Schiele au Leopold Museum, Wien

Egon Schiele, cardinal und nonne, 1912_Leopold Museum, Wien, 26 décembre 2019

La Sécession viennoise est indéniablement le cœur du Léopold Museum, au sein du Museumsquartier -en dépit de quelques œuvres remarquables antérieures de Rodin ou Courbet-, et particulièrement les salles consacrées à Egon Schiele, ce qui n’est pas pour me déplaire. La représentation du corps féminin domine dans son œuvre, qu’il incarne l’image maternelle -entre mort et sexualité-, les deux thématiques majeures de son oeuvre-, qu’il se charge d’érotisme dans ses nus ou transparaisse dans des représentations perturbantes de femme-enfant. L’artiste ne semble pas redouter le scandale lorsqu’il dépeint un cardinal et une nonne (1912) dans une étreinte violant toute moralité tout en reflétant un besoin urgent de renouveau. On peut par ailleurs voir dans cette étreinte une relecture brutale -ce qu’accentuent la composition pyramidale et le regard choqué de la nonne- du Baiser de Klimt ou encore un autoportrait de l’artiste avec sa compagne Wally Neuzil.

La nature, à première vue secondaire dans son oeuvre dès lors qu’il s’intéresse moins à la peinture du réel qu’à la capture de l’esprit des choses, à l’art comme moyen de se comprendre et de comprendre le monde, mélange de perception sensible et d’éléments sacrés dont témoignent les titres symboliques de ses peintures (Agonie, Revelation, 1911…), de nombreux paysages et surtout paysages urbains témoignent de son intérêt pour la mélancolie naissante d’un paysage (le très beau « soleil couchant » de 1913), la nature comme espace de régénération, intime et authentique, les villes semblant davantage synonymes pour lui d’anonymat et de mort, celle-ci le fascinant particulièrement, le fait d’advenir et de disparaître étant au cœur de toute compréhension profonde du monde. On relève ainsi nombre de représentations de Krumau -ville natale de la mère de l’artiste- telles que « croissant de maisons II », 1915 ou « ville morte III », 1911, dont l’impression d’isolement est augmentée par le violent contraste entre les couleurs claires et sombres, la morbidité accentuée quant à elle par les fenêtres désertes, le côté oppressant, l’absence de toute trace de vie quoique les maisons soient singulièrement individualisées et quelque peu humanisées.

Egon Schiele, seated male nude, 1910

Schiele se décrit lui-même comme un voyant capable d’une perception intense du réel et du Vrai non sans sacrifice de soi (cf « Revelation », 1911) et il est à noter que cette posture s’inscrit dans un questionnement du sujet à l’œuvre à Vienne dans les années 1900, qu’il s’agisse des écrits d’un Hermann Bahr, critique littéraire, sur la crise du sujet moderne -Bahr se référant au philosophe Ernst Mach, lequel considère que le moi est aussi instable que le corps-, de Fritz Mauthner et sa théorie du moi divisé ou encore de l’émergence de la psychanalyse avec Freud et son idée complexe de la psyché humaine dont une part serait inaccessible au moi conscient. Les quelques 300 autoportraits réalisés par Schiele au cours de sa courte existence, tout aussi radicaux qu’obsessionnels, relèvent d’une nécessité, d’une urgence à explorer implacablement son corps, qui s’inscrit pleinement dans ce contexte intellectuel. L’artiste utilise son propre corps comme matière première de représentation et n’a de cesse d’en repousser les limites anatomiques, outrant sa gestuelle (particulièrement dans l’implacable « homme nu assis, autoportrait », 1910, où l’artiste se dépeint à 20 ans dans une corporéité douloureuse, fragmentée, mettant l’accent non sur la peau mais sur les tendons, les muscles et les os, comme un écorché, hors de toute narrativité), ses expressions, le fragmentant, le représentant dans sa nudité la plus crue. Pour lui, la réflexion sur soi associe étroitement sexualité, corporéité et questionnement existentiel.

Kokoschka, Pietà, 1909

Œuvre saisissante s’il en est, également présente dans la collection du Léopold Museum », la pietà » réalisée par Kokoschka en 1909, affiche annonçant la première de sa pièce de théâtre « meurtrier, espoir des femmes », bataille entre les sexes. L’artiste y détourne puissamment l’iconographique chrétienne traditionnelle par le recours à un design graphique brutal, le contraste violent entre le corps nu livide de la femme et celui, écorché, rouge sang, de l’homme -redondé par les forces opposées du soleil et de la lune-, l’inversion temporaire des rôles (l’homme s’effondrant dans les bras de la femme, laquelle n’apparait guère comme victime).

La collection comprend par ailleurs quelques œuvres de Klimt dont d’étonnants paysages, souvent réalisés en dehors de l’atelier et dénués de toute narrativité, l’artiste dépeignant une nature indépendante de l’humanité, capable de se régénérer perpétuellement, cyclique, d’où son intérêt pour des sujets transitoires, intemporels comme l’eau. Elle comporte par ailleurs une belle allégorie de la vie, évoquée dans la partie droite de la toile sous la forme d’une mère et son enfant, une vieille femme et un couple d’amants -ces figures étant étroitement rassemblées par des motifs ornementaux, et de la mort représentée dans la partie gauche. A l’exception de la femme et l’enfant qui regardent directement la mort, les personnages semblent quelque peu plongés dans un état onirique.

Klimt, frise Beethoven_Pavillon Sécession, Wienn, 28 décembre 2019

On retrouve l’ancêtre de la Sécession au pavillon Sécession avec sa « frise Beethoven », reflet d’un mouvement souhaitant un « Gesamtkunstwerk », soit une association étroite entre les arts, architecture, peinture, sculpture, musique. La frise renvoie à la 9e symphonie et incarne l’aspiration au bonheur. Elle alterne avec brio horizontalité et verticalité par le recours à des allégories flottant entre les scènes narratives. Elle débute par la représentation de l’Humanité souffrante (une jeune femme nue et un couple) qui implore un chevalier en armure, flanqué des allégories de la Pitié et de la Hardiesse, d’engager cette quête du Bonheur. Elle se poursuit par la confrontation de l’Humanité aux « Forces hostiles » (Typhon, les Gorgones, les allégories de la Maladie, la Folie, la Mort, la Volupté, la Luxure, l’Intempérance et plus à l’écart, le Chagrin), pour enfin voir l’accomplissement de la quête (l’ode à la joie) dans les arts. Un beau message…

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