Trajectoires albersiennes

MUSEE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS, 10 septembre 2021 – 9 janvier 2022

Josef Albers, 4 couleurs chaudes au centre entourées de 2 bleus 1948 et Anni Albers, strates rouges et bleues, 1954_Albers_MAMVP_27 novembre 2021

Le musée d’art moderne consacre une exposition au couple d’artistes allemands Anni et Josef Albers, formés au Bauhaus dont ils retiennent un certain nombre de principes : pluridisciplinarité, revalorisation de l’artisanat et part de la production industrielle pour démocratiser l’art, place majeure de celui-ci dans l’éducation et l’épanouissement de chaque individu et sa relation à autrui. Des principes qu’ils s’efforcent de transmettre en tant qu’enseignants, au Bauhaus (1920-1933) puis au Black Mountain College après leur départ, en 1933, aux Etats-Unis, guidant leurs élèves vers une autonomie de réflexion et une prise de conscience de la subjectivité de la perception, une expérimentation créatrice, une observation sensible du monde par-delà l’acquisition d’un savoir théorique.

Anni Albers, ville, 1949_Albers_MAMVP_27 novembre 2021

Si les deux artistes partagent des valeurs formelles et spirituelles et seront tous deux marqués par la découverte des arts précolombiens (leurs couleurs intenses d’ors et de rouges, leurs formes et motifs), leurs œuvres respectifs se développent parallèlement tout en se répondant par leur radicalité, leur désir de revenir à leurs principes premiers : les interactions entre les couleurs pour la peinture de Josef Albers, les lignes orthogonales et les motifs géométriques renvoyant à la structure même du tissage pour Anni Albers.

L’art est parallèle à la vie […]. La couleur, selon moi, se comporte comme un être humain, de deux manières distinctes : d’abord dans son existence autonome, puis dans sa relation à autrui. »

Josef Albers

Josef Albers réalise tout d’abord des assemblages hétéroclites à partir de morceaux de verre récupérés puis développe des formes architectoniques sur verre doublé (recouvrement de verre blanc par une couche de verre soufflé, coloré ; «  image de grille », vers 1921, « parc », 1923-24, « piliers », 1928) ou verre opacifié avec du sable pour enfin se tourner vers le design (1926), la photographie (1928 ; «  sport sur une plage de sable mouillé », 1929) et la peinture. Après guerre, il réalise la série des Variants (1947), déclinaison de compositions géométriques abstraites aux couleurs vives fondées sur une structure en damier, inspirée des habitations en pisé mexicaines. Ses Structural Constellations (1949) travaillent sur l’ambiguïté de la perception, perturbant la lecture d’une simple forme géométrique par le jeu des angles et les effets de perspective.

Chaque perception de la couleur est une illusion… nous ne voyons pas les couleurs telles qu’elles sont réellement. Dans notre perception, elles se nuancent.

Josef Albers

De 1950 à sa mort en 1976, il se consacre à l’étude des couleurs et des interactions entre elles et avec leur environnement à travers une magistrale série se limitant à quatre formats élémentaires de carrés emboîtés dont plus d’une trentaine de versions sont exposées, l’Hommage au carré. Posant qu’une couleur n’est jamais vue telle qu’elle est physiquement, que sa perception est toujours profondément subjective, il met toile après toile en exergue l’écart entre fait factuel et fait ressenti, perception physiologique d’un phénomène et la façon dont notre esprit l’interprète.

Malgré le protocole strict à l’œuvre –seulement adouci, assoupli dans ses études (« étude rouge violet achats de Noël, » 1935, «  trois études de couleurs pour un hommage au carré, 1959-60)-, chacune de ces toiles, pour aboutir à une facture remarquable, nécessite un long travail, une profonde concentration. L’artiste enduit des plaques de masonite de couches de gesso, esquisse les carrés, dépose les couleurs au couteau et travaille du carré central vers l’extérieur, sans accessoires pour masquer les contours. Le choix soigné des couleurs d’une même toile aboutit à des effets de flottement, d’étirement, d’illusion de superposition des carrés et annonce certaines recherches de l’art optique et de l’art minimal…

Anni Albers développe, dans le tissage, toutes formes d’expérimentations, visant à créer des abstractions dans la matière même, à combiner à l’image de Klee l’abstrait et le géométrique avec le naturel et l’organique, faisant naître de la superposition de bandes de même couleur et longueur une dynamique interne et structurelle puis, dès les années 1950, des œuvres de petit format à finalité purement contemplative (Pictorial Weavings, « ville », 1949, «  memo », 1958). Elle obtient alors d’importantes commandes religieuses pour un temple juif à Dalla, la congrégation B’nai Israel dans le Rhode Island puis le Jewish Museum de New-York (« six prières, 1965-66). A partir de 1963, elle se tourne vers la gravure, expérimentant à nouveau différentes techniques.

Anni Albers, memo, 1958_Albers_MAMVP_27 novembre 2021

Une intéressante plongée dans l’univers de deux artistes de la modernité, en dépit d’une certaine froideur, d’un systématisme, d’une rigueur quelque peu architecturale dans nombre de leurs pièces.

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