Video ergo sum – Campus

JEU DE PAUME, Paris, Février-Mai 2017

Peter Campus, wave_jeu de paume, Paris_8 mars 2017

A partir de dispositifs simples mais percutants, pour certains interactifs, Peter Campus nous entraine dans une réflexion sur les processus de perception et de vision. Cet artiste américain pionnier de l’art vidéo fait l’objet d’une exposition de grande qualité au Jeu de Paume. Le parcours débute par des vidéos et installations des années soixante dix qui interrogent notre propre perception de l’espace et perturbent notre construction identitaire habituellement fondée sur une perception unitaire de notre corps en multipliant les points de vue et les temporalités.

Peter Campus, three transitions

Ainsi dans « optical sockets » (1972-73), nous sommes invités à activer l’œuvre en pénétrant dans un champ d’expérience constitué par quatre caméras et quatre moniteurs. Quatre points de vue extérieurs sur soi recomposent alors en se superposant une image de soi relative, variable selon notre placement dans l’espace. « Interface » (1972) nous confronte à notre reflet doublé de notre image vidéo, couleur vs noir et blanc, soit des images de soi telles que perçues par autrui, des doubles qui jamais ne coïncident et évoluent en fonction de nos déplacements dans l’espace.

Peter Campus_ jeu de paume, Paris_8 mars 2017

Conditionnés par l’image inversée que renvoie le miroir, nous sommes toujours surpris de la nature plus directe de l’image vidéo. Tout mouvement asymétrique induit une perte d’identification avec l’image de nous-mêmes qui est projetée, déclare l’artiste.

Campus, Anamnesis
Peter Campus_ jeu de paume, Paris_8 mars 2017

Enfin, l’œuvre sans doute la plus profonde et fascinante de cette période, « Anamnesis » (1973), nous renvoie une double image de nous-même en travaillant sur l’écart temporel. L’image est projetée à la fois en direct et avec un retard de 3 secondes si bien qu’au moindre geste un double fantomatique de soi, passé, apparaît et que l’unité de soi ne se retrouve que dans l’immobilité. Le parcours se poursuit par une suite de vidéos aux frontières de la performance où l’artiste met à mal l’autoportrait et s’intéresse à l’intégrité du corps et au caractère illusoire de l’image qui n’est jamais qu’une surface. Le corps ou le visage se fragmente, se dissocie, se déchire, se brûle, se retourne comme un gant, l’image de soi ou de l’artiste demeurant toujours problématique.

En 1977-78, Campus réalise « head of a man with death on his mind », demandant à l’acteur John Erdman de regarder l’objectif tout en bougeant le moins possible afin de donner à voir le sentiment de mortalité. Nous sommes désormais cantonnés à un rôle de regardeur face à un regard insistant qui nous fixe et nous renvoie à notre propre finitude. Le travail photographique auquel l’artiste se consacre par la suite m’a semblé moins puissant, quelle que soit sa qualité, notamment dans des portraits comme sculptés par la lumière (« untitled (woman’s head »), l’expression primant alors sur le rendu des détails.

Campus, head of a man with death on his mind, 1977 78_ jeu de paume, Paris_8 mars 2017

Dans ses œuvres vidéo récentes, il exploite les technologies numériques pour travailler l’image pixel par pixel à la manière d’un peintre, par exemple dans « Wave » (2009), fascinante projection aux allures d’une toile de de Staël où le motif s’abstrait et se fragmente en un collage de couleurs et de pixels.

A voir également au Jeu de Paume le travail singulier d’Eli Lotar, photographe et cinéaste français originaire de Roumanie qui participe dans les années 20 de la « Nouvelle Vision ». Plus encore que les séries politiquement engagées et de nature plus documentaire qu’il consacre à l’Espagne de 1936, aux milieux populaires et pauvres d’Aubervilliers ou des abattoirs de la Villette, c’est sa vision insolite de Paris, quelquefois proche de l’Aragon du « paysan de Paris », qui a retenu mon attention, un Paris moderne et industriel. Une quête du détail, une prédilection pour les jeux de plongée et de contre-plongée, les décadrages et les gros plans, des compositions précises sans être excessivement rigoureuses, offrant un miroir déformé du réel. L’exposition se termine de façon inattendue en évoquant la collaboration du photographe avec le sculpteur Giacometti : le photographe capte le sculpteur au travail tandis que celui-ci lui consacre un buste particulièrement expressif et dense.

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Author: Instant artistique

Conservateur de bibliothèque. Diplômée en Histoire et histoire de l'art à l'Université Paris I et Paris IV Panthéon-Sorbonne. Classes Préparatoires Chartes, École du Patrimoine, Agrégation Histoire. Auteur des textes et de l'essentiel des photographies de l'Instant artistique, regard personnel, documenté et passionné sur l'Art, son Histoire, ses actualités.

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