Paris Photo 2018

GRAND PALAIS, Paris, 8-11 novembre 2018

Lucien Clergue, le marais d’Arles France, 1959 et Otto Steinert, luminogramm III, Paris, 1952_galerie Johannes Faber

Quand malgré 4 heures dans les méandres du Grand Palais après une semaine de travail je sors en forme et souriante, je me dis que c’était une bonne édition de Paris Photo…

Par-delà le plaisir à revoir quelques classiques (l’Amérique de Robert Frank, Harry Callahan et Andre Kertesz -« Washington square at night », 1954-, la jeunesse turbulente des années cinquante sous le regard de Bruce Davidson (« Brooklyn gang », 1959), Robert Mapplethorpe placé dans un intéressant dialogue avec Bart Julius Peters soit deux regards singuliers sur l’identité sexuelle masculine, Ansel Adams, Sabine Weiss, Josef Koudelka…) ou des artistes déjà appréciés en musée ou en galerie (les « anatopées » d’Arnaud Lesage, 1990-2018, galerie Maubert, travail sur l’apparition d’une forme verticale au centre d’un paysage, décliné depuis 1996 par l’artiste, et produisant tout un jeu de correspondances …; le nouveau travail photographique et vidéo d’Erwin Olaf sur Shanghai, second volet d’un triptyque initié à Berlin et appelé à s’achever aux Etats-Unis, Danysz gallery, regard sur une ville de contrastes, de changements, « une forme d’adolescence, pleine de confiance et d’énergie […devenue] un jeune adulte morbide […]» http://magdagallery.com/…/expo…/presentation/95/shanghai) …, ce fut l’occasion de belles découvertes.

Parmi mes coups de cœur 2018, l’admirable dialogue entre François-Xavier Gbré et Yo Yo Gonthier, « la Cour », présenté aux rencontres de Bamako 2017, galerie Cécile Fakhoury. Deux regards entrecroisés, poétiques et singuliers, suscitant de nouvelles manières de voir, mettant à distance le réel tout en l’interrogeant, qu’il s’agisse de la foule qui a investi les rues de Paris après les attentats de 2015, capturée en surplomb et rendue quasiment abstraite, de la lumière intense qui émane d’un ciel de foudre ou d’une série de vanités.

Nous avançons ici l’hypothèse d’une archéologie entre-mondes […] entre l’intime et le commun, […] la résonance d’une pensée partagée, syncrétique, laissant l’imaginaire et le réel s’imbriquer, […interrogeant] les fondements de l’humain.

Adrien Boyer série Présences, sans titre (Vietnam) n°6_galerie Clémentine de la Féronniere

Une très belle série d’Adrien Boyer, « Présences », galerie Clémentine de la Féronniere, qui lui aussi dépasse l’évidence du réel pour en faire apparaître son mystère, « l’hypothèse d’une présence invisible », pour reprendre les mots de Michel Poivert, la possibilité d’un autre sens que celui que l’on accorde aux choses ou aux images.

Adam Katseff, river XVIII_Robert Koch gallery

D’autres travaux témoignent plus ou moins directement du rapport inquiétant que l’homme entretient désormais avec la nature, une nature qu’il n’a cessé de mettre à distance mais dont la destruction accélérée menace désormais sa propre existence. Il en est ainsi de la série « la contamination blanche », galerie Sit Down, réalisée depuis quatre hivers sur les hauteurs enneigées de Fukushima et dans laquelle le photographe, Florian Ruiz, s’efforce de saisir les traces de la contamination radioactive sur la nature. Il traduit cette contamination, cette déformation du réel, par un jeu de superposition d’images, d’effets de transparences et de perspectives brisées qui produit un certain trouble. Une inquiétude latente sourde également au travers des paysages sombres d’Adam Katseff, vues de lieux emblématiques photographiés la nuit et dans une approche assez minimale, les rendant ainsi tout à la fois familiers et insaisissables.

This is the goal of my current series, to present the viewer with a partial landscape and invite them to compose the rest themselves. In this way the images become at once universal and deeply personal; an exploration of the line between physical space and our psychological relationship to it.

https://www.blouinartinfo.com/…/adam-katseffs-water…

Francesco Bosso, water wall, Iceland 2012

Les impressionnantes « water fall » de l’italien Francesco Bosso nous rappellent quant à elles la puissance et la beauté de la nature. Réalisées à partir de techniques analogiques traditionnelles, elles témoignent d’une grande maîtrise de par la profondeur des valeurs et contrastes, et d’une tentative, en capturant un fragment de réel et de temps, de révéler une « forme pure » par delà le sujet photographique.

L’Islande est une terre de rêve unique au monde, où la nature, plus que partout ailleurs, se fait sentir, affichant son art de façonner des paysages extraordinaires de glace et de feu […et où] l’espace occupé par l’homme n’a pas d’importance.

