de deux athlètes, 470-460 av JC, trouvé en 1939, éphèbe, fin du 1er-début du IIe siècle ap. JC) et surtout la somptueuse mosaïque représentant Dyonisos et une panthère, de Délos (IIe-1er siècle av JC).

Delos, Dionysos sur une panthere, II-Ier av JC

Les découvertes circulent à l’aide de plâtres dont ceux de réalisés par l’atelier de Giovanna Buda pour l’exposition universelle de Paris en 1900, alimentant l’esprit philhellène. Les archéologues commencent à s’intéresser à l’époque archaïque et à la découverte de l’art byzantin, à proposer des reconstitutions de la polychromie originelle de l’art de l’époque classique encore visible sur la célèbre tête du Cavalier Rampin (560-540 av JC)…

Le parcours s’achève sur l’émergence de la modernité dans l’art grec de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle -en dépit des tensions qui agitent l’espace balkanique-, après une longue période caractérisée par la persistance du néo-classicisme inspiré de la France et de l’Allemagne encore prégnante dans la très belle et sensuelle Psyché d’Ioannis Kossos, 1858, la peinture de Niképhoros Lytras (Antigone et Polynice, 1865), longtemps professeur à l’Ecole des beaux-arts d’Athènes-, incarnée par le groupe Techni, marqué par les avant-gardes européennes. En témoignent le symbolisme de la splendide Araignée, 1884, de Nikolaos Gyzis, digne d’un Redon ou de son Archange, 1895, tandis que son Don, 1886, s’inspire davantage d’un Courbet, le post-impressionnisme d’un Constantinos Mélas (Paysage du Laurion, 1918-20), l’admirable Esprit de deuil, sculpté par Ioannis Vitsaris en 1872 (plâtre pour le tombeau de Nikolaos Koumellis, cimetière d’Athènes) qui dépasse le néo-classicisme par le traitement réaliste du corps et s’inspire d’un modèle de Siegel, le tout aussi remarquable penseur ou Dilemme de Constantinos Dimitriadis, 1907, dont la pose tout comme l’inachèvement du socle révèlent l’impact de Rodin.

Ioannis Vitsaris, esprit de deuil, 1872

Un regard sur la Grèce plutôt décevant malgré quelques oeuvres remarquables, reflet d’une société contemporaine capable de sacrifier l’emblème de l’art grec, le Parthénon, en quelques pelletées de béton.

https://www.connaissancedesarts.com/monuments-patrimoine/archeologie/du-beton-sur-lacropole-la-polemique-enfle-autour-du-projet-de-restauration-du-site-antique-11156177/

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