San Pietro, Roma

St Pierre de Rome depuis le Ponte san Angelo Roma 27 et 29 juillet 2021

Le chantier de restauration de la basilique st Pierre, qui voit se succéder à sa tête Bramante, Michel-Ange, Raphaël, Sangallo, Maderno…constitue la plus grande entreprise architecturale de construction sacrée mise en chantier depuis la basilique constantinienne. La basilique réunit par ailleurs en son sein un ensemble considérable de chefs-d’œuvres sculpturaux : la Pietà de Michel-Ange, le baldaquin, la chaire, le saint Longin de Bernini, également auteur de la systématisation de la place et de tombeaux majeurs (Urbain VIII, Alexandre VII…), le tombeau de Clément XIII de Canova, la statue équestre de Charlemagne de Cornacchini, le ciborium de Donatello, la porte de bronze de Filarete, st Dominique de le Gros, ste Véronique de Mochi, st Bruno de Slodtz, le tombeau d’Innocent VIII d’Antonio del Pollaiuolo, le tombeau de Paul III de Guglielmo della Porta, le tombeau de Pie VII de Thowaldsen…

Basilique st Pierre_27 juillet 2020, Roma

C’est Constantin qui fonda le premier édifice public chrétien durant l’hiver 312-313 : la basilique st-Jean de Latran, située à l’intérieur des remparts mais dans un secteur difficile à défendre. Entre 319 et 322 Constantin érigea une grande église au-delà du Tibre, entouré du Borgo et de remparts du IXe siècle dont l’accès unique était le pont contrôlé par le château st-Ange, terminée en 329 et renfermant la tombe de Pierre à la croix du transept. Tout au long du Moyen-âge, une rivalité se développa entre st Jean de Latran représentant la victoire sur le paganisme et st Pierre du Vatican lieu de dévotion populaire et source de l’autorité pour le souverain pontife : la basilique vaticane l’emporta, ce que conforte la construction dès le XIIIe siècle d’un palais qui devient au XVe siècle le siège de la papauté.

Jules II décide de faire démolir l’église millénaire pour un projet résolument « moderne ». Il entend rappeler son rôle prédominant à la fois de chef spirituel de la chrétienté et de souverain politique autour duquel pouvaient s’organiser les équilibres italiens, puis européens. Il choisit un architecte encore méconnu, Donato Bramante, formé à Urbino où Piero della Francesca avait suggéré que la forme, faisant sens en elle-même, constituait la représentation universelle, et à Milan auprès de Vinci, pour signifier dans la pierre la primauté de l’Eglise.

Plan de Bramante

Bramante, maître d’œuvre à compter de 1505, conçoit l’échelle monumentale du bâtiment de st Pierre et innove par l’articulation à l’antique de l’espace par les ordres, dorique à l’extérieur du chœur (détruit par Michel-Ange) et corinthien à la croisée. Il conçoit le nouveau st Pierre comme l’héritier de l’architecture impériale superposant la coupole du Panthéon à la basilique de Maxence et impose probablement le plan en quinconce –refusé par Jules II-, plan en croix avec une coupole centrale et 4 petites coupoles latérales. A sa mort, Léon X choisit Raphaël pour lui succéder, un artiste sans expérience architecturale mais grand connaisseur de l’Antiquité et à son apogée : l’entreprise architecturale s’affirme alors, pour la première fois, comme une création d’artiste.

Michel-Ange, qui assume la direction des travaux à partir de 1547 à la demande de Paul III, rétablit le plan centré, en croix grecque, d’une belle clarté imaginé par Bramante–abandonné ultérieurement par nécessité liturgique-  ainsi que l’ordre colossal unificateur à l’extérieur (corinthien). Il conçoit par ailleurs le majestueux dôme nervuré et de forme légèrement pointue –exerçant, comme celui de Brunelleschi à Florence, moins de poussée- qui sera achevé et rehaussé de 8 à 9 mètres par Giacomo della Porta (1590) et Domenico Fontana et dont le diamètre interne (41,5 m) correspond à celui du Panthéon (42,7 m).

Coupole de Michel-Ange, St Pierre, Rome_27 juillet 2020

Une majestueuse structure à double coupole s’élève sur une base divisée en trois parties sur lesquelles reposent les huit contreforts du tambour constitués de doubles colonnes qui encadrent des fenêtres à tympans triangulaires et semi-circulaires alternés. A la base de chaque nervure sont sculptés des symboles des armoiries pontificales permettant à la lumière de pénétrer. La lanterne est composée de colonnes, de volutes et de candélabres tandis qu’une sphère de bronze et une croix surmontent l’ensemble, s’élevant à 133, 30 mètres de haut. Le texte de l’Evangile signifiant la suprématie de l’évêque de Rome en tant que successeur du premier des apôtres du Christ, Pierre, martyrisé et enterré en 64, se lit à la base de la coupole : « Tu es Petrus et super hanc petram aedificabo Ecclesiam meam et tibi claves Regni Caelorum ».