Comme j’ai pu par ailleurs le noter lors de précédentes foires, si un tirage photographique se suffit à lui-même, il n’en demeure pas moins que la sérialité (parfois doublée d’un travail vidéo comme chez Roman Signer ou simplement d’une incroyable efficacité visuelle par la mise en relation des images chez Mario Fonseca, series calle suecia 1972, Thomaz Farkas, Gaspar Gasparian et Geraldo de Barros, Augusta Edwards fine art ; Palmira Puig Giro, vers 1950, galerie Rocio Santa Cruz ; Kazuo Kitai etc.), l’installation photographique ou l’investissement par l’image photographique d’autres supports, parfois en volume (Leyla Cardenas, « reversed geology #1 2018 », galerie DIX9 Hélène Lacharmoise ; Lisa Sartorio, galerie Binôme…) ou chargés d’effets de matière (tirage sur papier mûrier de Jungjin Lee, sur papier Awagami Mura¬kumo Kozo de Lisa Sartorio) ou tendance à revisiter des techniques anciennes comme le daguerréotype dégagent parfois une force et une qualité remarquables. La tendance n’est pas nouvelle certes, la reproduction, la déclinaison, la variante étant probablement dans la nature du médium, mais elle ne cesse de se renouveler tandis que l’image photographique ne cesse de sortir de ses gonds.

Lisa Sartorio, série ici ou ailleurs, 2018_galerie Binome

La galerie Binôme présente une fascinante série de Lisa Sartorio, « ici ou ailleurs », 2018. Celle-ci, travaillant à partir d’images de guerres ou de conflits trouvées sur Internet, qu’elle tire sur papier japonais et retravaille, déchire, découpe, empile, recouvre… réactive une certaine mémoire tout en donnant à voir des paysages qui se désagrègent. Recyclant par ailleurs des images existantes plutôt que d’en produire de nouvelles, elle interroge notre monde où la surabondance de l’image et sa reproduction incessante, conduisent à l’oubli des contenus et à la perte du sens de ce que l’on voit. « La photo comme lieu et objet de mémoire et dont la force plastique se traduit dans la matière même » (François Lozet), en épaisseur, jusqu’à la tri-dimensionnalité de la sculpture.

http://galeriebinome.com/lisa-sartorio/

Autre adepte du tirage grand format sur papier asiatique qui produit un rendu flouté et dense de l’image et traduit une présence physique quelque peu mystérieuse, Jongjin Lee capture (Howard Greenberg Gallery) les étendues abstraites de désert et de montagne d’Amérique du Nord.

Je ne représente pas les paysages ni la nature. Le désert me fait voir clairement mon moi intérieur et mon but est de créer des images de ce que je ressens là-bas: mon état d’esprit intérieur, le sentiment éternel d’être ouvert et présent.

Aaron Siskind, New York, 1950_Robert Mann Gallery

Par ailleurs je me découvre toujours très sensible à une certaine abstraction photographique, qu’il s’agisse d’oeuvres reconnues et singulièrement musicales comme les merveilleux luminogrammes du photographe allemand Otto Steinert, marqué par le Bauhaus et cofondateur du groupe fotoform et emblématique de la « Subjektive Fotografie » qui perçoit la photographie comme vecteur de la personnalité créatrice du photographe ; le travail d’Aaron Siskind, qui dès le début des années 40 se détache du sujet au profit d’une calligraphie visuelle, d’une exploration de motifs ou textures cadrés au plus près, souvent altérés, qui expriment par le médium photographique la propre intériorité de l’artiste…ou encore de travaux plus récents, pure abstraction ou géométrisation d’éléments du réel.

Parmi ces-derniers, les paysages toujours fascinants d’Edward Burtynsky ; la série « el mirage » de Grey Crawford, gallery Taik Persons, artiste marqué par le mouvement Light and Space, déclinaison californienne du minimal art : un travail de construction et de réduction de l’image, à l’aide de masques de papier utilisés en chambre noire et permettant l’introduction de formes géométriques dans le paysage ; la série en noir et blanc « stairs obsession » d’Angela lo Priore, qui sonde la féminité au sein des espaces singuliers, vertigineux et fascinants que constituent des escaliers réalisés par de grands architectes ; les murs de Lukas Hoffmann, dont la qualité de la prise de vue et la déclinaison en polyptyque rend la richesse de détails, contraste de coloris, formes accidentelles nées de la dégradation naturelle, des tentatives de recouvrement par l’homme… ; le regard « géométrique, constructeur », de Lynn Davis, galerie Karsten Greve, sur les vestiges du passé, monumentalisés par l’adoption d’un format carré et comme suspendus hors du temps, ce qu’accentue le retrait de toute présence humaine etc.

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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