Une contre-histoire de la nature morte peu convaincante

Géricault, chat mort, 1820_Les choses_Louvre-14 octobre et 5 novembre 2022

Louvre, PARIS, 12 octobre 2022 – 23 janvier 2023

The last significant European still life show was Louvre curator Charles Sterling’s in 1952. This new one is […] a philosopher’s tale. How we think about things reveals our relationship with the world, our attempts to make sense of it. Still life, the show argues, is not inert “nature morte” (dead nature) but a living form, animated by individual minds and hearts, and by social and scientific forces. 

https://www.ft.com/content/6e324c01-4e2c-4de0-a481-fed9eb9e0939, vu le 7/01/2023

Si l’exposition que consacre actuellement le musée du Louvre aux « choses » mérite d’être vue et revue, en dépit d’une fréquentation singulièrement dense, c’est avant tout à mes yeux par les quelques prodigieux rapprochements qu’elle propose. Avec pour acmé une redoutable salle consacrée aux animaux morts (« la Bête humaine »), le parcours, rompant avec toute logique académique, chronologique ou stylistique, permet de surprenantes rencontres.

J’ai ainsi relevé le perturbant dialogue des Saisons du peintre maniériste Arcimboldo, portraits allégoriques et politiques faits d’un assemblage de végétaux, d’animaux et d’objets réalisés dans les années 1570 et de « Moisson », 1983, assemblage quelque peu morbide quoiqu’une étrange beauté s’en dégage, constitué d’un fragment de cire anatomique, de fruits et de légumes, du photographe contemporain Joël Peter Witkin en forme de portrait. Une remarquable confrontation entre deux espaces intimes où la présence humaine ne transparait qu’à travers les objets dépeints : la célèbre chambre de Van Gogh d’Orsay, peinte à Arles en 1889, symbole de la solitude et de la simplicité, de la rigueur recherchées par l’artiste et traduites par la construction de la composition cadrée par les verticales et les horizontales du mobilier et scandée par des aplats de couleur bien différenciés, avec son lit de bois, sa petite table et ses deux chaises en paille, le pichet et la cuvette destinés à la toilette de l’artiste, quelques toiles et dessins sur les murs et les merveilleuses « Pantoufles » du peintre hollandais du siècle d’or Samuel van Hoogstreten (1655-62, Louvre), enfilade de pièces parsemées de quelques objets dont les fameuses mules au cœur de la toile qui trahissent une présence tout en incitant au passage d’une pièce à l’autre, redoublant magistralement l’effet de la perspective.

Certaines confrontations se révèlent plus immédiates : une nature morte d’esprit cubiste, avec ses brouillages de plans, ses agencements instables, sa perspective renversée, de Matisse, 1915, voisine ainsi avec l’œuvre qui l’a inspirée. Il s’agit d’une toile incarnant la vanité des plaisirs terrestres du peintre flamand Davidsz de Heem, « la Desserte », de 1640, d’un naturalisme admirable dans le traitement des reflets et des textures avec sa brioche entamée, son plateau de raisins incliné en écho à la composition en diagonale et cependant d’une grande harmonie de la toile, ses pièces orfévrées, la somptueuse nappe blanche qui ne recouvre qu’une part de l’épais plateau en bois de la table, laissant paraître une pièce de velours d’un vert olive raffiné, frangée, qui fait écho au rideau de velours pourpre à l’arrière-plan, lequel ménage quant à lui quelques ouvertures sur le paysage.

Dali, nature morte vivante, 1956_Les choses_Louvre-14 octobre et 5 novembre 2022

Les surréalistes se confronteront également à la tradition picturale de la nature morte du XVIIe siècle, Dali en reprenant ainsi, dans sa « Nature morte vivante » de 1956 exposée à proximité d’une allégorie de Linard, les codes, tout en les perturbant par l’intrusion d’éléments incongrus comme une structure d’ADN, éléments représentés en outre dynamiquement, comme en apesanteur, pour contredire l’idée de nature « morte ».

