Retables de Vouet à Paris

Simon Vouet, l’Assomption de la Vierge, 1629_Eglise st Nicolas des Champs, Paris, 8 mai 2021

Fils de peintre, Simon Vouet connut une longue formation d’une douzaine d’années en Italie (Rome, Gênes, Venise…). Son art se singularise par une remarquable capacité à synthétiser différentes inspirations italiennes :  compositions recherchées et formes amples, robustes et franches à l’anatomie étudiée reflétant l’étude d’un Michel-Ange ; théâtralité vénitienne d’un Tintoret ou d’un Véronèse ; raccourcis hardis, harmonie profonde des couleurs, humanité puissante des figures et profonds clairs-obscurs hérités de Caravage ; facture large, traitement surprenant des draperies, éloquence des gestes, lyrisme du mouvement, rapport des figures  à l’espace, vitalité des coloris… pour développer un style élégant et clair, en rupture avec le maniérisme, une conception idéalisée adaptés aux commanditaires  du temps. Un équilibre entre baroque et classicisme qui annonce le grand goût et constitue une réponse au baroque italien.

Si Vouet a laissé de remarquables portraits, des peintures et décors mythologiques (Le Parnasse de Budapest, l’enlèvement d’Europe de Madrid, musée Thyssen), allégories (La Richesse du Louvre), scènes de genre caravagesques (la diseuse de Bonne aventure du Palazzo Barberini, Rome), je m’intéresserai ce jour à sa peinture religieuse et plus particulièrement à l’admirable retable de l’Assomption de la Vierge conservée à l’église st Nicolas des Champs de Paris, seul grand retable in situ.

Eglise st Nicolas des Champs, Paris, 8 mai 2021

À l’origine simple chapelle dépendant de l’abbaye Saint-Martin-des-Champs, l’église Saint-Nicolas-des-Champs fut reconstruite au XVe siècle en gothique flamboyant. Le retable est une commande de Louis XIII qui demande à Vouet alors en Italie de représenter l’Assomption de la Vierge au dessus du maître-autel. Le peintre confie à son atelier (Nicolas Chaperon et Michel Corneille) de peindre certaines chapelles rayonnantes tandis que son ami, le sculpteur Jacques Sarrasin, orne le retable dédié à l’Assomption de la Vierge de 4 anges en stuc.

Réalisé en 1629, le retable de st Nicolas des Champs est emblématique de la sensibilité du XVIIe siècle et de l’union des arts au nom de la grandeur ecclésiastique : peinture de Vouet, sculpture de Sarazin, architecture attribuée à Lemercier. Il est scandé de colonnes et pilastres corinthiens et surmonté d’un frontispice –fronton triangulaire ponctué de deux anges tenant la couronne de l’Assomption-, comme les façades d’église (st Gervais), les décors éphémères (entrée royale de 1660 à Paris) ou les livres du temps. Si la rupture des deux registres, céleste et terrestre, avec le cercle des apôtres au tombeau de la Vierge au registre bas et l’Assomption de la Vierge au registre haut, est fréquente et rappelle l’Assomption des Frari de Titien, la présence de deux niveaux séparés est singulière et a pu être imposée à l’artiste, le dessin du Louvre, première idée pour l’Assomption, semblant vouloir lier les deux registres.

Vouet la surmonte par ses talents de composition, attirant le regard vers le registre bas, pourtant plus secondaire, par un luminisme encore caravagesque, et unifiant la scène par la composition en arc de cercle des apôtres, le jeu des draperies, la gestuelle des apôtres qui désigne l’Assomption, le chromatisme et les accents lumineux sur les bras des apôtres de gauche et le drapé de la Vierge, la gloire, les nuées portant la Vierge. L’artiste joue avec l’espace, opposant un registre bas assombri et chargé de puissantes figures et une part supérieure allégée et lumineuse, tout en l’unifiant.

S’il ne s’agit pas du seul retable réalisé par l’artiste, la plupart des autres ont été démantelés. Le retable de saint-Eustache, réalisé en 1635, comprend désormais le Martyre de saint Eustache et de sa famille, in situ, et l’Apothéose de saint Eustache, conservé au musée des Beaux-arts de Nantes ; le retable de Saint-Paul, 1642-43, est dispersé quant à lui entre le Louvre (la présentation de Jésus au temple) et le musée des Beaux-arts de Rouen (l’Apothéose de saint Louis). Le premier était constitué, comme l’Assomption, de deux registres, avec un panneau central représentant le martyre, flanqué de niches et de colonnes corinthiennes, et l’Apothéose au registre supérieur, surmontée d’un fronton triangulaire, l’ensemble baignant dans une lumière dorée.

Le second, l’une des compositions les plus baroques de Vouet est un don du cardinal de Richelieu aux jésuites de Paris (noviciat st Louis des jésuites). Le retable comprenait la Présentation au temple au centre, flanquée de st Ignace et st François Xavier dans des niches, Charlemagne et st Louis entre des colonnes, et, au second registre, l’Apothéose de st Louis flanqué de Madeleine et St Jean, au troisième registre un fronton triangulaire avec la Vierge, au registre supérieur le Christ en croix. La présentation au temple est emblématique des influences italiennes assimilées par l’artiste, particulièrement Dominiquin, Reni et Gentileschi. De fait, le baroque est tempéré par une facture plus claire, un espace clairement défini par de nobles perspectives architecturales, de fortes verticales qui contrebalancent les diagonales de la composition, des plis précis, des modelés fermes et sculpturaux, des coloris plus froids. L’artiste s’écarte peu à peu du baroque pour se rapprocher d’un certain classicisme, une tendance plus rationnelle qui minore les aspects surnaturels et émotionnels tout en préservant la vitalité offert par la puissante arabesque des gestes, des draperies. Las, on ne peut qu’imaginer ce qu’il en était de ces retables à leur création en songeant à la magnificence de celui de st Nicolas des Champs.

Simon Vouet, Adoration du nom divin par quatre saints, 1647_Eglise st Merry, Paris, 8 mai 2021

L’église st Merri conserve par ailleurs l’admirable retable des quatre saints adorant le nom divin, désormais dépouillé de son cadre architectural, peint à l’origine, vers 1647, pour l’autel majeur de l’église st Médéric. De même qu’à st Nicolas des Champs, le retable est constitué d’un double registre, terrestre et céleste, mais cette fois sur un même support, la composition étant par ailleurs fortement unifiée par la gestuelle et les regards des saints vers le visage lumineux de Léonard et au-delà, le nom désigné par des anges, la gloire céleste, point nodal de la répartition des ombres et lumières. L’iconographie du retable est en lien direct, comme souvent, avec l’histoire de l’église qui en détient des reliques. Sur la gauche, st Pierre tenant de grosses clefs, puis st Merri vêtu de la grande robe noire des bénédictins et son compagnon st Frodulphe. La présence de Léonard, saint patron des prisonniers tenant des chaînes, fait directement allusion à un épisode de la vie de st Merri qui, à Boneuil, obtint la libération de 2 voleurs.

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