ECOLE NATIONALE SUPERIEURE DES BEAUX-ARTS DE PARIS, Avril – Mai 2021
Le 2e acte du Théâtre des expositions des Beaux-arts de Paris s’ouvre sur une relecture de la théorie sexuelle de Freud dans les enchevêtrements du labyrinthe d’un « Jardin secret ». Si les œuvres présentées dans cet espace m’ont paru très éloignées du fil psychanalytique tissé par la commissaire Simona Dvořáková, certaines d’entre elles n’en ont pas moins un intérêt propre, et tout particulièrement une nouvelle proposition de Petrit Halijaj, « poisoned by men in need of som love ». Réalisés en 2013 dans le cadre d’un ensemble de sculptures faites de métal, d’excrément de vache et de terre, deux faucons perchés sur un cercle de cuivre sont présentés dans la section « stade anal » du jardin secret. Il s’agit à l’origine d’une réappropriation des animaux tadidermisés du musée d’histoire naturelle de Pristina au Kosovo, collection emmurée au profit d’une présentation nationaliste. Un travail sondant les notions d’identité culturelle, de nation, de mémoire, de perte, d’exil forcé, particulièrement prégnantes dans l’histoire personnelle de l’artiste qui dut fuir pendant la guerre du Kosovo. L’œuvre dialogue singulièrement avec une toile des collections de l’Ecole emblématique de la castration, dans la section « dominant », Judith coupe la tête à Holopherne, dépeint en 1761 par Dominique Lefèvre-Desforges, un élève de Joseph-Marie Vien plutôt secondaire.
Goya, buen viage, 1806 07 Flora Bouteille et Victor Villafagne, ni vrai ni faux ni bon ni mauvais, 2021 Flora Bouteille et Victor Villafagne, fullfilled badbox version II
Si la sélection de pièces présentée dans « Le temps est détraqué » -qui tente à partir d’installations majoritairement sonores, visuelles et vidéo, de déployer des espaces temporels autonomes dans l’espace d’exposition, de percevoir le présent dans sa singularité plurielle fonction de chaque perception individuelle et de présences passées et à venir- ne m’a pas davantage convaincue, elle donne néanmoins à voir une admirable estampe de Goya (« Buen viage », 1806-1807) issue des Caprices et représentant la vision cauchemardesque de sorcières et revenants qui traversent le ciel nocturne en hurlant, possible allégorie de l’Histoire destructrice ainsi qu’une édition d’un livre essentiel à l’histoire des jardins et à l’histoire de l’art, l’Hypnerotomachia Poliphili de Colonna, présenté ici toutefois pour témoigner de l’intérêt des hommes de la Renaissance pour le rêve, Poliphile endormi dans une forêt rêvant qu’il rêve dans le songe, transporté alors dans un voyage tout à la fois temporel et universel au cours duquel il est confronté à toute sorte d’êtres fabuleux, de ruines architecturales, d’ornements ou animaux exotiques symboles de la lutte de l’homme avec la nature et de nos pulsions. On prêtera toutefois attention au travail de Flora Bouteille et Victor Villafagne, qu’il s’agisse de la « FULLFILLED badbox version II », boîte de Pandore contemporaine, en plomb, qui ouvre le parcours et donne à entendre des dispositifs anti-nuisibles et tend à évoquer notre double perception du temps, physique et spirituel ; ou des délicates et intrigantes pièces forgées de « Ni vrai ni faux ni bon ni mauvais », manifestement sur le thème de la justice, de ce qui est vu et ce qui reste dans l’ombre.
Les propositions présentées à l’étage m’ont semblé les plus pertinentes de ce nouvel ensemble d’expositions, tout particulièrement « une moraine d’objets », proposition de Yannick Langlois réunissant des pièces de Jean-Charles Bureau, Florentine Charon, Victoire Thierrée, réalisées lors d’une résidence aux Beaux-Arts de Paris, et en dialogue avec des têtes d’expressions des collections de l’Ecole issus du concours homonyme qui analysait la capacité des artistes à traduire et transmettre l’émotion mais sont ici présentées à l’état fragmentaire, laissant le visiteur compléter les vides. Les œuvres contemporaines présentées dans cet espace travaillent semblablement sur le vide, la mise en espace des pièces et la prise en compte du lieu d’exposition et du regard du visiteur. Florentine Charon présente ainsi, outre deux remarquables photographies de seuils entre dedans et dehors, ombre et lumière, une suite de sculptures –« couloirs d’airs »- qui donnent singulièrement à voir le vide, l’entre-deux, ainsi que la fragilité de panneaux dressés dans leur frontalité mais où l’absence d’assemblage les fait menacer d’effondrement comme un château de cartes tout en faisant naître une étrange tension. Quant à Jean-Charles Bureau, son ensemble de pièces « l’art est un animal sauvage » est des plus réussis et m’a semblé plus pertinent, plus poétique aussi que les pièces proposées actuellement dans le cadre de l’exposition 100% à la Villette, même si dans chacune se jouent tout à la fois l’acte de peindre et une démarche « conceptuelle » marqués par la quête d’un bonheur tragique.
L’art est un animal sauvage. Une rencontre brutale, éphémère avec laquelle on vit plus mentalement que physiquement. Ce silence émanant, cette figitude ne peut passer que par un langage immanent. Ce qui se présente devant vous, vous vous présentez également devant elle, chacun se jauge et apprend de l’autre. […]. Savoir disparaître, savoir oublier, savoir faner. Faire de la peinture qui fane, un labeur d’apiculteur. Tout ce que je veux apprendre de ce que je vois.
Duchenne de Boulogne, mécanisme de la physionomie humaine, 1876 Eleonore False Eleonore False
« Tout me trouble à la surface », enfin, présente des œuvres d’Eleonore False inspirées par le médecin Duchenne de Boulogne dont une page du « mécanisme de la physionomie humaine » ouvre le parcours. L’artiste se réapproprie les photographies de Duchenne par le biais de sélections, de découpages, d’agrandissements, de changement d’échelles et de médiums, la photographie se faisant sculpturale. Elle tente de redonner sa place au sujet quelque peu instrumentalisé par Duchenne, qui, par des procédés électriques, se souciait principalement d’étudier le mécanisme des expressions faciales.