MUSEE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS, 18 septembre 2020 – 4 juillet 2021

Je reconnais en même temps que je découvre ce qui a pu être et n’est plus à la seconde même où j’ai déclenché. On dit que la photo c’est la mort, pour moi, c’est l’instant retrouvé.
Sarah Moon
Si l’on peut regretter que le musée d’art moderne de la Ville de Paris cède aussi à la déplorable tendance actuelle de réduire au maximum l’appareil critique proposé désormais dans les expositions, il n’en propose pas moins une belle plongée dans l’univers tout à fait singulier de Sarah Moon, mannequin devenue peu à peu photographe.
Une artiste loin de se limiter à la photographie de mode d’autant que les séries qu’elle propose dans ce registre se singularisent d’emblée par une approche très personnelle fondée sur l’imprévisible, le refus de la pose, la recherche d’une présence, l’instant suspendu :
Quand j’ai commencé, je travaillais avec mes amies, mes collègues. Je savais ce qu’on leur demandait comme jeu, comme attitude, comme provocation. Je ne suis pas allée dans ce registre-là, je ne leur donnais presque pas de direction. J’ai toujours représenté les femmes plutôt backstage, en coulisses. Ce qui me plaît, c’est le personnage que la robe incarne. Le vêtement offre un rôle à la femme qui le porte, comme un costume. C’est ça que j’essaye de trouver dans la mode.
Sarah Moon
Une approche caractérisée par une esthétique du flou tout à la fois poétique et sombre, sinon lugubre, accentuée par les accidents naissants à la surface des polaroïds lors du développement, et une certaine narrativité – « je ne photographie pas la vie, mais je crée une fiction en m’appuyant sur le réel »-, les séries photographiques se mêlant à une pratique cinématographique, les références littéraires et cinématographiques imprégnant les images. Les contours des formes s’effacent, l’anonymat des modèles prime sur toute identification certaine, le vrai et le faux se mêlent, le noir et le blanc dominent, couleur de l’inconscient, de la mémoire, de la fiction selon Moon, au plus près de ses recherches.
Renonçant à toute logique chronologique, le parcours s’articule autour de cinq films de l’artiste souvent inspirés de contes réinterprétés (la petite fille aux allumettes, le petit chaperon rouge…) : Circuss (2002), Le Fil rouge (2005), Le Petit Chaperon noir (2010), L’Effraie (2004), Où va le blanc… (2013), celle-ci souhaitant privilégier les résonances entre ses œuvres à toute idée d’évolution linéaire. Les photographies sont assemblées sans différenciation entre les photographies de mode, les paysages, l’animé et l’inanimé. Ainsi, une admirable série se focalise sur des statues dévorées par le temps : tandis qu’un homme en manteau adopte des allures des plus sculpturales, les détails de statues antiques capturées par l’artiste insistent sur leur qualité expressive, le port d’un drapé, le mouvement.
Quoique certaines photographies de mode m’aient semblé de grande qualité, tant par leur qualité graphique que par leur audace au regard des codes du genre (modèles fréquemment de dos, le visage tronqué ou caché), j’ai particulièrement apprécié les paysages photographiques de Moon, à rebours de toute attente : sa Toscane, en noir et blanc, dénuée de toute présence humaine, d’une grande épure formelle, n’est pas celle des peintres renaissants tandis que sous son regard la villa Médicis se résume à la silhouette élancée et sombre de quelques pins parasols majestueux ; ses vues du port de Hambourg atténuent la dureté de l’architecture industrielle par un jeu remarquable sur les éléments : effet de pluie, ciel orageux, mer du Nord baignée de lumière au premier plan ; l’intensité lumineuse de certaines photographies ponctuées d’accidents n’étant pas sans rappeler les effets de lumière des toiles les plus abstraites d’un Turner. Un univers très personnel assez fascinant.

















