Paris week-end gallery 2018

GALERIES CEYSSON, LOUVET, ROPAC, TARASIEVE, GOUNOD, GB AGENCY, RX, Paris, Mai-Juin 2018

GALERIES PUTMAN, TEMPLON, BENICHOU, GAILLARD, HETZLER, PAPILLON, JOUSSE ENTREPRISE, Paris, Mai-Juillet 2018

GALERIES BARRAULT, ROPAC, TORNABUONI ART, Paris, Avril-Juin 2018

GALERIES PERROTIN, POGGI, Paris, Mars-Mai 2018

GALERIES OBADIA, RABOUAN MOUSSION, ALMINE RECH, CROUSEL, Paris, Avril-Mai 2018

GALERIE KARSTEN GREVE, Paris, Avril-Juillet 2018

GALERIE BUCHER JAEGER, Paris, Mai-Septembre 2018

GALERIE MENNOUR, Paris, Juin – Juillet 2018

Van der Heyden Eloise_galerie Putman_26 mai 2018

Très bel après-midi dans les galeries du Marais à l’occasion du Paris Gallery week-end : rencontres avec des artistes, des galeristes enthousiastes et accueillants… Si Bernard Ceysson défend depuis plusieurs décennies le travail de Claude Viallat et l’on pourrait se lasser de revoir cette forme, « la première venue », imperturbablement dessinée, peinte dans son œuvre, il n’en est rien. La galerie Ceysson présente actuellement un admirable accrochage –conçu par l’artiste- de pièces audacieuses, plus encore peut-être que ses toiles sans châssis plaquées au mur.

La logique de Support-Surface se manifeste parfaitement dans ces fragments de toile tendus dans des cerceaux ou des arcs, suspendu, où la couleur, la forme, débordent totalement le support traditionnel pour investir l’espace d’exposition, la toile se fait volume, la matérialité prend le pas sur la représentation. La forme se dessine parfois élégamment par le vide, dans un jeu de cordage, de filets et ficelles. Le caractère artisanal des techniques retenues et la pauvreté de matériaux glanés ça et là pour leur qualité esthétique ou leur vécu qui participent de l’œuvre de Viallat depuis plusieurs décennies, se révèlent par ailleurs d’une grande contemporanéité à l’heure où la prédominance technologique et la menace pesant sur l’environnement provoquent un certain déplacement aux dépens de l’homme, un réinvestissement de pratiques artisanales et un attrait du primitif.

Kapoor Anish_galerie Mennour_21 juillet 2018

Kapoor, Motherwell…s’il s’agit dans les deux cas de peinture, d’abstraction, de grands formats, de flirts avec une esthétique minimaliste, il s’en dégage des émotions tout à fait antagonistes. La peinture de Kapoor, dominée par un rouge sanglant et intense, est elle violemment charnelle. Elle bombe la toile de par une matérialité redoutable et semble vouloir s’en échapper, la déchirer, l’éventrer malgré les filets qui la corsètent. Elle se fait chair et semble comme un écorché, un éviscéré donnant à voir ses entrailles. Elle évoque la vie dans sa crudité, à travers des formes viscérales, sexuelles, comme baignées de sang et son nécessaire revers, la destruction. Le travail de Motherwell sur le thème de la fenêtre (« open series ») est traité en vastes aplats colorés que perturbent des lignes de fusain. Malgré la monumentalité et l’épure de chaque toile, elle suscite une contemplation muette, profonde et intime de part la sensualité, la délicatesse des coloris et les traces de brosse qui animent doucement les champs colorés. En détail…

La nouvelle exposition que consacre la galerie Kamel Mennour à Anish Kapoor dans ses deux espaces du VIe arrondissement, « another mother », se révèle particulièrement impressionnante. Par-delà les miroirs placés dans les angles et qui perturbent la perception, inversant ou déformant notre reflet, c’est surtout l’occasion de découvrir la peinture de l’artiste. Un médium assez traditionnel et rarement présenté pour cet héritier du minimalisme mais d’un minimalisme revisité sinon par une quête de sens du moins par l’acceptation de son émergence dans l’œuvre et dès lors distinct du travail beaucoup plus formel, littéral et à rebours de tout illusionnisme des Andre, Judd, Lewitt, Morris ou Flavin. Un médium qu’il pose violemment sur des toiles monumentales, bombées de matière et se déchirant ça et là en une forme viscérale, féminine et sexuée, vaginale. Ailleurs, une matière dense et généreuse s’épand ou semble vomie par la toile, corsetée parfois de filets ou de plastique qu’elle éventre.