Le dialogue le plus fort et le plus perturbant met toutefois audacieusement en dialogue, dans la section « la Bête humaine » dédiée à la représentation d’animaux morts comme incarnation de la souffrance, « le bœuf écorché » de Rembrandt, de 1655 (Louvre), monumentale carcasse suspendue aux allures de Crucifixion avec ses incroyables effets de lumière sur la chair sanguinolente, « l’agnus dei » de Zurbaran du Prado, 1635-40, jeune bélier au traitement naturaliste allongé dans une posture sacrificielle, les pattes attachées au premier plan, isolé par la lumière sur un fond neutre, troublant mélange d’iconographie religieuse et domestique, une redoutable « nature morte à la tête de mouton » de Goya aux yeux des plus expressifs, réalisée dans une palette sombre où les contrastes entre les rouges des chairs et le blanc des graisses font écho à la violence du sujet, peinte en pleine guerre d’Espagne (1808-12) et dont Picasso s’inspirera en 1937, des truites de Courbet –forme d’autoportrait de l’artiste emprisonné après la Commune-, des fragments de corps morts –volés par l’artiste dans une morgue et brutalement réduits au statut d’objet, peut-être en préparation du Radeau de la Méduse- et un « chat mort » de Géricault, 1820 (Louvre), des plus stupéfiants, cadavre intact mais raide, inerte, pesant et dont la chaleur et la douceur ne sont plus qu’un souvenir, terrible confrontation avec la mort sans échappatoire.

S’ajoutent à cela quelques belles découvertes ou redécouvertes, au premier chef desquelles la fascinante « grive morte » de marbre de Houdon, 1775, bas-relief d’une incroyable virtuosité technique avec un rendu magistral et incroyablement délicat des textures (les épaisses plumes des ailes contrastant ainsi avec le fin et léger duvet du ventre), habilement confrontée à la « Nature morte avec trois oiseaux morts, des groseilles, des cerises et des insectes » de Jean-Baptiste Oudry, 1712-13, version peinte du même thème d’une grande rigueur formelle et d’un illusionnisme frisant le trompe-l’œil ; la somptueuse corbeille avec verres, pâté et lettre adressée à Teniers, de Sébastien Stosskopf, 1644, que je n’avais pu contempler depuis l’exposition monographique consacrée à l’artiste par le musée de l’œuvre de Strasbourg, en 1997, un crâne de Richter de 1983, dont il est difficile de se lasser et où l’impitoyable motif tend à s’effacer derrière les moyens picturaux (dominante monochrome, géométrie et rigueur minimalistes), une belle « grisaille à l’espadon » de Miquel Barcelo, 2021, en cohérence avec ses travaux actuels si l’on songe à la belle exposition monographique que lui consacre la galerie Ropac de Pantin.

Il n’en demeure pas moins que tant le propos que le parcours de l’exposition m’a semblé d’une grande confusion. La première salle est d’ailleurs emblématique de ce chaos, mélange de peinture du XVIIe siècle (la « Madeleine à la veilleuse » de Georges de la Tour, 1642-44, qui médite, la tête inclinée, le visage de profil frappé par la lumière, dans sa sombre cellule, la main sur un crâne, tout en épure, en pauvreté et en symbolique religieuse : crucifix, livres religieux, discipline, flamme de la bougie renvoyant à la fragilité de l’existence), d’œuvres cinématographiques étrangement bien représentées dans la sélection (la scène finale de Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni avec son explosion d’objets de consommation, une scène à la beauté picturale de télékinésie de Stalker, d’Andrei Tarkovski, 1979, un extrait de l’épouvantail de Buster Keaton, 1920), d’art contemporain aux propos totalement opposés (Boltanski, « les habits de François C », 1971-72, photographies évoquant l’enfance, le quotidien de son neveu ; Spoerri, « repas hongrois », 1963) et de pièces antiques ou archéologiques (vase chypriote funéraire de l’âge du Bronze en forme de grenade, symbole de fertilité, haches préhistoriques, stèle funéraire égyptienne de Sénouseret).

Et en dépit d’une seconde salle assez pertinente consacrée à la nature morte antique et regroupant plusieurs mosaïques de grande qualité dont le superbe « Memento Mori » qui ornait la table d’un triclinium de jardin, première représentation d’une Vanité en art (un crâne, un papillon symbole de l’âme, les attributs d’un prince et d’un pauvre mis en balance après la mort) ou encore un étonnant squelette avec deux cruches de vin, deux mosaïques pompéiennes du 1er siècle avant JC conservées au musée archéologique de Naples, le propos se perd au fil du parcours dans des regroupements principalement thématiques (ce qui reste, émancipation, accumulation, classification, objets de croyance, la bête humaine …) parfois totalement hors-sujet (la poupée comme mode de chosification de l’être humain –dont une singulière poupée romaine du IIIe siècle-, la modernité comme confusion entre être et choses plus ou moins symbolisée par le porte-bouteilles de Duchamp, les « objets poétiques » -concept aisément fourre-tout qui réunit la table de Giacometti de 1933, les artichauts monumentalisés de Chirico et une redoutable sculpture de cire de 1991 de Robert Gober qui n’a pourtant rien de poétique-, les métamorphoses…).

