Sorties d’Ecoles 2021

GRANDE HALLE DE LA VILLETTE, Paris, Mars – Mai 2021

Si l’exposition 100% Villette consacrée aux sorties des Ecoles des beaux-arts de Paris, d’arts décoratifs, de la photographie, des Gobelins –Ecole de l’image, de la Création industrielle, de la Fémis, du Fresnoy…ne m’a pas semblé aussi stimulante que les deux dernières éditions de 2018 et 2019, quelques œuvres méritent cependant le détour.

Adeline Care présente un travail photographique sur l’effacement, la disparition de la figure humaine dans la vastitude et le vide de paysages volcaniques accentués par la perte d’échelle, le jeu des textures et l’absence de détails. La jeune artiste, dans sa série « Aïtho, je brûle », réalisée entre 2016 et 2020 évoque à travers cette série une expérience de déréalisation vécue à l’adolescence tout en développant une réflexion existentielle entre réel et fiction. Inspirée par les paysages excluant toute forme de vie de l’Etna et nourrie de recherches sur la vie en haute altitude, la série, présentée dans la grande halle, se poursuit à l’extérieur sous la forme de stèles-miroirs.

Aïthō (je brûle) est une série développant le motif de la disparition au travers d’un contraste entre un corps évanescent et la permanence d’un paysage volcanique vide et monumental. Mon travail se structure souvent autour des motifs tels que la disparition, l’apparition et la présence. Plus que de parler d’une extinction de l’espèce humaine, ces images évoquent pour moi une représentation d’un questionnement existentiel intime. C’est pourquoi je tente de ne jamais placer mon travail dans le domaine de la fiction ou du réalisme, mais dans un entre-deux indéfini.

Autre travail photographique digne d’attention : celui de Louise Desnos, qui présente la série « des femmes sous influence », réalisée en 2018-2020, réflexion sur la relation à autrui, l’écart insurmontable entre ce que l’on est et ce que l’on semble ou le rôle qu’on joue dans le monde, l’essence de l’être et l’apparence. La jeune photographe propose comme une mise à nu de l’intimité, capturant des instantanés de vie, de féminité, d’une grande liberté. Camille Kirnidis, dans ses collages (« projections », 2019), interroge également la représentation de la femme à partir de l’imagerie des magazines détournée avec intelligence, effaçant les visages au profit d’un nouvel imaginaire.

L’une des plus belles propositions de cette exposition est assurément l’installation « l’étant », 2020, œuvre de la scénographe Esther Denis tout à la fois poétique, sensuelle et troublante. De fait, malgré l’obscurité de l’espace d’exposition, on est irrésistiblement attiré par ce qui ressemble à un jardin, un bassin rond entouré de fleurs -des narcisses- et d’une vanité, un sentiment de fraicheur et de paix…intensifié par une création sonore quelque peu discrète, enveloppante et mystérieuse. En approchant, on remarque trois projections plafonnantes qui se reflètent dans ce bassin -étantg- où l’on ne parvient à distinguer le réel de l’irréel, l’eau sombre, trouble, du miroir noir qu’elle évoque, on distingue une étreinte, la silhouette d’une femme nue et les pièces se mettent en place, le cercle symbole récurrent de l’infini, la nudité d’un couple, un jardin… De fait, au travers ce jeu d’ombre, de reflet, d’écho, c’est tout à la fois le Paradis et le mythe de Narcisse que semble invoquer l’artiste.

A quelques pas de là, Alice Brygo a suspendu son « Soleil noir », 2019, autre travail indirect sur la lumière et le symbole, l’artiste détournant un élément essentiel de l’architecture religieuse, le vitrail, à travers une suite de sérigraphies représentant la coupe d’une bombe à hydrogène en explosion. L’imagerie scientifique se fait singulièrement esthétique, fascinante et déroutante, lorsqu’on découvre l’objet de destruction véritablement représenté. Le « Soleil noir » évoque par ailleurs, en alchimie, les impuretés de l’or menant à la putréfaction, auquel fait écho le processus de fusion nucléaire tandis que la puissance contenue dans la bombe fait écho au mystère du sentiment du sacré.

Dans ses « Théinographie 1, 2, 3 », 2017, Fabien Léaustic -auteur du projet Geysia à la Villette, lors de la nuit blanche 2018, diplômé en ingénierie- part également d’une imagerie spécifique, l’artiste inscrivant une projection cartographique sur l’image de la tectonique des plaques née de la pellicule formée à la surface de l’eau infusée d’une tasse de thé oubliée. Un processus de création, de révélation par l’imagination, par l’art, de microphénomènes habituellement imperceptibles et souvent à la limite de la science qu’il entend réenchanter, repenser, et qui aboutit ici à une proposition tout à la fois épurée et onirique, plus proche du dessin que de l’impression par le recours à un papier à la trame visible et dense et au thé.

Eliane Aïsso déploie quant à elle dans l’espace, en forme de spirale, des sculptures assen – autels mobiles de fer forgé de l’ancien royaume du Danhomè représentant les morts- d’une réelle beauté, inscrites dans une installation multimédia sur la réincarnation, la mort étant conçue dans cette culture comme une étape transitoire entre le monde des vivants et celui des divinités. A voir également la réflexion sur le langage de Flore Eckmann, la « sculpture mentale » que dessine le réseau autoroutier de Los Angeles dans l’esprit de François Bellabas, l’ukyo-e inspiré du calendrier traditionnel asiatique dessiné de Hu Yu, les singuliers pastels de Yoann Estevenin, les détournements d’objets de son quotidien dans la tradition surréaliste de Farès Hadj-Sadok, les films d’animation de James Molle (« black sheep boy », 2019) ou Mathilde et Antoine (« un diable dans la poche »)…

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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