L’informe prédomine alors sur la forme, soit –en se référant au texte d’Yve-Alain Bois dans le catalogue de l’exposition « l’informe », Centre Pompidou, 1996- une tendance à faire basculer le vertical vers l’horizontal, au bas matérialisme contre tout idéalisme, à l’irruption du charnel, du « battement », aux dépens d’un champ visuel unitaire, à l’entropie comme dégradation de l’énergie dans tout système aboutissant à une forme de chaos, de désordre de la matière. Une couleur organique prédomine, rouge sang, couleur récurrente depuis quelques années chez Kapoor, présente aussi bien dans le « Léviathan » présenté pour Monumenta au grand palais en 2011 (https://www.zerodeux.fr/…/monumenta-le-leviathan…/) que dans le contesté « Dirty corner » ou dans la cire vomie d’un canon de « shooting into the corner » exposés à Versailles en 2015, couleur sexuée mais renvoyant tout autant au cycle vital et à la sexualité ou la reproduction qu’à des forces de destruction et contrebalancée par une abondance de noirs.

Kapoor Anish_galerie Mennour_30 juin 2018

Une grande sculpture de métal et de fibre de verre de forme plus phallique traverse par ailleurs l’espace, à cheval sur deux salles, et confirme cette évolution de l’artiste de l’épure géométrique vers des formes plus organiques et une violente « physicalité », comme les entrailles et la chair d’un corps se donnant à voir.

Motherwell Robert_galerie Templon_26 mai 2018

Un ensemble de toiles tout à fait éblouissant d’un maître de l’expressionnisme abstrait, Robert Motherwell, à la galerie Templon. Il s’agit de pièces de la série « open series » réalisées dans les années 1970 sur la thématique de la fenêtre, « métaphore entre le monde intérieur des émotions et le monde extérieur des sens », thématique fascinante que Motherwell partage avec un peintre qui a marqué sa formation, Matisse. La série lui a été inspirée accidentellement : tandis que Motherwell travaillait dans son atelier, il a été frappé par la « rencontre » formelle entre le dos d’un petit tableau et la surface peinte d’un plus grand.

Dans « open series », Motherwell a repris l’idée de ce petit tableau au fusain, suggérant d’abord une ouverture au bas de la toile puis, en l’inversant, un rectangle, passage vers un espace métaphysique. Des aplats de couleur d’un grand raffinement, où chaque couleur se charge pour l’artiste d’émotions particulières et d’une réelle sensualité, où le geste ne disparaît pas comme chez Stella mais renforce au contraire la complexité et la profondeur apportées par les lignes tracées au fusain qui fragmentent le « color field ». Un mélange détonnant de monumentalité et d’intimité, quelles que soient les variations de couleurs, l’alternance de versions horizontales et verticales… Bien qu’il s’en distingue par son engagement conceptuel et philosophique ainsi que par une certaine emphase, Motherwell flirte ici, par sa radicalité, avec le minimal art.

http://artobserved.com/…/new-york-robert-motherwell…/

Fabre Jan_galerie Templon_26 mai 2018

Le nouveau site de la galerie, rue du Grenier saint Lazare, investi pour son inauguration par l’artiste belge Jan Fabre qui y développe un portrait complexe et critique de son pays natal, offre un remarquable espace d’exposition. L’artiste y présente force dessins et sculptures, explorant particulièrement l’héritage culturel belge entre religion, paysages et sexualité, non sans flirter toutefois dangereusement avec le kitsch.

Van der Heyden Eloise_galerie Putman_26 mai 2018

Bien qu’également présenté comme un échange entre le monde intérieur et le monde extérieur, le travail d’Eloïse Van der Heyden, exposé par la galerie Catherine Putman, n’a rien en commun avec la fenêtre de Motherwell. Figurative, son œuvre met en dialogue la Forêt et l’intime, l’origine et le souvenir, tout en développant l’idée que tout existe à l’intérieur de soi : l’histoire de l’humanité, Dieu, la mythologie. L’artiste procède par empreinte directe et déploie dans ses dessins et aquarelles tout un univers végétal, complexifié par l’usage de calques, sur les murs de la galerie : des troncs, des feuilles et branchages, des fleurs, qui se mêlent poétiquement au tissu de ses robes, à des silhouettes incarnant le lien entre l’humain et le végétal tout en évoquant les liens humains que l’on tisse et qui se défont.

