Soulages entre Conques et Rodez

Par-delà son allure austère, le musée réalisé par les catalans de RCR Arquitectes à Rodez est un admirable écrin pour les œuvres de Soulages. Les cinq monolithes en acier sombre sont ponctués d’ouvertures et de systèmes d’occultation en parfaite adéquation avec les différents types d’œuvres exposées : dessins, cartons préparatoires aux vitraux de Conques, brous de noix, peintures, œuvre gravée. La lumière joue avec maestria, latéralement, avec des couches de peinture noire plus ou moins dense, de la peinture gestuelle des débuts de l’artiste aux outrenoirs contemporains, des jeux de contrastes entre le blanc du support et le noir -avec entre eux toute une gamme de gris en harmonie avec l’architecture intérieure- à l’épure fascinante des outrenoirs où seul le noir, d’une densité variable, strié, creusé, joue avec la lumière au point de suggérer de multiples nuances de gris voire de blanc.

La collection permanente du musée repose sur une donation du couple Soulages. Quoique j’aurais souhaité contempler encore davantage de toiles, elle permet de découvrir les différentes approches de l’artiste et une recherche, une expérimentation permanentes, par-delà la continuité que constitue la prédominance du noir dans son œuvre. Sont ainsi exposés plusieurs brous de noix, technique initiée dans les années 40, une sélection de toiles réalisées de 1946 à 1986 travaillant sur les effets de transparences, le recouvrement partiel de la toile et la révélation par raclage des fonds rouges, bruns…, quelques remarquables outrenoirs, reflets du travail de l’artiste à compter de 1979, des œuvres sur papier (eaux-fortes, lithographies, sérigraphies).

Le musée Soulages se situe par ailleurs à une faible distance du merveilleux site de Conques, à l’origine de la vocation de Soulages à l’adolescence et désormais écrin d’un autre chef-d’œuvre du maître. La remarquable abbatiale romane, construite en grès rougeâtre, en calcaire jaune et schiste gris à partir du XIe siècle sur le site d’une ancienne basilique, déploie un plan cruciforme à chapelles rayonnantes propre aux églises de pèlerinage mais singulier du fait des contraintes d’un site escarpé et raviné. Lorsqu’on arrive à Conques, on est ébloui par l’effet d’enfouissement de l’abbatiale et le site explique le choix d’un plan ramassé, à nef courte et abside peu profonde tandis que l’édifice se développe en hauteur. Quoique d’une grande sévérité que n’interrompt, à l’intérieur, que les chapiteaux et désormais les cent quatre vitraux de Soulages, l’abbatiale accueille une merveilleuse œuvre sculptée : le tympan du jugement dernier, réalisé, d’après l’évangile de st Matthieu, dans la première moitié du XIIe siècle qui s’ordonne sur la figure centrale du Christ en gloire avec, à sa gauche, l’Enfer, agité et effroyable, à sa droite, le Paradis, tout de clarté, d’ordre, d’amour, en-dessous, la pesée des âmes.

Les vitraux de Soulages résultent d’une longue recherche de l’artiste (1987-1994) afin de trouver une qualité de lumière adaptée au lieu. L’artiste ne se contente pas de transmettre des esquisses à un maître verrier mais crée ainsi son propre matériau. Il opte par ailleurs pour la seule lumière naturelle, refusant les coloris vifs des vitraux gothiques, afin de préserver la qualité du lieu. Le verre blanc, incolore, est seulement ponctué de lignes noires obliques, légèrement courbes, afin « de différencier le monde de la lumière et celui de l’opacité ». Afin de respecter la pureté du dessin architectural des baies, l’artiste a par ailleurs renoncé à border ses vitraux.

L’espace créé est tel que l’on n’a pas envie d’avoir le regard sollicité par l’environnement extérieur. Il me fallait donc trouver un verre qui ne soit pas transparent, laissant passer la lumière mais pas le regard […]. C’est ce qui m’a conduit à fabriquer un verre particulier, un verre à transmission à la fois diffuse et modulée de la lumière.

Pierre Soulages
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