Portraits florentins ou la maniera au service du prince

MUSEE JACQUEMART ANDRE, Paris, Septembre 2015 – Janvier 2016

Pontormo_portrait dun joueur de luth_Florence portraits à la cour des Médicis_musée Jacquemart André_15 septembre 2015

L’exposition « Florence, portraits à la cour de Médicis », permet de contempler de très belles toiles maniéristes, en particulier des maîtres Pontormo, Sarto, Rosso, Ridolfo da Ghirlandaio (fils de l’auteur des fresques déposées au Louvre, Domenico), puis Salviati, Bronzino et Vasari (l’un des fondateurs de l’histoire de l’art avec ses « Vite «, décorateur majeur au Palazzo Vecchio et maître d’œuvre de la loggia des Offices pour la collection de François de Médicis) mais également d’artistes moins connus tels Maso da San Friano ou Mirabello Cavalori.

Pour mémoire, la maniera apparaît comme un art né de l’art (Cennini, libro dell’arte). Vasari la définit par opposition à la fidèle imitation du réel dont elle s’affranchit. Elle a été perçue négativement, décadence, excès, manque de « disegno », dépendance envers le style d’autrui au XIXe notamment jusqu’à la réappréciation du maniérisme début XXe comme un art de crise, émergeant dans le contexte de la Réforme luthérienne et du sac de Rome par Charles Quint. Le maniérisme est alors également perçu positivement comme un dépassement de la nature, « grâce infinie » des figures (Vasari), « beauté des coloris » acidulés etc. (cf Antonio Pinelli, « la bella maniera, anticlassicisme et maniérisme dans l’art du XVIe, Livre de poche 1996 ; Walter Friedlander, « maniérisme et antimaniérisme dans la peinture italienne, Gallimard 1991). Vasari ainsi que des historiens de l’art contemporains lui préfèrent toutefois la notion de manière moderne afin d’évoquer un nouveau langage, mélange de naturalisme, de classicisme et de dépassement des règles, à l’expression fortement individualisée.

L’approche est thématique : début de siècle républicain austère et stoïcien avec l’impact de Savonarole représenté par Fra Bartolomeo, des portraits plus concentrés sur l’être que sur le paraître dont témoigne le superbe double portrait d’hommes de Pontormo –illustration d’une amitié philosophique, les deux hommes méditant sur un texte de Cicéron dans une atmosphère mélancolique-, la Monaca de Ridolfo del Ghirlandaio ; condottieri en armes, héroïques, reflets des conflits qui portent les Médicis au pouvoir en 1530 ; portraits de cour, riches et élégants ; poésie et musique avec notamment des références à Pétrarque et le rappel du soutien des Médicis à la jeune Académie florentine des belles lettres, arts magistralement représentés par les sublimes luthistes de Salviati et Pontormo et le portrait de la poétesse Laura Batifferri de Bronzino, figures idéalisées et allégoriques incarnant la beauté de l’âme ; évolution fin XVIe plus allégorique et maniérée que spirituelle en relevant bien la dimension politique du portrait. (http://florence-portraits.com/fr/themes/de-lausterite-lage-dor-du-portrait)

Le genre du portrait apparaît comme un instrument essentiel de la propagande médicéenne pour justifier leur pouvoir sur une ville rebelle, réhabiliter leur image puis affirmer leur pouvoir par des portraits fastueux. Si le Quattrocento a laissé d’admirables portraits de Pisanello, Antonello da Messina…au Cinquecento, le genre évolue sous l’influence de Raphaël, Vinci : la pose s’assouplit, le sfumato vincesque accentue la présence du modèle, la palette se fait plus froide et subtile, gagnant en raffinement et en profondeur.

Le contraste est ainsi saisissant entre le portrait d’Alexandre de Médicis réalisé par Vasari (1510-27) et celui de Cosme 1er par Bronzino (1545). Le premier, encore de profil en référence aux médailles antiques, se détache, le corps corseté dans une armure qui semble refléter la brutalité du prince, sur un fond obscur avec Florence à l’arrière-plan. Le second est dépeint à mi-corps, également en armure, mais témoignant du tempérament fier, autoritaire et dominateur du prince, une main sur le casque. La posture, le torse légèrement de trois-quarts, le visage pratiquement frontal, permet un travail plus précis des traits et de l’expression du prince.

Bronzino_portrait d’Eleonara di Toledo

Le parcours accorde de fait une place première à Bronzino, considéré comme l’apogée du portrait de cour médicéen. Le peintre définit le type même du portrait de cour, répondant ainsi au désir des Médicis de développer une vie de cour fastueuse, raffinée, intellectuelle comme celle des Este à Ferrare, des Gonzague à Mantoue. Les traits sont fidèlement dépeints, quoique quelque peu idéalisés, chaque accessoire fait sens, de même que la pose du modèle, sa parure. On relève ainsi le très beau portrait de parade d’Eléonore de Tolède, épouse de Cosme 1er, particulièrement la virtuosité du peintre dans le traitement de sa robe et de sa coiffure, les cheveux relevés et bordés de perles, la délicatesse des traits, la moue esquissée sur ses lèvres…même si le chef-d’œuvre des Offices est resté à Florence et qu’il s’agit là de l’œuvre conservée à Prague.

S’agissant d’une exposition « dynastique », le propos est sans surprises mais traduit bien l’évolution du courant d’un art de crise à un art de cour et les œuvres se révèlent de grande qualité. Par ailleurs, elle propose de superbes rapprochements entre les portraits de Salviati et Bronzino (le portrait de Giovanni delle Bande Nere et Cosme 1er, les deux joueurs de luth), Sarto et Bronzino (la série de portraits avec livres). A noter enfin les merveilleux reliefs de Giambologna.

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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