Maderno est l’auteur de la façade, projetée dès 1607, large de 115 mètres et haute de 46 mètres, construite en pierre de travertin avec un ordre colossal de colonnes corinthiennes et un fronton central avec un niveau surmonté des statues du Christ, des apôtres -sauf Pierre dont la statue est placée à gauche de l’escalier-, et Jean-Baptiste. Il la conçoit toutefois la plus basse possible afin de préserver la grandeur de l’ordre conçu par Michel-Ange et de manière autonome, reposant sur ses propres fondations. Il abandonne par ailleurs le plan centré sur la coupole prévu par Michel-Ange en allongeant la nef (1609), gâchant la vue sur le dôme depuis la place. Il dessine également le nouveau baladaquin, reposant sur quatre statues d’anges, que remaniera Bernini (1643).

S’il échoue à modifier la disgracieuse façade de la basilique (son projet de clochers aux extrémités n’aboutira pas), Bernini finalise le chantier architectural en répondant magistralement à la demande d’Alexandre VII de créer un accès digne, monumental, à la basilique et un vaste espace pour réunir les fidèles notamment lors de la bénédiction urbi et orbi (1656-1667). Il régularise et conçoit un grand espace de forme ovale, de 240 mètres de long, cerné par deux colonnades incurvées constituées de quatre rangées de colonnes évoquant les bras maternels de l’Eglise. Ces colonnades ménagent des passages abrités pour les processions et compensent le niveau entre l’obélisque dressé en 1586 au centre de la place, lié au martyre de Pierre et à la romanité, et la façade. Les colonnes, doriques, d’une dignité martiale, grecque, contrastent délibérément avec les colonnes corinthiennes élancées de la façade et sont surmontées de statues de saints. Leur association à un entablement ionique, peu orthodoxe, vise à unifier horizontalement les éléments de la place et renforcer les verticales majeures de la façade. L’idée de Bernini, qui incluait une troisième section fermant les bras, est toutefois défigurée par l’ouverture de la via della Conciliazione sous Mussolini.

Bernini rénove par ailleurs la Scala Regia en lien avec la colonnade et le Vatican, de même qu’il lie st Pierre à la ville en exposant des anges porteurs des symboles de la Passion sur le pont Aelius.

Baldaquin, Bernini_Basilique st Pierre_27 juillet 2020, Roma

A l’intérieur de la basilique, à la demande d’Urbain VIII, il réunit l’autel pontifical et la tombe de st Pierre par la réalisation d’un gigantesque baldaquin de bronze partiellement doré de 28 mètres de haut, cherchant à retrouver la centralité voulue par Michel-Ange par une armature « transparente » mais suffisamment massive pour ne pas écraser la croisée du transept. Le baldaquin, qui prend appui sur quatre superbes colonnes torses reposant sur des bases de marbre, en référence à la basilique de Constantin et que celui-ci aurait rapportées du temple de Salomon, est surmonté de statues d’anges qui ancrent et animent de mêmes que les chérubins qui portent les objets symboliques (clefs de st Pierre, épée du martyre de st Apul, tiare pontificale), les volutes qui se rejoignent pour supporter un globe, d’une croix et des abeilles Barberini.

Baldaquin, Bernini_Basilique st Pierre_27 juillet 2020, Roma

L’espace pensé par Michel-Ange comme un moment de suprême équilibre est ainsi transformé en une atmosphère vivante dans laquelle le baldaquin exprime une énergie forte qui se répercute alentours. La sensualité des colonnes de bronze contraste avec la sévérité majestueuse des pilastres cannelés de Michel-Ange qui structurent l’espace autour du baldaquin. Bernini cristallise l’éphémère, les baldaquins d’étoffe sous lesquels on transportait le st Sacrement pendant les processions, dans le durable.

Bernini fait par ailleurs des quatre énormes piliers de la croisée du transept des reliquaires  rythmés de statues colossales de saints placées dans des niches et en lien avec le baldaquin, ce qui charge l’espace d’une réelle puissance dramatique. Sainte Véronique et Sainte-Hélène semblent diriger leur attention vers l’autel. Saint André et Saint Longin regardent vers le haut du baldaquin.

Saint Longin (1631-38) est l’œuvre de Bernini qui représente le moment dramatique où le centurion romain qui a percé le flanc du Christ reconnait Celui-Ci comme le fils de Dieu et se convertit. Le saint adopte une pose inédite, les bras grands ouverts formant une croix en diagonale qui creuse l’espace, l’un d’eux tenant fermement la sainte lance, les cheveux ébouriffés, le regard extatique tourné vers le ciel traduisant son émotion tout comme les plis agités de son ample drapé, renforcés par les ombres et les lumières. Face à lui, saint André est l’oeuvre de Duquesnoy (1629-33). Dans les années 1630, les deux artistes incarnaient respectivement la tendance baroque et la tendance classique. Si la statue de Duquesnoy, dessinée comme les autres par Bernini, est incontestablement baroque, elle n’a rien de la dynamique de st Longin. Les plis des drapés sont sages, lourds, fermement dessinés, révélant les formes grâcieuses du corps légèrement cambré du saint ; la posture est statique, équilibrée, contemplative.