Sam Taylor Johnson, nature morte, 2001_Les choses_Louvre-14 octobre et 5 novembre 2022

Ou encore trop rapidement survolés, si l’on songe à cette déclinaison particulière du genre particulièrement vivace au fil de l’histoire qu’est la Vanité –espace symbolique où les objets et leur corruption nous rappellent à notre finitude- quoique la nature morte de Sam Taylor Johnson, vidéo de 2001 qui présente en accéléré et crûment la lente corruption d’une coupe de fruits, y participe pleinement et avec force.

Gerhard Richter, crâne, 1983_Les choses_Louvre-14 octobre et 5 novembre 2022

Des confrontations d’œuvres par-delà les époques, les styles, le contexte historique, religieux, culturel et géographique, provoquées par un discours qui semble avant tout soucieux de défaire le concept de nature morte élaboré par les historiens de l’art au fil des siècles au profit de celui pour le moins ambigu de « choses » qui seraient a contrario vivantes en ce que nous agissons sur elles et qu’elles agissent sur nous, pour reprendre les termes de la commissaire ; un discours ne craignant par ailleurs pas les anachronismes, présentant parfois des œuvres d’autres siècles sinon millénaires au regard de préoccupations contemporaines (colonialisme, statut des femmes, accumulation des biens de la société de consommation…) et faisant ainsi fi de leur propre contexte de création.

Ristelhueber, fait #31, 1992_Les choses_Louvre-14 octobre et 5 novembre 2022

Si la forte présence de la création contemporaine n’est pas pour me déplaire et se ressent de l’inquiétude croissante et dans l’« esprit de notre temps » de crise écologique, de crise sanitaire (Toguo, « grand vase Charpin », 2016, représentation de cellules infectées par le virus Ebola, Nan Goldin, « first days in quarantine », 2020), de déshumanisation, de guerre (Ristelhueber, « fait #31 », 1992, photographie de chaussures prise dans le désert après la guerre du Golfe, rappel clinique de la violence et travail de mémoire contre l’effacement des stigmates de la guerre), de pauvreté (Rauschenberg, « Sri Lanka bags », 1988, Toguo, « le pilier des migrants disparus », 2022 ) et de pertes de repère tout azimut, elle est quelque peu incongrue au Louvre, d’autant que la période « moderne », au sens historique du terme soit du XVe siècle à la Révolution, m’a paru totalement sacrifiée alors qu’il s’agit probablement, du fait de l’histoire du musée, du cœur des collections du Louvre.

Certains artistes pourtant essentiels au genre sont ainsi  totalement absents : Caravaggio, Champaigne, Heda, pour n’en citer que quelques-uns alors que d’autres semblent surreprésentés (Manet, Chardin) dans le cadre d’une exposition thématique et collective.

De fait, les quelques œuvres de l’initiateur des bodegones, Juan Sanchez Cotan, méditations sur la beauté simple des choses qui se détachent sur un fond noir, suspendues, sculptées par la lumière et magnifiées par le jeu des formes et des volumes (« Fenêtre, fruits et légumes », 1602), de Jacques Linard (« les cinq sens et les quatre éléments, 1627, à la fois nature morte, vanité et allégorie, les objets soigneusement sélectionnés et disposés sur des plans superposés étant chargés de sens et de symboliques), de Willem Kalf (dont les « ustensiles de cuisine », 1640, sont toutefois merveilleusement ordonnés, la banalité des objets représentés étant transcendée par la palette sourde et le petit format qui focalisent l’attention sur les variations de traitement et semblent annoncer le travail de Morandi dont une toile est présentée peu après, « natura morta », 1944 lequel opte lui aussi pour une palette resserrée et sourde quoique d’un grand raffinement, des objets d’une grande banalité, magnifiés par une grande économie de moyens), de Lubin Baugin (« nature morte à l’échiquier », 1630), de Sébastien Stoskopff, de Sébastien Bonnecroy (Vanité. Nature morte, XVIIe, regroupement sur une table de bois, se détachant sur un fond noir, d’un crâne couronné d’épines, d’un chandelier, d’une pipe, de tabac, de pièces de monnaie, d’une palette de peintre), de Franciscus Gijsbrechts (dont la Vanité, 1670, réunit des attributs des arts et plaisirs terrestres et un crâne) ou encore de Balthasar van der Ast (dont les « fruits et coquillages », 1623, apparaissent déjà corrompus par le temps et symboles de vanité) ne compensent aucunement l’absence de l’incomparable Vanité de Philippe de Champaigne (musée du Mans, 1645) ou de la Corbeille de fleurs du Caravage (Milan, 1597).  