Bloch Pierrette_galerie Karsten Greve_26 mai et 28 juillet 2018

Le travail de Pierrette Bloch s’expose galerie Kasten Greve au travers d’une très belle sélection de pièces fondées sur la répétition du geste, la variation et une incroyable économie de moyens. L’artiste, dessinatrice avant tout, renouvelle l’abstraction en lui insufflant sensibilité et poésie et partage avec des peintres comme Soulages, outre la fascination pour le noir, cette volonté d’atteindre l’essence de l’art à partir d’éléments constitutifs de la peinture : les rapports avec la surface, les jeux entre le noir et le blanc, le plein et le vide, le point, la ligne.

Le processus de création, guidé par le faire, l’instant, la spontanéité et le hasard plus que par un quelconque protocole ou une recherche de signification, l’éloigne d’une écriture à la Mark Tobey. Par la liberté de ses recherches plastiques, le recours à des supports et matériaux jusque là singuliers (crin de cheval, encre…), elle annonce Support/Surface.

Côté sculpture, on peut noter un bel ensemble de pièces d’Arlène Shechet galerie Almine Rech et de Rebecca Warren galerie Max Hetzler. L’artiste américaine déploie des pièces à cheval entre matière brute et raffinement, figuration et abstraction, avec des références à l’histoire de l’art (Rodin) et à l’architecture (le constructivisme notamment). Des assemblages tout à la fois précaires et harmonieux et faisant s’épanouir des formes singulières dans des matériaux complémentaires (bois, céramique, aluminium…) et colorés. L’artiste anglaise, Turner Prize 2006, disperse ses œuvres hybrides par leurs formes tourmentées, leurs teintes acidulées, l’intrusion de matériaux se jouant de la sculpture traditionnelle par leur frivolité, tout à la fois grotesques et sensuelles, dans l’espace de la galerie. L’argile contredisant la permanence du bronze ou de l’acier, l’assemblage de contraires, les écarts de proportion…situent ses créations «quelque part sur le continuum entre chair pure et caricature pure».

Bae Lee_galerie perrotin_26 mai 2018

Eblouissante -du moins si le noir peut éblouir lol- exposition « Black mapping » chez Perrotin. Un ensemble de toiles, de sculptures et d’installations de Lee Bae caractérisé par la prédominance d’un matériau dont l’artiste exploite et développe à merveille le champ des possibles : le charbon. Un ensemble qui précède ses toiles à l’acrylique sondant alors davantage la profondeur du noir que sa planéité et correspond à l’arrivée de l’artiste coréen à Paris en 1990. Le charbon, tout en lui rappelant ses origines, l’encre de chine et la calligraphie, lui permet de développer une réflexion sur le matériau -un matériau naturel et ses qualités plastiques- et sur la couleur, le noir.

Henri-François Debailleux, commissaire d’une exposition de l’artiste en cours à la fondation Maeght de Vence (https://www.artcotedazur.fr/…/lee-bae-plus-de-lumiere-a…, https://www.fondation-maeght.com/fr/exposition/243/lee-bae) remarque combien la démarche de Lee Bae se distingue de celle de Soulages : s’ils partagent cette pensée du noir, Lee Bae « s’[engouffre] dans le noir, [le creuse et en magnifie] les propriétés » intrinsèques tandis que le peintre ruthénois s’intéresse à la façon dont le noir projette la lumière sur la toile. Lee Bae joue avec la matérialité et la symbolique du charbon comme source d’énergie et de vie inscrivant des plaques entières et denses de matière sur la toile, la laissant la marquer de sa friabilité et de sa trace ou juxtaposant des bris de charbon travaillés en surface, juxtaposés, poncés, qui génèrent une incroyable richesse de teintes, d’ombres et de lumières, de dégradés, d’effets moirés et de reflets et d’une grande subtilité. « Comme un trou noir […] avec sa matière si dense et compacte que le noir rentre dans le noir jusqu’à l’infini. Un au-delà du noir », qui accompagne une quête spirituelle et une dimension du temps inhérente au matériau et paradoxalement révélée par le surgissement du geste. Un œuvre marqué par l’abstraction occidentale, l’arte povera et la tradition culturelle coréenne, présenté au musée Guimet en 2015.(https://www.facebook.com/samarra.black/posts/10207270332584147)