Sculptée par Francesco Mochi en 1629-32, Sainte Véronique détone quelque peu par son agitation extrême mais incarne bien l’expression des passions par le mouvement propre à la sculpture baroque et témoigne d’une influence hellénistique. Elle semble prête à sortir de sa niche, ce qu’accentuent les plis en spirale de son drapé, pour présenter son voile miraculeux au fidèle. Sainte-Hélène, oeuvre d’Andrea Bolgi (1630-39) se révèle quant à elle en retrait, d’une froideur classicisante.

Bernini, chaire, 1656-66_St Pierre de Rome, 29 juillet 2021

Enfin, Bernini conçoit un grandiose reliquaire de bronze pour la chaire de st Pierre, trône en bois et ivoire d’époque carolingienne, symbole du pouvoir pontifical. Il ouvre ainsi l’abside aveugle de Michel-Ange et insère dans son œuvre la fenêtre qu’il entoure d’une gloire dorée lumineuse faite de bas puis haut-reliefs, de statues et de rayons dorés, mêlant marbres colorés, bronze doré et stucs baignant dans une lumière jaune. Au point de fuite de la basilique, bouleversant la logique de la perspective architecturale, Bernini dispose un verre peint représentant le saint Esprit (une colombe), nous projetant ainsi dans un espace transcendantal. Les quatre pères de l’Église, saint Ambroise, saint Augustin, saint Athanase et saint Jean Chrysostome, d’une grande expressivité, symbolisent la Rome universelle en cohérence avec les enseignements de Pierre, le caractère sacré du culte des saints, la continuité de la doctrine. Au dos du trône, un relief représente le Christ remettant les clefs à st Pierre, au-dessus, des putti présentent les symboles de la papauté (tiare, clefs). La sculpture et l’architecture se mêlent par l’usage ingénieux de la lumière en un ensemble merveilleusement évocateur et d’une grande qualité esthétique.

Le programme décoratif voit s’opposer les cardinaux della congregazione della Reverenda Fabbrica et les chanoines du chapitre tant les enjeux liturgiques sont importants, les uns voulant un décor théologique convainquant, l’exaltation de st Pierre et des sujets théologiques en relation avec la symbolique et l’histoire de l’édifice, les autres voulant lier décor peint et usage des reliques, le respect des consécrations des autels même aux dépens de la cohérence. Un programme équilibré, satisfaisant les deux partis, est finalement défini, avec un transept Sud consacré à l’Evangile et aux Apôtres, un transept Nord aux martyrs (st Erasme, St Pierre et st Martinien, St Wenceslas…), un programme traduit dans la pierre, le marbre, le bronze, la mosaïque… car à st Pierre tout se doit d’être éternel.

Arnolfo di Cambio, st Pierre, 1300_St Pierre de Rome, 29 juillet 2021

Sans évoquer les nombreux tombeaux de grande qualité que recèle la basilique, deux œuvres sculptées méritent une attention particulière. D’une part, la statue de st Pierre en bronze d’Arnolfo di Cambio (vers 1300) qui témoigne d’une évolution classicisante par sa draperie antique. Réalisée à l’origine pour l’oratoire de san Martino, elle représente l’apôtre assis sur un trône, l’air grave et solennel, tenant les clefs dans la main gauche et bénissant de la droite.

Michelangelo, Pietà, 1499_St Pierre de Rome, 29 juillet 2021

D’autre part, l’éblouissante Pietà de Michel-Ange réalisée en 1499 suite à une commande du cardinal Jean Villiers de La Grolais pour son tombeau. S’il reprend un thème présent dans le Nord des Alpes, mêlant souffrance et rédemption (le « Vesperbild » qui dépeint la Vierge assise tenant la Croix), le jeune artiste opte pour une représentation tout à fait inédite, avec une Vierge jeune, belle, atemporelle, légèrement penchée sur le corps de son Fils étendu sur ses genoux ; un corps superbe, tendre, apollonien, largement dénudé, où chaque muscle, chaque veine sont traduits avec exactitude, où le traitement raffiné du corps et des drapés, soigneusement finis et polis, contraste avec les textures non polies de la roche et de la souche d’arbre.

L’artiste exprime par la beauté terrestre, parfaite, absolue, la qualité divine de ses figures et fusionne magistralement beauté formelle et vérité morale. Il mêle diverses références : l’illusion naturaliste et psychologique flamande, la grâce florentine, l’enchevêtrement naissant des draperies verrocchiesques et ferrarais en une œuvre antiquisante, de structure pyramidale. Si les traits de la Vierge demeurent sereins quoique son geste de la main gauche attire le regard sur son Fils mort, la draperie exprime un certain pathos (le linge serré du Christ, les plis complexes de la robe de Marie, le linceul qui berce tout en révélant le cadavre). Une œuvre tout à fait époustouflante de beauté et de grâce.

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