MAISON EUROPEENNE DE LA PHOTOGRAPHIE, Paris, Janvier-Mars 2016
Bettina Rheims investit pleinement la Maison européenne de la photographie : un important ensemble de photographies, déployé sur trois niveaux, ne ménageant que peu de place aux autres photographes de la saison. Il s’agit moins d’une rétrospective que d’une confrontation entre séries anciennes et nouvelles et si les premières salles, beaucoup de nus féminins, ne m’ont pas enthousiasmée, la suite est tout à fait remarquable, en particulier son travail sur le « genre », les questions identitaires, la transexualité (série Modern lovers, Gender studies), avec de superbes portraits masculins androgynes.
Par ailleurs, j’ai particulièrement retenu les très belles séries « héroïnes », hommage à l’histoire de l’art, mise en scène de modèles sur socle au corps meurtri à la Schiele, aux vêtements déchirés et à la posture mélancolique et « inri », relecture photographique de la vie du Christ. Des photographies violentes, frontales, notamment les triptyques évoquant eux aussi l’histoire de la peinture. Que les sujets photographiés soient célèbres (Madonna, Manson, Angelina Jolie, Marion Cottillard…) ou non, le regard est le même : la beauté des modèles est tout à la fois menacée et sublimée par le photographe, les codes de représentation sont mis à mal. A noter également une admirable série sur Paris, « Rose c’est Paris », hommage à Duchamp…avec entre autres de beaux pendants photographiques d' »étant donné » et de la Joconde (« la Joconde du métro »)
La plongée dans l’univers de Renaud Monfourny, photographe des Inrockuptibles, est tout aussi fascinante bien que spatialement modeste : Iggy Pop, Patti Smith, Nirvana, Nick Cave, Courtney Love, David Bowie…non pas saisis sur scène mais dans le réel et une forme d’intimité : une rue de Seattle pour Nirvana, une pose détendue pour Patti Smith etc. Un très beau regard sur le monde du rock des dernières décennies.
Chen Po-I Yao Jui-Chung
A voir enfin, un clin d’oeil à la photographie taïwanaise à travers quatre de ses protagonistes, notamment Yan Shun-Fa et ses vues panoramiques évoquant une zone portuaire désertée (série « foyer déraciné ») ; Yao Jui-Chung qui développe une remarquable réflexion sur la ruine, aux noirs très denses ; Chen Po-I et son travail sur les conséquences du typhon Morakot en 2009, série d’habitats délaissés et embourbés particulièrement efficace. Une vision socialement critique et plutôt pessimiste mais intéressante…