
C’est manifestement l’œuvre que je désirais le plus ardemment voir à Firenze …et à vrai dire, sitôt entrée dans la vaste salle qui l’abrite, je n’ai vu qu’elle, quoique d’autres chefs-d’œuvre l’entourent. Le joyau du musée du Bargello, le « David » en bronze de Donatello (vers 1440), est au-delà des mots, et l’une des sculptures les plus importantes des débuts de la Renaissance italienne. Donatello rompt radicalement avec la description biblique et les représentations antérieures de David en homme barbu, d’âge mur, en sculptant le jeune berger en héros antique (quoiqu’il ait des allures d’éphèbe), nu, ne portant qu’un singulier chapeau ailé -qui n’est pas sans évoquer Mercure- et des jambières. David est représenté après l’action, le corps empreint, quel que soit l’angle de vue, d’une époustouflante sensualité. Les lignes sont remarquablement équilibrées et délicates, soulignées par la lumière qui caresse les reliefs (coudes, genoux, hanche droite…) tandis que la jambe droite, en retrait, demeure dans l’ombre. David, le regard baissé, tout comme son épée, le pied gauche reposant sur la tête tranchée de Goliath, semble pensif comme un Antinoüs, quoique la gracilité de son corps, la féminité de ses courbes, relèvent encore du gothique.
Il s’agit là du premier nu viril quasiment à taille humaine créé depuis l’Antiquité, un nu d’une grâce et d’une beauté totalement éblouissantes et qui semble davantage inspiré -comme le suggère Vasari-, par un corps vivant, d’une incroyable fluidité, que par un modèle sculpté malgré son déhanché praxitélien redoublé par l’épée et la posture du bras gauche qui tient encore la pierre. Une nudité dont la postérité la plus immédiate sera le « David » de Michelangelo (Accademia, Firenze, 1501-1504), sans parler du superbe « David » de Bernini (Galleria Borghese, Roma 1623-1624).
L’œuvre, probablement commandée par Cosimo il Vecchio de’Medici, fut tout d’abord érigée sur une colonne dans la cour du Palazzo Medici. Elle représente un véritable tour de force technique, coulée d’un seul jet dans le bronze, l’artiste ayant de surcroît parfaitement rendu le contraste entre la texture douce de la chair et les détails ciselés de la chevelure dorée. Vasari évoque ainsi la statue de Donatello :
Trovasi di bronzo, nel cortile del palazzo di detti Signori, un David ignudo quanto il vivo, ch’a Golia ha troncato la testa, et alzando un piede, sopra esso lo posa, et ha nella destra une spada. Et à la figura in sé tanto naturale nella vivacità e nella morbidezza, che impossible pare a gli artefici che ella non sia formata sopra il vivo.
Giorgio Vasari, « le vite de’ più eccellenti architetti, pittori, et scultori italiani da Cimabue, insino a’ tempi nostri », Einaudi, 1991
Donatello, David, 1408 Donatello, san Giorgio, 1416 17 e predella san Giorgio libera la principessa dal drago, de l’Orsanmichele
A proximité, on remarque un autre « David » de Donatello, de marbre cette fois, réalisé pour la cathédrale de Santa Maria del Fiore (1409), en héros triomphant, pendant de l’ »Isaïe » de Nanni di Banco. Il s’agit de l’une des premières œuvres certaines de Donatello, une œuvre de transition entre gothique (drapé suivant le rythme délicat du corps, inclinaison du buste) et Renaissance (intensité morale des traits) mais déjà audacieuse par l’animation donnée au corps, le contraste dramatique entre le visage délicat du héros et les traits défaits du vaincu. Le troisième « David » habituellement exposé dans cette même salle, celui de Verrocchio, était absent du fait d’une exposition au palazzo Strozzi que je n’ai eu le temps de visiter. A noter également le fier « Marzocco » -du latin Martius- (1419), emblème de la ville dont il porte les armoiries, symbole de force et de générosité.
Sur le mur, voisinant avec les morceaux d’anthologie que constituent les propositions respectives du sacrifice d’Isaac de Ghiberti et Brunelleschi pour les portes du Baptistère, se tient le « St Georges » réalisé par Donatello pour l’une des niches de l’Orsanmichele (1415-17 ; les autres sculptures sont malheureusement difficiles à contempler, le musée de l’Orsanmichele n’étant accessible qu’un jour par semaine, des copies les remplaçant dans les niches de l’édifice). Le saint est de toute beauté, le visage idéalisé et néanmoins expressif, concentré, porteur des valeurs guerrières, le corps, puissant et dont les proportions équilibrées rappellent l’antique, se tient légèrement en avant de la niche, créant un espace tout à fait inédit, dynamique malgré la fermeté de la posture, la main gauche sur le bouclier. Le créateur du « rilievo schiacciato » (relief méplat écrasé) a par ailleurs placé sous la niche un bas-relief représentant st Georges et le dragon dans un espace tout à fait convaincant par le recours à la perspective.
La chiesa san Lorenzo recèle d’autres réalisations majeures de Donatello, notamment les stucs ou terre cuite polychromes sculptés (1428-1443) –nouveaux dans la sculpture florentine du Quattrocento- et les portes de bronze de la sagrestia vecchia sur la vie de st Jean, les 4 évangélistes, les Apôtres et les martyrs… Chaque scène est particulièrement animée, expressive, et mise en espace par un recours audacieux à la perspective et au jeu d’ombres et de lumières. Dans la nef de l’église, on peut par ailleurs contempler les deux admirables chaires en bronze du maître –ses dernières œuvres, réalisées avec des collaborateurs- représentant des scènes redoutablement expressives sinon violentes de la Passion et de la Résurrection (Crucifixion, Flagellation, Mise au tombeau, la Résurrection etc.)



