Un nouvel espace dans le Marais pour la Galleria Continua

GALLERIA CONTINUA, Paris, Janvier – Mai 2021

Si l’idée de délaisser le concept de White cube récurrent dans les espaces d’exposition d’art contemporain est plutôt intéressante, le mélange des genres proposés par JR, commissaire de l’exposition d’ouverture de la Galleria continua de Paris laisse à désirer : les œuvres se mêlent à des produits de consommation courante, les cartels ont des allures de signalétique de marché, l’essentiel des espaces semble à l’abandon…Dans ce capharnaüm qui ne m’a guère convaincu, quelques rares pièces méritent toutefois le détour et il est vrai que la galerie fondée il y a une trentaine d’années dans la ville de Santa Fina, San Giminiano, défend des artistes d’envergure internationale tels que Kounellis, Kapoor, Gormley, Pistoletto, Kiki Smith, Meireles…

Une très belle pièce d’Anish Kapoor côtoie ainsi un imposant dessin de Kiki Smith également présente par une petite sculpture négligemment posée sur une étagère et qui voisine avec une fleur d’une étonnante fraîcheur du jeune artiste –à la fois créateur de vêtement et photographe- Balthazar Gousseff réalisée à partir de pellicules photo, façon tout à la fois de réemployer un support devenu inutile et de charger de sens le nouvel objet. Une minuscule mais admirable sculpture d’Anthony Gormley est posée à même le sol, invisible à la plupart des visiteurs….Toutes tentatives –audacieuses et attrayantes quoique quelque peu dangereuses- de désacraliser notre rapport à l’art et de l’intégrer pleinement aux autres activités du quotidien. Dangereuse car la création, qu’elle soit littéraire, artistique, musicale, est un ressort fondamental de l’humain. Elle engage selon moi la plupart des artistes, animés par un besoin irrésistible d’expression, au plus profond d’eux-mêmes, capables de transcender leur propre vécu, leurs propres pensées et sensations jusqu’à atteindre un universel susceptible de les dépasser et de signifier et toucher autrui par-delà les différences, par-delà les siècles. On n’achète pas un tableau comme on achète un bouquet d’épices et à trop désacraliser la création, on en vient au monde actuel, totalement désespérant, qui considère l’art comme un simple loisir superflu et nous prive des mois durant de notre patrimoine artistique, de la confrontation essentielle et que jamais le monde virtuel ne pourra compenser, avec les œuvres des plus grands maîtres de l’histoire de l’art, en fermant les musées au public. Loisir, peut-être, mais alors il faut l’entendre comme l’otium latin, ce temps essentiel de retraite consacré au repos, à la méditation, à l’art, à la pensée et condition de la liberté, à distance du quotidien, des affaires (negotium). Mais revenons à l’exposition inaugurale de cet espace parisien de la galerie…

C’est à mes yeux une œuvre vidéo qui mérite particulièrement l’attention. « Staging silence (3) », de Hans op de Beeck, est le troisième épisode d’une série de films qui adopte le même dispositif : deux paires de mains anonymes construisent et déconstruisent des mondes fictifs sur un plateau de tournage de trois mètres carrés, donnant à voir des lieux énigmatiques, souvent mélancoliques, à petite échelle, des lieux qui se développent sous nos yeux pour se défaire peu à peu, désertés, abandonnés. Des « scènes » chargées de références historiques ou présentes, évoquant les relations de l’homme à son environnement, sa façon de se l’approprier, de l’humaniser, afin de créer du sens même si les châteaux sont réduits par le temps et les éléments à l’état de ruines et redeviennent des pierres, le sol se craquèle sous l’effet de la sècheresse, les champs cultivés de fleurs finissent brûlés par le soleil, la mer reprend ses droits sur les terrasses aménagées sur le rivage…Le pouvoir métaphorique des scènes construites et déconstruites au fil du récit est impressionnant, d’autant que les moyens de la représentation, rendus visibles, sont des plus simples : un bloc de terre que l’on modèle, un bouquet de champignons et de brocoli qui se métamorphose en bouquet d’arbres, une feuille de papier aluminium qui donne naissance à une sculpture moderne et rejoint le socle d’un espace muséal…Le film en vient à donner à penser l’acte de création en lui-même, cette formidable capacité de l’homme, à partir des matériaux les plus banals et du seul pouvoir de son imagination, à donner forme, sens, beauté. On songe d’ailleurs au fil des scènes qui se font et se défont à certaines installations de l’artiste telles que le « secret garden » exposé au 104 lors des 25 ans de la galleria continua, en 2015. L’artiste poursuit de fait sa réflexion sur l’humanisation et la domestication de la nature, cette quête insensée de sens malgré notre mortalité irréductible. L’art vidéo m’a semblé toutefois plus approprié à la démonstration de l’artiste qu’une installation quelque peu glacée. « Staging silence (3) » révèle avec une remarquable maîtrise et une grande poésie, par ses gestes lents et délicats, son espace limité et pourtant perpétuellement transformé, son esthétique quelque peu minimaliste et dépouillée, la vanité des activités humaines tout en pointant sa capacité d’invention, d’imagination, de résistance. Une démonstration particulièrement bienvenue à l’heure où l’on réduit l’art à un divertissement « non essentiel » en oubliant une vérité fondamentale : l’absurdité de l’existence humaine, sa vanité, que de rares sentiments ou activités – l’amour, la création- parviennent seuls à rendre un peu supportable en mettant, consciemment, à distance, notre mortalité. Las ! bien des hommes préfèrent tout simplement l’oublier même s’ils se feront irrésistiblement rattraper par leur destin.

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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