Atelier de Roger van der Weyden, l’annonciation, 1435-40_Les choses_Louvre-14 octobre et 5 novembre 2022

Il en est de même de la période médiévale pendant laquelle certes, la nature morte est longtemps délaissée -jugée peu digne d’être représentée au regard de sujets bibliques principalement- mais reparaît néanmoins peu à peu, tout comme le paysage, dans des scènes telles que l’Annonciation, des saints ermites repliés dans leur cellule ou au « désert », notamment sous le pinceau des primitifs et sous la forme d’objets chargés symboliquement (le lis, aiguière et bassin symboles de pureté, l’orange, de fruit défendu…). Il est dommage que seule une œuvre de l’atelier de Roger van der Weyden dépeignant Marie surprise dans sa pieuse lecture par l’archange Gabriel, dans l’intimité d’une chambre à coucher, en témoigne dans l’exposition, d’autant que la vitre de médiocre qualité qui la protège empêche sa pleine appréciation.

A l’inverse, on relève plusieurs toiles de Chardin ou de Manet. Certes, la présence du premier se justifie pleinement tant par le fait qu’il donne véritablement ses lettres de noblesses au genre en « [éclairant ses] objets de l’intérieur » pour reprendre les mots de son contemporain et admirateur Denis Diderot que par la présence de nombreux chefs-d’œuvre dans les collections du musée. On peut ainsi contempler au fil du parcours la « Tabagie », de 1737, d’une remarquable beauté et d’une grande présence en dépit de la banalité des objets dépeints : un grand pichet en céramique blanchâtre, un verre à bière plein, une longue pipe de terre, un petit gobelet d’argent et un coffret de palissandre, l’artiste s’attachant à donner l’illusion des matières dans une dominante de couleurs chaudes contrebalancées par les blancs éclatants du pichet et à obtenir une composition des plus harmonieuses (la verticalité du pichet reprend celle du couvercle du coffret et contredit l’horizontale du corps du coffret et l’oblique de la longue pipe placée sur la gauche) ou encore l’étonnant « Un lapin, deux grives mortes et quelques brins de paille sur une table de pierre », de 1755, qui rompt totalement avec les traditionnelles peintures de trophées de chasse aux mises en scène élaborées au profit d’une représentation chargée de tendresse et de gravité des animaux morts comme un reflet de notre propre mortalité.

Manet le citron, 1880_Les choses_Louvre-14 octobre et 5 novembre 2022

La part accordée à Manet, présent à travers plusieurs natures mortes (« l’asperge », 1880, « le citron », 1880, « tige de pivoines et sécateur », 1864…) s’explique probablement par son rôle d’éclaireur de la modernité. Ces toiles recèlent par ailleurs quelque chose d’essentiel, les objets comme les figures n’ayant plus besoin d’un recours au récit ou à la symbolique pour justifier leur présence, quoique la « Tige de pivoines et sécateur » se rattache à la tradition picturale de la Vanité et des natures mortes avec gibier mort. Ainsi, le peintre a représenté le citron en gros plan, en léger surplomb, isolé sur une soucoupe de céramique vernissée noire qui fait ressortir le grain, la simplicité et la couleur stridente quoique nuancée du fruit.

En conclusion de cette introduction critique, cette exposition qui semble une démonstration au service de l’ouvrage publié récemment par la commissaire d’exposition, Laurence Bertrand Dorléac (« Pour en finir avec la nature morte », Gallimard, 2020) n’est pas sans intérêt mais n’a pas vraiment sa place dans un musée qui s’efforce de présenter une image vaste et développée de l’histoire de l’art à travers des collections de référence à l’échelle mondiale. D’autant que la déconstruction du terme « nature morte », certes longtemps au bas de la hiérarchie des genres académiques, au profit de ce mot « chose » des plus ambigus si l’on se réfère au dictionnaire Robert (« ce qui se manifeste ») – mais dont la commissaire retient manifestement une définition plus étroite, par opposition aux êtres vivants, d’« objet concret, inanimé concret, matériel, du monde extérieur »-, n’est aucunement nouvelle. En 1952 déjà, Charles Sterling, qui relevait trois grands temps de la nature morte (Antiquité, XVIIe siècle et XXe siècle, auquel on peut désormais ajouter le XXIe siècle) notait le caractère tardif (XVIIIe) du terme « nature morte » appliqué à ces toiles représentant « tutte le cose naturali » (Vasari).

