
CENTRE POMPIDOU, Paris, Septembre 2010 – Janvier 2011
Dans un espace aux allures de marché et d’atelier, sans cimaises, sans commentaires, sans cartels ni possibilité d’approcher les œuvres, Gabriel Orozco expose une vingtaine d’années de travaux dans une simplicité proche du temps de leur création, s’efforçant, d’une manière plus ou moins pertinente, de surprendre et d’interroger, de renouveler notre regard sur le réel et de mettre à nu certaines constructions sociales.
Orozco, Cats and Watermelons, 1992 Orozco, crazy tourist, 1991
Sur des tables longues comme des étals sont réunis un ensemble d’objets apparemment insignifiants mais chargés de sens par l’intervention de l’artiste ou proposant un aperçu de ses processus créatifs (« working table », 2001). Sur chacune d’elle est disposée une collection d’objets trouvés et de maquettes d’oeuvres qui témoignent de dix ans d’expérimentations sculpturales. Des pièces plus grandes investissent le sol tandis que des photographies –telles les séries Cats and Watermelons (1992) et Crazy Tourist (1991) qui documentent ses interventions temporaires dans l’espace urbain tandis qu’il manipule des objets de son environnement pour en faire des assemblages poétiques ou capture ses découvertes dans l’espace public-, des collages et des peintures sont accrochés aux murs. L’espace d’exposition est par ailleurs sciemment ouvert sur l’extérieur dans une volonté de perméabilité entre le musée et la rue sans pour autant éviter la muséification d’un œuvre qui ne s’y prête guère.
Gabriel Orozco La D.S, 1993 Orozco, Four Bicycles (There Is Always One Direction), 1994
Artiste nomade, sans atelier fixe, travaillant entre le Mexique, New-York et Paris, Gabriel Orozco s’inspire des différents lieux où il vit et voyage et adopte une approche ouverte et évolutive, aux échelles, matériaux et médiums variés, perturbant les frontières entre œuvre d’art et environnement quotidien. Il développe notamment une réflexion sur les lieux et l’espace, la ville mondialisée, la nature, les déplacements et le mouvement. Ainsi, en 1993, revisite-t-il la Citroën DS, la découpant en trois parties dans le sens de la longueur et ôtant la section centrale pour réassembler les deux sections restantes. La voiture emblématique, à l’esthétique futuriste en son temps devient ainsi plus élégante et apparemment plus rapide quoique privée de moteur. L’année suivante, Orozco supprime la part médiane d’un ascenseur (« Elevator », 1994) afin que la hauteur de l’intérieur de la cabine soit proportionnelle à son corps. Dans les deux pièces, l’artiste opère une réduction d’un espace usuel et interroge les relations entre espace et temps.
Orozco, socks, 1995 Orozco, soccer ball 7
Une autre pièce s’intéresse, quoique statique et comme fermée sur elle-même, au mouvement : « Four bicycles » consiste en l’assemblage de quatre bicyclettes auxquelles Orozco a retiré selles et guidons. D’autres petites sculptures sont liées à l’échange, la circulation, le déplacement, le mouvement : « Shoes », une paire de chaussures dont les semelles sont collées ensemble, « Two Socks », 1995, réalisée en remplissant des chaussettes de papier mâché, « Seed », une forme légère et organique en maille d’acier contenant des boules de polystyrène et « Soccer Ball 7 », un ballon de football usé et incisé. D’autres enfin, suspendues, semblent flotter dans l’espace telles que la forme organique produite à partir de mousse de polyuréthane de « Spume Stream » ou le ventilateur en rotation de « Toilet Ventilator », sur lequel sont posés des rouleaux de papier toilette. Le monde vu par Orozco est un monde en mouvement. La vie, comme son art, est un recyclage permanent. Des formes meurent, d’autres naissent.
Orozco, My Hands Are My Heart, 1991_92 Orozco, yielding stone, 1992
L’exposition réunit par ailleurs de nombreuses pièces liées au corps, à l’empreinte, à l’appropriation. « My Hands Are My Heart », 1991, est une petite sculpture réalisée par l’artiste en pressant une boule d’argile qui conserve l’empreinte de ses paumes, ses mains s’ouvrant alors sur une forme qui ressemble à un coeur. Elle est mise en regard d’un diptyque photographique révélant le processus de création de l’oeuvre. D’autres pièces en terre cuite modelées portant l’empreinte du geste de l’artiste sont présentées telles que Torso, Three arms, Four and Two Fingers. Enfin, « Yielding stone », 1992, porte la trace d’une performance d’Orozco, ce-dernier ayant choisi une boule de plasticine de son poids qu’il a fait rouler dans les rues jusqu’à ce qu’elle se recouvre d’une patine de saleté.