Lee Bae_RX galerie_26 mai 2018

On retrouve Lee Bae dans une exposition collective, galerie RX, aux côtés d’Hermann Nitsch, Bae Bien-U et Elger Esser (élève des Becher). « Œuvres choisies » d’artistes fondateurs ou héritiers de courants artistiques majeurs et qui partagent une quête d’authenticité et une forme de radicalité. J’ai particulièrement relevé des photographies argentiques de la série « Sonamu » du coréen Bae Bien-u, consacrées aux arbres sacrés de Gyeongju et caractérisées par des contrastes marqués et la densité quasi abstraite des noirs ; les toiles de Lee Bae qui prolongent l’exposition de la galerie Perrotin, la matérialité agressive et sauvage des toiles de l’actionniste viennois Nitsch, comme l’expression soudaine d’énergies et pulsions refoulées.

Onishi Yasuaki_galerie Louvet_26 mai 2018

L’installation spécialement conçue par l’artiste japonais Yasuaki Onishi pour sa première exposition à la galerie Louvet envahit l’ensemble de l’espace et contraint le visiteur à la contourner, sans recul, sans possibilité de l’embrasser dans son ensemble. Onishi s’intéresse aux concepts de volume, de verticalité…Il crée, à partir de matériaux quasi informes, des espaces creux ou vides, des paysages semblables à des crêtes montagneuses d’une incroyable poésie et qualité esthétique qui nous enveloppent et nous émeuvent de leur fragilité et de leur potentiel métaphorique. La pièce exposée participe de la série « Reverse of Volume », suite d’installations in situ réalisées à partir de 2010 et s’inscrivant dans un projet plus vaste, « Sculpting emptiness ». Des formes vagues naissent de feuilles de polyéthylène déposées sur une pile de cartons d’emballage et sur lequel l’artiste répand de la colle fondue. Les cartons sont alors retirés et l’œuvre apparaît, baignée de lumière et d’ombres issues de la matière flottante.

La galerie Papillon propose quant à elle une sélection d’œuvres consacrée à « leurs printemps ». Une floraison de fleurs investit l’espace d’exposition : la fleur comme forme et comme signe, comme incarnation du désir, métaphore du cycle de la vie et motif des vanités, élément sexuel à la fois mâle et femelle, étamine et pistil. Elsa Sahal dresse ainsi dès l’entrée un pistil noir et dense sur un socle aride, camaïeu d’émaux noirs colorés et mats, pièce singulièrement phallique. My-Lan Hoang-Thuy exprime la finitude des fleurs, laissant les pétales de ses lys tomber, tatoués d’une femme nue, puissance de vie face à la précarité des fleurs. Morgan Erpen évoque l’épuisement de la nature par l’homme en faisant flamber des chardons dans son installation « Carduus ». Stéphane Calais présente des dessins de fleurs d’une grande qualité dans leur simplicité apparente et la sûreté du geste, une tentative de fixer l’éphémère :

Badalov Babi et Kadan Nikita_galerie Poggi_26 mai 2018

Plus encore que le travail de l’azerbaïdjanais Babi Badalov, c’est celui de son artiste invité, l’ukrainien Nikita Kadan, qui m’a semblé intéressant, en particulier une sculpture réalisée pour l’exposition à la galerie Poggi. Si tous deux partagent des thématiques sociales, politiques et géopolitiques communes, revisitant les objets et traces qui les entourent, leurs démarches plastiques n’ont rien en commun. Badalov, dans sa « poésie orne-mentale », joue avec le langage et la typographie, sonde ses limites, avec une grande perspicacité et une réelle charge poétique tandis que Kadan propose essentiellement des pièces sombres de la série « Observations on archives », au charbon.

Zonder Jerome_galerie Obadia_26 mai 2018

Jérôme Zonder, diplômé de l’Ensba en 2001, investit la galerie Nathalie Obadia de dessins à la mine de plomb, « des Homo Sapiens », où il interroge la condition humaine et son devenir. Cette fresque graphique témoigne d’une réelle virtuosité technique, l’artiste passant du réalisme photographique à l’abstraction (« l’Autre#2 »), du noir au blanc, de la densité du trait au vide le plus radical. Zonder se nourrit des images qui inondent notre quotidien (les attentats de Nice ou du 11 septembre, la rencontre de Mitterrand et Kohl à Verdun…) tout en s’efforçant de se soustraire à leur fascination, les réinvestissant parfois par la technique d’une matérialité nouvelle, altérant l’image par sa monumentalisation et un procédé d’empreintes digitales à la poudre de graphite qui brouille les visages mais où le flou du doigt remplace celui, imprécis et froid, du pixel.