Flacon en forme de grenade, 14-15e av JC, Chypre_Les choses_Louvre-14 octobre et 5 novembre 2022

C’est une exposition d’auteur, en effet, à l’instar des précédentes et terriblement décevantes « Carambolages » (Grand Palais, 2016, Jean-Hubert Martin) ou « Une brève histoire de l’avenir » (Louvre, 2015, Jacques Attali) : une exposition partiale développant une thèse à travers une sélection d’œuvres plutôt que de s’intéresser véritablement à ces œuvres, à leur analyse, au genre qu’elles partagent et à son évolution au fil des siècles. Il ne s’agit aucunement d’une exposition d’histoire de l’art dédiée à la nature morte, comme on aurait pu l’attendre du Louvre, -ce qu’admet d’ailleurs Laurence Bertrand Dorléac qui dit avoir « imaginé cette exposition non pas tellement sur les choses, mais plutôt sur notre dialogue avec les choses »-. Le fait que ce rapport aux choses soit abordé par le biais de représentations artistiques semble presque secondaire sans pour autant que la commissaire adopte le rapport purement illustratif –mais au service d’un propos scientifique et objectif- de l’historien à l’image.

Georges de la Tour, la Madeleine à la veilleuse, 1642-44_Les choses_Louvre-14 octobre et 5 novembre 2022

Il était pourtant temps de renouveler l’exposition inaugurale des études sur le genre réalisée par Charles Sterling en 1952 à l’Orangerie et il aurait été intéressant de prendre connaissance des avancées de la recherche depuis lors…d’autant que si les premières natures mortes autonomes, celles des marqueteries de studioli magnifiquement illustrées par les pièces virtuoses attribuées à Fra Vincenzo dalle Vacche dans l’exposition, 1520 23, sont manifestement décoratives, illustratives du contenu des meubles qu’elles ornent, de même que le seront une part des natures mortes d’objets des XVIe-XVIIe siècles, étalage de richesses terrestres et de raretés à l’instar des cabinets de curiosités alors en vogue, certains maîtres tels que Caravaggio, Rembrandt, Zurbaran, Goya, Chardin apportent autant de soin à la représentation d’objets qu’à celle des figures (détail et sensibilité remarquable des textures, modelé des formes par la lumière…) et anoblissent le genre, s’intéressant au monde inanimé jusqu’à le rendre vivant, présent, exaltant ses formes, ses significations, son pouvoir, sa beauté, son potentiel d’imaginaire ou de rêve tout en renouvelant leur vocabulaire plastique à travers lui.

Cézanne, la table de cuisine, 1888-90_Les choses_Louvre-14 octobre et 5 novembre 2022

De fait, Sterling avait déjà noté à quel point le rendu des choses inanimées constituait, par-delà la stabilité de son répertoire iconographique au fil des siècles (fruits, fleurs, objets du quotidien…), un espace de liberté (comme un retour à l’essentiel, loin de la grande peinture d’histoire académique), d’expérimentation (Manet) et d’innovation stylistique pour les artistes, des trompe-l’œil et jeux de perspective audacieux de l’antiquité aux recherches formelles d’un Cézanne (« la table de cuisine », 1888-90) puis d’un Matisse, aux déconstructions de la perception du réel des futuristes (« développement d’une bouteille dans l’espace », Boccioni, bronze de 1912) et plus encore des cubistes (« nature morte à la bouteille » de Georges Braque, 1910-11), en passant par la redécouverte de l’espace illusoire par la peinture occidentale des primitifs italiens et flamands. Fort heureusement, certaines œuvres se suffisent à elles-mêmes…

file:///C:/Users/asus/Desktop/Les%20choses_Louvre-14%20octobre%20et%205%20novembre%202022/CP-LOUVRE_Les-Choses-juin22.pdf

Vu le 7/1/2023

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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