Orozco, recaptured nature Orozco, Horses Running Endlessly, 1995
Orozco travaille très souvent à partir d’objets trouvés (déchets, objets usés, végétaux ramassés dans le désert comme le tronc de beaucarnéa incrusté d’yeux de verre de « Eyes under Elephant Foot » etc.) qu’il reconfigure avec une certaine économie gestuelle de manière à leur redonner un nouveau souffle, un nouvel intérêt. Dans « Pinched Star », 1998, une fonte d’aluminium de cire moulée à la main, il transforme le banal et le mutable en ce qui est monumental et permanent, contredisant notre attrait pour le jetable, attirant notre attention sur lui. Autres reconfigurations, « Recaptured nature » est un ballon en caoutchouc rempli d’air réalisé à partir de roues de camions récupérées ; « Horses Running Endlessly » est un jeu d’échecs détourné et agrandi réunissant jeu, infini et mouvement circulaire ; « Dial Tone », 1992, consiste en l’appropriation d’un annuaire téléphonique dont l’artiste ne conserve que les colonnes de numéros qu’il juxtapose sur un rouleau de papier japonais. En dépit de la continuité entre l’objet initial, quotidien, symbole de la production en série, et la pièce obtenue par reconfiguration, celle-ci n’en devient pas moins un objet hors d’usage teinté d’absurdité dadaïste.
« L’art consiste simplement à essayer de vivre, de comprendre, de compléter la relation que nous avons avec notre environnement et de se définir par rapport à elle ».
Gabriel Orozco
La peinture est un autre médium utilisé par Orozco, médium particulièrement privilégié dans ses études sur la circularité et le motif du cercle, entre géométrique et organique, signe de la croissance éternelle du vivant…même si le cercle est également abordé par la performance, les figures circulaires obtenues en roulant en rond à bicyclette dans deux flaques d’eau d’« extension of reflexion », 1992. La série Samurai Tree, réalisée à la tempera (rouge, bleue, blanche) et à la feuille d’or sur bois, est issue des recherches de l’artiste sur les mouvements de rotation présents dès sa série des Atomists (1995), dessins de cercles colorés réalisés sur des images de sportifs. Reprenant les couleurs dominantes de l’image sous-jacente, les dessins abstraits d’Orozco font écho aux mouvements des athlètes tout en attirant le regard sur les pixels circulaires de l’image et en abordant des processus de déterritorialisation, de déplacements culturels. La richesse des matériaux, le fini, la délégation du faire, le recours à l’image numérique et à un processus de création contrôlé par ordinateur détonnent par rapport à la précarité de ses sculptures.
Tout comme « Samurai Tree », 2006, « Black Kites », 1997 rappelle le travail des minimalistes souvent fondé sur des figures géométriques simples (Carl Andre, « 144 Magnesium Squares », 1969 ; Sol Lewitt, «Incomplete Open Cube», 1974, etc). Il s’agit d’un crâne humain recouvert d’un damier d’échiquier dessiné au graphite.
En soi, la chose est une contradiction : une grille bidimensionnelle plaquée sur un objet tridimensionnel. L’un des éléments est précis et géométrique, l’autre inégal et organique.
Gabriel Orozco
Pour Orozco, la création est une question de hasard et de paradoxe, c’est-à dire que la création des objets d’art doit émaner de la relation existante entre l’objet et son environnement, lequel lui confère sa véritable beauté, l’artiste n’étant que le simple témoin de ce rapport. Une exposition qui donne à penser quoique les œuvres soient de qualité inégale et que la dimension esthétique soit manifestement secondaire au regard du désir de l’artiste de proposer un autre regard sur le monde.
Il y a évidemment beaucoup de possibilités : le cercueil de l’artiste, le cercueil de l’œuvre de l’artiste, ça répond aussi à l’idée des avant-gardes, la mort de l’art, la mort de la beauté, la mort de la peinture, puis la mort de l’artiste : le musée comme nécropole. Ça peut être une vanité, ce qui dans mon travail est récurrent.
Saâdane Afif
Parallèlement, le Centre Pompidou propose « anthologie de l’humour noir » (inspiré du texte publié par André Breton en 1940), de Saâdane Afif, prix Marcel Duchamp 2009. L’artiste semble vouloir faire du musée le sarcophage des utopies ou rappeler la mort de l’art annoncée par certaines avants-gardes, plaçant un cercueil au centre de son installation, un cercueil réalisé au Ghana où il est de tradition de fabriquer des cercueils en forme d’objets liés à la vie du mort, qui reprend certains éléments architecturaux et la structure tubulaire du Centre Pompidou tout en adoptant les mesures d’un corps humain. Une installation conceptuelle, froide et à mes yeux bien peu convaincante.



