JARDINS, Versailles, Octobre 2017-Janvier 2018
Le « voyage d’hiver », nouvelle version de la carte blanche de Versailles à l’art contemporain, désormais collective et largement orchestrée cette année par le palais de Tokyo, est l’occasion d’un vaste jeu de pistes et d’une découverte approfondie des bosquets des jardins. Ma sélection…C’est au sein du merveilleux bosquet des bains d’Apollon aménagé par le peintre de ruines Hubert Robert au XVIIIe siècle avec ses copies de chefs d’œuvres de la sculpture du grand siècle dont l’ « Apollon servi par les nymphes » de Girardon et Regnaudin, que s’inscrivent, discrètement, sur des rochers, les textes chantant la liberté du poète visuel John Giorno, objet d’une belle rétrospective au palais de Tokyo en 2013. « Let it come let it go »…
Anita Molinero, floraisons pour Nollopa_bassin du miroir 
John Giorno_bosquet des bains d’Apollon
Le vaste bosquet de l’étoile accueille quant à lui une superbe pièce de Mark Manders aux allures de terre modelée et craquelée bien qu’il s’agisse d’un bronze. Une tête monumentale, inclinée, les yeux clos, chargée de solitude et de mélancolie, qui n’est pas sans évoquer la « muse endormie » de Brancusi malgré son inachèvement voulu. Anita Molinero investit le somptueux bassin du miroir par cinq pièces en plastique rouge fondu, « floraisons pour Nollopa ». Le détournement, la métamorphose de poubelles, d’objets communs du monde industriel, est coutumier à Molinero. Elle y voit le paradigme de sa sculpture, le « nécessaire » (la poubelle) et le « suffisant » (l’arrogant, le rouge…).
Tomas Saraceno, cloud cities du sol au soleil_jardin du roi 
Ugo Rondinone, the sun_char d’Apollon
A quelques pas, les « cloud cities » suspendues de Tomas Saraceno, connu pour ses structures faites de toiles d’araignée, apportent quant à eux une touche de géométrie aux arbres particulièrement majestueux du jardin du roi tout en en appelant à un nouveau rapport, pacifié, à la nature. « The sun » d’Ugo Rondinone, anneau de bronze fait de branches délicatement entrelacées, trône magistralement dans la perspective du grand canal tout en symbolisant la fragilité de l’existence que tendait à refouler le roi soleil…Le bosquet de l’obélisque est le lieu du déploiement des saisons et éléments sculptés de Jean-Marie Appriou, qui s’inspire des termes ponctuant traditionnellement les jardins. Un cygne, une taupe et des bustes de femme en aluminium et verre coulé.
L’impressionnant bosquet de la salle de bal aux allures d’amphithéâtre de verdure interrompu par une cascade ponctuée de rocailles accueille quant à lui une pièce au propos intéressant bien que peu émouvante esthétiquement : « bruit blanc », de Stéphane Thidet, évocation d’une salle de spectacle à l’abandon : chaises, piano à queue renversé…, résonnant singulièrement dans cette salle de bal également dédiée à la vie et au mouvement jadis mais désormais figée, comme si la fête était suspendue…
Rick Owens, untitled_bosquet de la reine 
Hicham Berrada, matrice minérale_bosquet des dômes
Les concrétions de bronze embrumées, dégradées par l’électricité et la colonne de sel en dissolution d’Hicham Berrada ne m’ont pas convaincues, malgré leur dialogue avec le bosquet des dômes et la perpétuelle mutation des éléments qu’elles symbolisent ; de mêmes que les minuscules peintures perdues sur des troncs d’arbre dans l’allée du labyrinthe de Louise Sartor ou encore les pièces textiles aux allures de suaire qui habillent des sculptures du bosquet de la reine de Rick Owens, les bandes textiles de Sheila Hicks qui enveloppent l’enlèvement de Proserpine -symbole de l’affirmation de l’hiver sur l’automne- de Girardon au bosquet de la colonnade.A noter la présence audacieuse dans ce terrain de jeu en plein air d’installations sonores : « tout est bouleversé », qui évoque désorientation et déclin de la mémoire, de Dominique Petitgand ; ou encore « accord/tacet » d’Oliver Beer.