Creuzet Julien_galerie Bénichou_26 mai 2018

La galerie Anne-Sarah Bénichou propose une exposition collective où se démarque le travail de Julien Creuzet, assemblages précaires d’objets perdus, trouvés, offerts, tout à la fois bruts et raffinés, ravivant un imaginaire des Caraïbes et force récits. La poésie affleure dans les titres « s’entretenir avec les hommes (…) », « une déflagration est une explosion dont la vitesse de propagation est inférieure à la vitesse du son », « il s’étendra jusqu’à engloutir entièrement Mercure, Vénus et la Terre (…) ». http://www.juliencreuzet.com/presse-et-liens/#Parisgalleryweekend

Stojka Ceija_galerie Gaillard_26 mai 2018

En écho à l’exposition de la Maison Rouge, la galerie Christophe Gaillard présente un ensemble de dessins, gouaches, peintures de Ceija Stojka, enfant rom déportée à Auschwitz, Ravensbrück puis Bergen-Belsen et qui décidera, quarante-cinq ans plus tard, autodidacte et quasi analphabète, d’en témoigner dans des œuvres noires, glaçantes, tristes, effroyables, mais également pleines d’espoir et de vie. L’exposition se concentre sur des pièces évoquant les camps de concentration, alors que celle, plus complète, de la fondation Galbert, présente également des toiles colorées et chantantes de la vie sur les routes.

https://www.facebook.com/instantartistique/posts/603776583289426

La galerie Anne Barrault présente le travail de Tere Recarens résultant de plusieurs séjours en Iran, « Baharestan Carpet » et « Spark ». La première pièce, vaste tapis de carton, investit le sol de la galerie et évoque le tapis légendaire du palais de Ctesiphon sous les Sassanides. Elle représente un jardin divisé en quatre parties autour de trois thèmes : la littérature persane, la mythologie (la Sîmorgh, oiseau souverain et symbole divin), l’histoire politique de l’Iran et la place des femmes. La seconde pièce réunit une série d’impressions sur papier et s’intéresse au boteh jegheh, motif cachemire riche de sens politiques, religieux et spirituels.

Pour les amateurs de Street art, même si l’on note une évolution du graffiti vers l’abstraction, de l’acrylique vers l’huile, passage obligé galerie Rabouan Moussian où JonOne expose ses dernières créations. Une matière dense, puissante, projetée sur la toile et où l’écriture s’efface devant la couleur et l’implication énergique du corps de l’artiste.

Ma peinture est corporelle, dans l’action : il y a du punch. C’est lié à l’énergie des couleurs que je voyais sur les trains peints à New York, comme le surgissement d’un flash de peinture dans la ville. […] En peignant, je crache la rage qu’il y a en moi.

Neu Patrick_galerie Ropac_26 mai 2018

Agréable détour chez Ropac pour revoir des œuvres de Patrick Neu exposées au palais de Tokyo en 2015 (https://www.facebook.com/samarra.black/posts/10206268368255665) : des iris ou, comme le dit l’artiste « des envies, des vanités », qu’il peint chaque printemps depuis des années à l’aquarelle, figeant l’éphémère sur la feuille ; des dessins au noir de fumée -procédé porteur de sa propre disparition- prisonniers du verre et pétris d’histoire de l’art (le christ mort d’Holbein le jeune, le jardin des délices de Jérôme Bosch). Des œuvres délicates et poétiques, véritables oxymores où la séduction côtoie le morbide, la simplicité, le raffinement, réflexion sur le passage du temps et la précarité du beau, questionnement sur la place des images dans la mémoire et l’inconscient individuels et collectifs.

