The Victoria & Albert Museum, London

Bernini, Neptune et Triton, 1622 23_Victoria & Albert Museum, London_14 juillet 2019

Le Victoria and Albert Museum a des allures de musée des monuments français et de musée des arts décoratifs, réunissant une impressionnante collection d’objets originaux et deux vastes cours intérieures dédiées aux moulages de chefs d’œuvres de l’histoire de l’art (rare occasion de contempler à proximité des copies des « David » de Michelangelo et de Donatello et rappel de l’une des missions premières de ce musée créé au lendemain de l’exposition universelle de 1851 : la formation des artistes et artisans).

Une collection tout à fait interdisciplinaire où se détachent d’admirables sculptures dont le puissant « Neptune et Triton » du Bernini, marbre grandeur nature de 1622-23, contemporain des fabuleux groupes sculptés de la villa Borghese, qui représente le Dieu tenant fermement son trident en geste de domination, d’une vitalité agressive accentuée par la torsion des corps, l’envolée des drapés, le traitement de la chevelure, le jeu typiquement baroque des courbes et contre-courbes, tandis que son acolyte tente d’apaiser les éléments en soufflant sur sa conque, « Samson terrassant un philistin », de Giambologna, marbre, vers 1562, une impressionnante étude de caractère de Messerschmidt, vers 1770-80, « l’Odorat », une descente de croix en bois et en cire dorée de Sansovino, vers 1508 et une lamentation en bronze de Donatello, 1455-60, toutes deux caractérisées par leur charge dramatique, un admirable bas-relief représentant la vierge à l’enfant de Duccio, 1450-60, une voluptueuse Vénus essorant ses cheveux d’Antonio Lombardo, 1510-15… ; des peintures tout aussi admirables (la « Madonna di Loreto » de Perugino, le « Portrait de Smeralda Bandinelli » de Botticelli, vers 1475, une éblouissante vierge et l’enfant de Crivelli, vers 1480, entre technique médiévale et apport perspectif renaissant, « Mehmed II » de Gentile Bellini, 1480, toile emblématique d’une influence occidentale croissante dans l’empire ottoman, une fresque représentant la résurrection de Lazare, d’un élève de Raphaël, Perino del Vaga, 1538-40), des armes, des céramiques (dont un plat attribué à Palissy à « rustiques figulines » des années 1580-1600), des instruments de musique, des pièces de mobilier des plus grands ébénistes du XVIIIe siècle (tels que Cressent, Leleu…), des estampes (Cranach, Dürer, Schongauer), des dessins, des livres (plusieurs codex de Vinci)…

Quelques joyaux se détachent de cette collection hétéroclite transcendant comme le British Museum les civilisations (art occidental, art islamique, art asiatique…) : les mythiques cartons de Raphaël pour les tapisseries de la chapelle Sixtine au Vatican sur les actes des Apôtres -commande politique de Léon X réalisée vers 1514-1516-, qui, de par la qualité invraisemblable des couleurs, des détails, des modelés et effets atmosphériques, représentèrent une référence majeure et un défi pour les plus grands lissiers de l’époque classique et où se distingue la magistrale pêche miraculeuse, avec les corps puissants des pêcheurs se reflétant dans le lac de Génésareth, malheureusement difficile à apprécier étant donné la hauteur d’accrochage et la faible luminosité curative de l’espace d’exposition ; les modèles de sculptures majeures de maîtres italiens tels que Bernini (esquisse en terre cuite de la bienheureuse Ludovica Albertoni, 1672, esquisse pour le monument à Alexandre VII, 1669-70), Giambologna (esquisses en terre cuite ou en cire pour la Florence triomphant de Pise du Bargello, 1565, le rapt de la Sabine, 1579-80, un Dieu Fleuve, vers 1580, qui évoluera en Apennin), Cellini (le modèle en bronze de la tête de la Méduse du Persée de la Loggia dei Lanzi, 1545-50), Michelangelo (un esclave, 1516-19), l’invraisemblable étude de nus gravée d’Antonio Pollaiuolo, pièce maîtresse en terme d’anatomies masculines renaissantes et de paragone qui servit de modèle à nombre d’artistes etc.

Tout comme le British Museum, ce musée, malgré la qualité de son architecture et de sa muséographie, laisse une impression un peu dérangeante. Certes, nombre d’œuvres seraient probablement perdues si elles n’avaient été déposées seulement la reconstitution complète de chapelles (chapelle de l’église de santa Chiara de Firenze, fin XVe, attribuée à Sangallo, jubé de St Hertogenbosch, XVIIe), de pièces lambrissées (chambre du château de la Tournerie, XVIIe)…fait quelque peu regretter que les œuvres ne soient pas demeurées in situ. On ressent moins à mes yeux cette sensation de pillage patrimonial face à une œuvre isolée, un dessin, une sculpture…mais lorsqu’il s’agit d’éléments décoratifs relevant de l’architecture, de l’ « immobilier » -au sens du code du patrimoine-…Quoiqu’il en soit, c’était assurément une très agréable surprise de pouvoir contempler les « premiers jets », les « modelli » d’œuvres vues tout récemment à Florence …

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