PALAIS DE TOKYO, Paris, Février-Mai 2017
Après un investissement par le vide et la performance avec la carte blanche à Tino Seghal -intervention dont le matériau premier est censé être l’humain mais qui ne m’a pas convaincue pour ma part- le palais de Tokyo accueille de nouvelles expositions interrogeant le rapport que nous entretenons aux objets.

Parmi les différentes propositions, j’ai retenu l’exposition « Black dancing » d’Emmanuel Saulnier, constituée de deux ensembles d’œuvres : « Sort », constituée d’un sol en macadam meurtri, à la fois socle et sculpture, dont le visiteur parcourt l’instabilité dans la pénombre, de nasses de pêcheurs suspendues et donnant lieu à un théâtre d’ombres, de cylindres de verre ponctuant le mur ; « Round midnight », référence à l’histoire du jazz que l’artiste évoque sous la forme d’une improvisation constituée d’un assemblage de bois taillés et peints à l’encre noire et d’aiguilles de verre marquant le « temps subjectif de la durée intérieure ». Des œuvres assez singulières dans la création de Saulnier, jouant avec les pleins et les vides, les sons et les silences.
L’exposition « sous le regard de machines pleines d’amour et de grâce » présente quant à elle différentes réalisations questionnant les impacts de l’économie de marché et des nouvelles technologies sur nos émotions et représentations. Parmi les œuvres les plus intéressantes à mes yeux, Mika Tajima explore avec subtilité « les espaces où le corps humain entre en tension avec le corps machinique ». Les deux suspensions présentées, aux allures de lampes décoratives, sont en réalité constituées d’éléments de chaises de bureaux dont la forme résulte d’études sur la colonne vertébrale humaine et dont la lumière traduit les fluctuations du cours de l’or et de l’humeur parisienne.
Les mêmes principes président à la réalisation des autres pièces de l’artiste, par exemple « Meridian », un ensemble d’ampoules suspendues réagissant à des algorithmes visant à prédire les sentiments à venir d’après des messages postés sur les réseaux sociaux. « Ce qui reflète notre époque [déclare l’artiste] est la manière dont la technologie tente de rationaliser les émotions humaines ». Pedro Barateiro, évoquant l’esthétique minimaliste, traduit en réalité dans des pièces de bois recouvertes de ciment le logo d’amazon, inspiré quant à lui du sourire humain : « un paternalisme 2.0 qui s’immisce dans les replis de notre intimité ». Enfin, Marie Lund présente une série de toiles et de sculptures, détournement d’objets du quotidien, rideaux, moulages de l’intérieur d’un jean ou de coquilles : un jeu de surfaces et de communication dedans-dehors.
A voir également l’installation et surtout la performance « to hear with my eyes », de Mel O’Callaghan. Quatre performeurs investissent un ensemble d’objets artisanaux (un gong, un sistre, un tronc d’arbre calciné et de l’eau) nécessaires à un mode d’accès à la « transe extatique ». La performance prend la forme d’un rituel agissant sur la physiologie de ses protagonistes et leur donnant accès à un état modifié de conscience, la perception d’une réalité alternative.
Les autres propositions de la saison « en toute chose » témoignent de recherches quelque peu absurdes et sans grande qualité esthétique même si elles permettent parfois une mise à distance teintée d’humour du réel. Ainsi Taro Izumi, dans la série de sculptures « tickled in a dream », recrée-t-il des postures de sportifs à partir de mécanismes complexes. Dorian Gaudin quant à lui présente un théâtre d’objets s’animant selon une mécanique précise et rappelant la capacité narrative et métaphorique dont on dote les objets. Enfin, un ensemble de sculptures habitables garde trace des expérimentations réalisées par Abraham Poincheval pendant des jours : vivre dans un ours, dans un bloc de pierre, ou comment l’isolement, l’autarcie, l’enfermement permettent selon Poincheval d’explorer le monde et l’humain. Un parcours intéressant mais qui manque d’une certaine aura…



