La même galerie présente encore quelques remarquables de toiles de Yan Pei-Ming, exposé tout récemment (https://www.facebook.com/instantartistique/posts/591712957829122) et « jungles in Paris », un ensemble de peintures d’Adrian Ghenie inspiré par un peinture qui fascine l’artiste roumain, le douanier Rousseau, et mêle étrangement l’urbanité de Paris et l’exotisme de la jungle, l’humain et le sauvage, les tons terreux et les couleurs vives. Une tension étrange émane de ces œuvres, née du rapprochement entre la nature et la toxicité de l’homme sur la planète (rappelée par un champignon atomique), du contraste entre la volupté des couleurs, la maîtrise technique et une certaine noirceur latente. A noter la présence de quelques fusains d’une grande liberté et spontanéité, contrastant avec l’aspect maîtrisé des peintures.

Une vaste exposition Afro se déploie dans le remarquable espace de la galerie Tornabuoni Art. Figure de l’Ecole de Rome -groupe de peintres tonalistes au style expressionniste-, l’artiste italien évolue vers l’abstraction après un voyage aux Etats-Unis dans les années 50, une abstraction formelle, se focalisant sur la couleur, la forme, et la composition, mais soucieuse d’incarner peu à peu l’émotion, des souvenirs. L’exposition présente des pièces réalisées entre les années 1950 et 1970.

Une forme picturale peut-elle avoir également une valeur d’apparition ? L’organisme résolument formel d’une peinture peut-il contenir la légèreté, le souffle d’une évocation, le tressaillement inattendu de la mémoire ? […] C’est cette inquiétude continue qui me pousse à peindre. Le tableau doit être un monde fermé, et le drame ne peut se dérouler qu’à l’intérieur de ce monde.

Afro, New Decade, 1955

Les dessins de fleurs […] ce sont mes gammes mais ce sont aussi mes dessins les plus précieux. Ils tentent de capter ce qui ne dure pas […]. Cela […] rythme […] un paysage de codes différents, de boucles, de traits, de taches parfois, de hachures, lignes et courbes adorées. Cela crée un squelette superbe qui évolue, grandit et structure toutes mes décisions de peintre.

Détour rapide galerie Crousel où Henrik Olesen, artiste danois, poursuit sa démarche conceptuelle et hermétique qui questionne un corps soumis aux normes familiales, culturelles et sociales d’une communauté idéologiquement hétérosexuelle et qui redoute les diversités de genre ; galerie Tarasieve Paris où Jürgen Klauke, qui développe depuis les années 70 un travail de photographies, de performances le mettant en scène et de dessins, pose la question du genre et des troubles existentiels ; Jousse entreprise où Elisabetta Benassi développe une réflexion sur la souveraineté de l’individu sur lui-même ; galerie Gounod enfin où Florent Lamouroux expose des pièces de la série « Autoproduction », fondée sur la répétition du corps de l’artiste emballé dans des sacs poubelle jusqu’à la réification, la déshumanisation d’un individu pourtant désireux de se libérer des norme qui l’entravent. Une incarnation du processus de standardisation actuel et un rappel de la gageure pour l’artiste à vouloir fixer en un geste la pluralité d’un être.

En parallèle d’une exposition au Mudam Luxembourg, la galerie Bucher Jaeger présente un bel ensemble de mobiles de l’artiste japonais Susumu Shingu. Des sculptures du vent, de l’eau et de la gravité réalisées entre 2006-2017 ainsi que quelques peintures. Shingu, qui a collaboré régulièrement avec d’importants chorégraphes, stylistes ou architectes contemporains tels que Renzo Piano et Tadao Ando, travaille avec des matériaux de haute technologie susceptibles de capter le moindre souffle. Il rend ainsi visible, avec une réelle élégance et poésie, l’intangible, tout en témoignant d’une conscience écologique et d’une valorisation des énergies naturelles, d’une recherche d’harmonie des rythmes de la nature sous-tendue par la force de gravité. Ses œuvres, succession d’instants et de temporalités qui se répètent, reflètent par ailleurs le caractère cyclique du vivant.

Dove Allouche expose des séries photographiques réalisées à partir de champignons et de concrétions fortement agrandis. Des œuvres raffinées et minutieuses, fruits d’une longue maturation et frisant l’abstraction malgré leur réalité intrinsèque. Paradoxalement, l’artiste a choisi de cultiver des spores se nourrissant de la matière photographique et de les donner à voir. Selon le même processus strict et lent, il a découpé les « perles de cavernes », concrétions sphériques formées par la superposition de couches de calcaire, pour les utiliser ensuite comme négatifs révélant leur genèse et les transposer dans des verres soufflés.

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