William Kentridge : Finally memory fields

William Kentridge_galerie et librairie Goodman, Paris_6 novembre 2021

GALERIE MARIAN GOODMAN, Paris, 18 octobre – 27 novembre 2021

Chaque rencontre avec le monde est un mélange de ce que le monde nous apporte et de ce que nous projetons sur lui. L’arbre n’est jamais seulement un arbre.  

William Kentridge, conférence “Peripheral Thinking”

La galerie Marian Goodman présente un nouvel ensemble d’œuvres de l’artiste sud-africain William Kentridge, incluant de vastes dessins, des gravures et le superbe film d’animation Sibyl, créé en 2020. Une exposition incontournable et de toute beauté, qui s’ouvre sur trois grands dessins d’arbre à l’encre de chine, Finally Memory Yields, Not Everywhere But Anywhere et An Argument Mired in Nostalgia.

Le motif de l’arbre, récurrent dans son œuvre, résonne singulièrement dans la mémoire de l’artiste qui entendit par exemple, enfant, « trees and tiles » au lieu de « treason trials », les procès en trahison évoqués par son père, avocat de Mandela. Un arbre à l’origine du papier, des livres, des mots, un arbre – autoportrait, révèle Kentridge :

J’ai lu quelque part une description de la mort qui disait que nous cultivons tous notre arbre de la mort en nous. Il commence à pousser à la naissance, et nous devons espérer que nous vivrons assez longtemps pour que cet arbre soit un arbre grand, beau et fort, avant qu’il ne nous traverse. 

L’artiste use d’un pinceau usé pour dépeindre les feuillages et les branches, celui-ci lui semblant le plus à même d’en traduire le caractère aléatoire et la beauté fortuite, « de permettre aux choses de prendre leur forme ». Il superpose par ailleurs plusieurs pages de papier, doublant la complexité du feuillage de celle des associations, des mots et phrases qui ponctuent l’image, les branches, à l’instar d’un arbre généalogique très personnel.

On retrouve ce processus de superposition de pages d’un dictionnaire, de fragments de pensées, de vers et d’images –figures dansantes, arbres, oiseau saisi en plein vol, formes géométriques, visages de sibylles inspirées de celles de Michel-Ange sur le plafond de la Sixtine…-dans le superbe film Sibyl conçu pour un opéra de chambre créé en 2019 pour le Teatro dell’Opera di Roma (Waiting for the Sibyl) sur le thème du destin. La pièce intègre des éléments propres à Kentridge (projection, performance, musique enregistrée, danse et ombres projetées sur un fond peint à la main) pour raconter l’histoire de la sibylle de Cumes.

Selon Kentridge, l’idée d’une destinée latente mais inconnue de l’individu serait à l’origine de notre angoisse envers l’avenir et heurterait le besoin de croire en un autre possible, de « donner un sens à l’état intrinsèquement tragique de toujours savoir, mais ne jamais savoir, où notre fin nous mènera ». Un thème particulièrement d’actualité selon lui, la pandémie ayant mis en lumière l’incertitude, le doute qui pèse sur un monde que l’on pensait absurdement maîtriser.

William Kentridge, Sibyl, 2020 (extrait)

Les pages tournantes de Sibyl…font allusion au mythe de la Sibylle de Cumes, qui écrivait votre destin sur une feuille de chêne et plaçait la feuille à l’entrée de sa grotte, formant peu à peu un amas de feuilles. Mais, alors que vous alliez récupérer la feuille vous correspondant, un vent se mettait à souffler et faisait tourbillonner les feuilles, de sorte que vous ne saviez jamais si vous obteniez votre destin ou celui d’un d’autre.

On souhaite éviter son destin, mais on sait qu’on va droit vers lui. Vous savez qu’il se produira, mais vous ne pouvez pas le prévoir. Il plane sur cette pièce l’idée que notre Sibylle contemporaine est en réalité l’algorithme, qui connaît nos destins mieux que nous-mêmes.

Les phrases qui apparaissent dans l’opéra de chambre proviennent d’un large éventail de sources : de proverbes, de phrases trouvées dans des cahiers, de vers de poètes de Finlande, d’Israël, d’Afrique du Sud, d’Afrique du Nord, de différents endroits d’Amérique du Sud et de par le monde – qui sont soit utilisées telles quelles, soit adaptées ou modifiées, mais qui répondent en quelque sorte à la question : « Dans quel but ? »

William Kentridge, atelier de Johannesbourg, 2020
William Kentridge, Sibyl, 2020 (extrait)
William Kentridge_librairie Goodman, Paris_6 novembre 2021

Une approche ouverte, universaliste et surtout humaniste de l’art, propre à l’après Apartheid selon Kentridge, à rebours des logiques d’identités, de genre, de communautarismes, qui semblent dramatiquement s’affirmer aujourd’hui.

A voir et revoir !

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