MUSEES ROYAUX DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE, Mars – Juillet 2018
Même si les XXe et XXIe siècles manquent cruellement à quelques exceptions près (El Anatsui, « the beginning and the end », 2015, œuvre exposée au palazzo Fortuny à Venise en 2017, inspirée de la tradition textile africaine mais détournée par l’usage de matériaux de récupération comme des capsules de bouteille, https://www.facebook.com/instantartistique/posts/488382161495536), ce qui est d’autant plus surprenant que je reste convaincue d’avoir déjà vu des œuvres modernes et contemporaines dans ce musée-, le musée des beaux-arts de Bruxelles conserve une très belle collection permanente.
Par-delà le remarquable et fameux « Marat assassiné » et héroïsé par la nudité et l’épure de la scène, commande de la Convention à David, c’est la collection de primitifs flamands et de peintres de la renaissance nordique qui est la plus admirable : van der Weyden (« la pietà » -vers 1441- d’une grande intensité émotionnelle qui s’inspire de la « devotio moderna » avec le Christ descendu de la croix et reposant sur les genoux de la vierge, saint Jean l’évangéliste la réconfortant et Marie Madeleine, « portrait d’Antoine de Bourgogne », « portrait de Jean de Froimont » avec Saint Laurent en grisaille au revers), Bosch (« triptyque de la tentation de saint Antoine »), Van Orley (« portrait du médecin Joris van Zelle », d’une grande intensité psychologique et dont l’humanisme et la bibliophilie sont rappelés par l’artiste), Pourbus (« portrait de Jacob van der Gheenste », échevin et conseiller de Bruges), Hans Memling (« le martyre de saint Sébastien », représenté comme souvent refusant d’abjurer sa foi et donc meurtri de flèches par les archers de Dioclétien, la poitrine nue mais sans marques de souffrance, « portrait d’homme »), Bellegambe (« la vierge à l’enfant »), Cranach, le maître de Flémalle (« l’annonciation »), le maître de l’annonciation d’Aix (« le prophète Jérémie »), Metsys (« la vierge à l’enfant » et surtout l’admirable « le banquier et sa femme »), Momper (« la tour de Babel »), Mostaert et bien entendu, l’incomparable ensemble de toiles de Bruegel l’Ancien, l’un des premiers peintres à mêler peinture religieuse, scène de genre et paysage avec cette maestria (« la chute d’Icare » vers 1558, « paysage d’hiver avec patineurs et trappe aux oiseaux », « la chute des anges rebelles », « le dénombrement de Bethléem »…).
Pieter Bruegel I, la chute d’icare Pieter Brueghel I, la chute des anges rebelles, 1562
Côté XVIIe, quelques toiles de grande qualité de Bril, Cuyp, Champaigne, Vouet, la Tour, Van Dyck, Rubens (dont l’étude de la tête d’un maure) et pour la fin XIX-début XXe, un très riche ensemble d’œuvres d’Ensor -dont le fabuleux « Squelettes se disputant un hareng-saur » (1891), détournement humoristique et féroce, par l’artiste, d’une injure reçue (hareng-saur /art-ensor)- et Khnopff ou encore de Léon Spillaert.
La principale exposition temporaire qui investit actuellement le musée est décevante en ce que trop complaisante envers l’une des dérives du selfie ces dernières années : le selfie devant des œuvres d’art et aux dépens de ces œuvres. Certes, je m’y suis adonnée parmi les Soulages du musée Fabre à Montpellier mais non sans une longue contemplation de chaque toile au préalable…Il est vrai que Soulages occupe une place privilégiée dans mon histoire personnelle en ce qu’il participe des artistes qui m’ont passionnément introduite à l’art à l’adolescence.
« Promesses d’un visage » débute donc par 5 ou 6 salles exclusivement destinées à cette pratique devant des reproductions d’œuvres et avec force accessoires pour se mettre en scène : cadres vides, éléments de mobilier etc. En outre, l’exposition succombe à un autre travers actuel des expositions d’art contemporain : l’absence de tout appareil critique prolongeant la perception des œuvres. Or si la qualité de certaines d’entre elles se suffit à elle-même, j’attends toujours d’une exposition un apport de savoir et un éclairage sur les choix du commissaire.
Il n’empêche qu’elle réunit, à rebours de toute logique chronologique ce qui n’est pas sans intérêt, quelques toiles exceptionnelles dont l’acmé est le rapprochement entre « le portrait du révérend père Jean-Charles della Faille » de Van Dyck et « le pape aux hiboux » de Bacon (1958) ou encore le parallèle détonnant entre « le portrait de Barthélémy Alatruye » d’après le maître de Flémalle (après 1562) et celui d’un sans abri, Lucas Suarez, d’Andres Serrano (2002).
Rembrandt, portrait de Nicolas van Bambeeck, 1641 Stephan Vanfleteren_Rinus van de Velde, 2014
Le XVIIe siècle est par ailleurs magistralement représenté une cimaise réunissant « le portrait de Johannes Hoornbeek » par Frans Hals (1645), « le portrait de Nicolas van Bambeeck » par Rembrandt (1641), un portrait de Diderot de l’école française, un « portrait de jeune homme » attribué à Matthieu le Nain, des œuvres de l’atelier de Rubens telles que « le portrait de l’archiduchesse Isabelle Claire Eugénie » et celui de l’archiduc Albert, de Cornelis de Vos retouché par Rubens. Sont également présents le magistral double portrait de Willem Moreel et sa femme Barbara van Vlaenderbrech d’Hans Memling (1482), un « portrait de deux enfants » sans concession d’Otto Dix (1921), « Pygmalion » du peintre surréaliste Paul Delvaux (1939) etc.
Une petite exposition est par ailleurs consacrée au photographe japonais Hiroshi Sugimoto qui propose une relecture de maîtres notamment flamands qu’il considère, par l’attention extrême au détail et la qualité de la lumière tout particulièrement, comme précurseurs de la photographie au travers d’une quarantaine de photographies en noir et blanc. La Cène réalisée en 1999 en est l’exemple le plus frappant, inspirée indirectement de celle de Vinci et plus directement de sa reconstitution en cire par un musée de cire japonais, ce qui accentue l’aspect mortifère.