INSTITUT NEERLANDAIS, Paris, Mai-Juillet 2009

Un monde parfait avec une fissure, c’est ce que j’aime. Cela a à voir avec ce qui est ici. Je pense que nous avons tous une grosse fissure à l’intérieur et pourtant nous nous habillons de nos meilleurs costumes du dimanche.
Erwin Olaf
A l’occasion de la première grande exposition monographique de l’artiste, découverte de l’impressionnant travail d’Erwin Olaf à l’Institut néerlandais à travers trois séries photographiques (Rain, Hope, Grief & Fall) et les films liés, reflets de l’Amérique des années 1950-1960, période de changements sociaux majeurs. Le photographe se concentre sur l’instant où la réaction émotionnelle commence. Ses photographies sont par ailleurs marquées par des références classiques à l’art des Pays-Bas, un éclairage pictural, une composition formaliste, un style souvent associé à la photographie de mode, un sens de la narration suspendue et l’atmosphère troublante qui en émane.
Des œuvres fascinantes et mystérieuses, incroyablement esthétiques, mettant en scène des figures parfaites, stéréotypées (la pom-pom girl, la femme au foyer, le marin…), pensives, dans un cadre également parfait. Par-delà la froideur apparente, une ironie sourd, chargée sexuellement. Un langage de l’équivoque, une exploration des apparences qui s’efforce de révéler l’énigme du réel car par-delà la représentation de modèles sublimes, quasiment irréels dans leur décor neutre et la lumière qui les enveloppe, on perçoit de l’étrangeté, du monstrueux, un élément perturbateur : la pluie, le clignement des yeux, un silence, la pensée, l’impalpable qui habite le corps…De l’humain, du trop humain.
Dans Fall, le photographe alterne des portraits distants au regard fuyant, vide et des natures mortes de plantes carnivores et de fleurs. La frontalité des cadrages accentue la dépersonnalisation des lieux. Olaf sonde la beauté, la solitude, le désespoir, rompant avec ses séries antérieures où des figures extravagantes prenaient place dans des décors baroques. La série, née au hasard d’une prise de vue au « mauvais moment », tandis que son modèle clignait des yeux, évoque l’éphémère de la beauté, une certaine vulnérabilité, ce dans des teintes automnales. On y retrouve par ailleurs l’intérêt d’Olaf pour le regard, déjà présent dans une série comme Chessmen, 1987-88 et Blacks, 1990.
Dans Rain, née suite à une campagne publicitaire réalisée par Olaf pour le créateur de luminaires Ingo Maurer en 2003 et initialement envisagée comme une célébration de la démocratie américaine, le photographe en dépeint peu à peu l’aliénation et l’ennui. La pluie, qui ruisselle sur les vitres d’une pièce à l’autre de la série, en constitue le fil conducteur. Un jeu troublant entre le dedans et le dehors qui met en évidence du caractère illusoire de la frontière entre ces deux mondes. Quoique les personnages soient en parfaite avec harmonie avec le décor qui les entoure, il en émane un certain malaise né probablement de la réification de ces modèles auxquels sont déniés toute subjectivité émotionnelle et un sentiment de solitude. La série Hope semble poursuivre Rain : la pluie tombe toujours, les personnages sont toujours figés mais le photographe a ajouté des portraits, personnalisant la série, et le titre suggère d’imaginer les pensées et espoirs de ces personnages.

La douleur à l’œuvre dans la série Grief -série étrangement plus lumineuse que Rain & Hope-, est réprimée. Les personnages sont sublimés par une approche flamande de la lumière tandis que les objets du quotidien expriment leur présence : le verre de whisky qui ne sera pas vidé, l’assiette attendant un convive qui n’arrivera pas…Nommés d’après des célébrités de la haute société américaine, ils demeurent absorbés dans leurs pensées et leur souffrance. Le sort vient de les frapper et les larmes, le cri de détresse sont encore à venir, Olaf saisissant l’instant décisif, avant la chute.
La dernière oeuvre présentée, film d’artiste, détonne et dérange plus encore : le dernier cri s’intéresse au règne de l’apparence et aux excès de manipulation du corps par la chirurgie plastique. Elle met en scène des visages féminins défigurés, déshumanisés, ce qu’accentuent des décors invivables de perfection.






















