Settecento a Venezia

GRAND PALAIS, Paris, Septembre 2018 – Janvier 2019

Antonio Corradini, allégorie de la Foi

C’est à travers une belle scénographie de Macha Makeiff que le Grand Palais présente le chant du cygne de la Sérénissime : le XVIIIe siècle, qui s’achève par la Campagne d’Italie en 1797. En effet, si la République de Venise n’a cessé de reculer sur la scène économique et maritime à partir de la Renaissance, perdant son rôle dans le commerce avec l’Orient au profit de nouvelles puissances, tandis que les routes commerciales se déplacent de la Méditerranée vers l’Atlantique et que l’empire Ottoman la menace, en revanche, elle connaît un certain renouveau artistique et fait l’objet d’une réelle attraction à l’heure du Grand Tour.

Certes, le prestige de l’école vénitienne s’ancre dans les XVe et XVIe siècles, caractérisée par un détachement progressif d’avec l’héritage byzantin particulièrement prégnant à Venise au profit d’une représentation plus juste de l’anatomie et l’introduction de la peinture à l’huile et de la perspective, l’influence des maîtres flamands. Les Titien, Giorgione, Bellini, da Messina, Tintoret, Véronèse affirment alors, face aux Raphaël et Michel Ange, une veine priorisant la couleur (il colorito) sur le dessin florentin (il disegno), tandis qu’Andrea Palladio réalise, sur la terre ferme, de nombreuses villas inspirées de l’architecture antique et -comme Codussi- d’Alberti, tout en renouvelant l’architecture religieuse, et qu’Andrea del Verrocchio, les Lombardo, Sansovino font de même en sculpture.

Néanmoins, Venise connaît une forme de second âge d’or artistique au XVIIIe siècle, objet de l’exposition. Un âge d’or non seulement graphique et pictural -avec l’évocation des décors rococo retentissants par l’audace de leurs raccourcis, la légèreté évanescente de leur pinceau, leur caractère plafonnant en trompe l’œil (Tiepolo, esquisse de « l’apothéose de la famille Pisani », 1760, Angers ; Ricci, « Vénus et Adonis », 1707, étude pour le plafond de l’antichambre de l’appartement d’été du prince Ferdinando de Medici au palazzo Pitti à Florence, Orléans…) mais aussi d’admirables peintures d’autel ou profanes des Tiepolo (« la montée au calvaire » 1735, Berlin, d’une remarquable singularité par la composition et la dynamique des lignes, d’une grande délicatesse de coloris et beauté formelle ; la somptueuse « offrande faite par Neptune à Venise » 1757-58, palazzo ducale), Diziani (« l’Olympe »), Piazzetta (« jeune femme entre un client et une entremetteuse, 1730-40), Pellegrini (« Alexandre découvrant le cadavre de Darius », 1700-1705, Soisson), Ricci (« ermites tourmentés par un démon », vers 1707-20, Epinal), Lama (« le martyre de st Jean l’Evangéliste », vers 1720, Quimper) ; le védutisme des Canaletto (« vue du palazzo ducale en direction de la Riva degli Schiavoni », 1740, Milan, « Le Grand Canal vers l’est, vu du Campo San Vo », 1727, Édimbourg), Marieschi (« la piazzetta di San Basso »), Guardi (« la piazza san Marco pendant la fête de l’ascension », 1777, ce-dernier se singularisant par des effets atmosphériques et une lumière vibrante, écho plastique d’un univers de plus en plus fragilisé) ; les pastels de Rosalba Carriera- mais également sculptural, musical et décoratif.

C’est en effet l’originalité de la sélection de Catherine Loisel que de témoigner de cette effervescence artistique et festive à travers des toiles de grande qualité, certes, mais également des sculptures -en particulier l’admirable « allégorie de la Foi » d’Antonio Corradini, d’une incroyable virtuosité dans sa relecture des drapés mouillés antiques et d’une grande sensualité par ses effets de voile et de plis dessinant le corps de l’allégorie-, des partitions et instruments musicaux avec un clin d’œil à des Figures de la musique baroque telles que le compositeur Antonio Vivaldi ou le castrat Farinelli, des pièces de mobilier (mobilier Vénier d’Andrea Brustolon, miroir et chaise ornés de verreries de Murano), des vêtements, masques, marionnettes célébrant le raffinement et la dextérité de l’artisanat vénitien, de très belles maquettes évoquant les réalisations architecturales de l’époque. Elle s’attache par ailleurs à évoquer le rayonnement de ces créations, et particulièrement les réalisations des peintres vénitiens en Espagne, en Allemagne, en Angleterre, en France et leur dialogue avec les artistes locaux (Boucher, Watteau etc.)…Un héritage à admirer et protéger tant qu’il est temps, Venise fait partie des sites les plus menacés par le réchauffement climatique…

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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